Schweizerische Akademie der Geistes- und Sozialwissenschaften Académie suisse d

Schweizerische Akademie der Geistes- und Sozialwissenschaften Académie suisse des sciences humaines et sociales Conférence de l’Académie Les arts visuels dans le monde arabe entre globalisation et spécificités locales Académie suisse des sciences humaines et sociales Hirschengraben 11, case postale 8160, 3001 Berne Tél. 031 313 14 40, Fax 031 313 14 50 E-mail: sagw@sagw.ch Cahier XX Silvia Naef Les arts visuels dans le monde arabe entre globalisation et spécificités locales* Conférence de l’Académie de Silvia Naef Février 2010 Depuis quelques années, le Moyen-Orient en général – terme assez vague par lequel on désigne généralement les pays arabes, la Turquie et l’Iran – et le monde arabe en particulier1 n’apparaissent plus seulement dans les pages politiques des journaux ou aux der- nières nouvelles à la télévision, mais également dans les rubriques culturelles, surtout en relation avec les arts visuels. Des grandes expositions d’art «du Moyen-Orient» ou «du monde musulman» ont eu lieu récemment dans des institutions prestigieuses. Pour n’en nommer que quelques-unes des plus récentes, je mentionne- rai pour 2009 Rêve et réalité, montrée à la Fondation Paul Klee, à Berne2, et Taswir, Univers iconographiques de l’Islam et moder- nité, au Martin Gropius Bau à Berlin3, et pour 2010, Unerwartet/ Unexpected, Von der islamischen zur zeitgenössischen Kunst4 au Kunstmuseum de Bochum, et la plus récente Die Tradition der Zukunft, Die Zukunft der Tradition, réalisée à Munich par le Haus der Kunst à l’occasion du centenaire de la grande exposition d’art islamique Muhammedanische Kunst de 19105. Cet engouement occidental pour l’art en provenance du monde arabe et musulman – il n’y a souvent pas de distinction claire à ce sujet – est un phénomène récent, qui remonte aux années 1990, et qui a pris de l’ampleur depuis 2000. Il va de pair avec une explosion des marchés locaux dans le monde arabe et un intérêt accru pour les arts visuels. Dans cet article, nous allons essayer d’en retracer les origines et les principaux développe- ments, et d’analyser l’impact de ces nouveaux développements sur la scène artistique de la région. Nous nous concentrerons sur les pays arabes, quoique d’autres pays seront mentionnés parfois à titre de comparaison. * Note sur la translittération de l’arabe: nous avons opté pour une translittération simpli- fiée, n’indiquant que les voyelles longues par un accent circonflexe et la lettre ‘( عayn) par une apostrophe. Les noms des artistes connus ou exposant souvent en Occident ont été écrits selon l’orthographe adoptée par eux-mêmes. Les arts visuels dans le monde arabe entre globalisation et spécificités locales* Conférence de l’Académie de Silvia Naef Février 2010 Depuis quelques années, le Moyen-Orient en général – terme assez vague par lequel on désigne généralement les pays arabes, la Turquie et l’Iran – et le monde arabe en particulier1 n’apparaissent plus seulement dans les pages politiques des journaux ou aux der- nières nouvelles à la télévision, mais également dans les rubriques culturelles, surtout en relation avec les arts visuels. Des grandes expositions d’art «du Moyen-Orient» ou «du monde musulman» ont eu lieu récemment dans des institutions prestigieuses. Pour n’en nommer que quelques-unes des plus récentes, je mentionne- rai pour 2009 Rêve et réalité, montrée à la Fondation Paul Klee, à Berne2, et Taswir, Univers iconographiques de l’Islam et moder- nité, au Martin Gropius Bau à Berlin3, et pour 2010, Unerwartet/ Unexpected, Von der islamischen zur zeitgenössischen Kunst4 au Kunstmuseum de Bochum, et la plus récente Die Tradition der Zukunft, Die Zukunft der Tradition, réalisée à Munich par le Haus der Kunst à l’occasion du centenaire de la grande exposition d’art islamique Muhammedanische Kunst de 19105. Cet engouement occidental pour l’art en provenance du monde arabe et musulman – il n’y a souvent pas de distinction claire à ce sujet – est un phénomène récent, qui remonte aux années 1990, et qui a pris de l’ampleur depuis 2000. Il va de pair avec une explosion des marchés locaux dans le monde arabe et un intérêt accru pour les arts visuels. Dans cet article, nous allons essayer d’en retracer les origines et les principaux développe- ments, et d’analyser l’impact de ces nouveaux développements sur la scène artistique de la région. Nous nous concentrerons sur les pays arabes, quoique d’autres pays seront mentionnés parfois à titre de comparaison. * Note sur la translittération de l’arabe: nous avons opté pour une translittération simpli- fiée, n’indiquant que les voyelles longues par un accent circonflexe et la lettre ‘( عayn) par une apostrophe. Les noms des artistes connus ou exposant souvent en Occident ont été écrits selon l’orthographe adoptée par eux-mêmes. 2 L’art moderne dans le monde arabe En 1798, Bonaparte envahit l’Egypte, alors une province de l’Empire ottoman. Cela produit un choc dans toute la région, et conduit les élites politiques et intellectuelles à analyser et à rechercher les raisons ayant pu conduire à l’occupation d’une des terres centrales de l’Empire. On attribue cette faiblesse à un retard technologique et militaire, qu’il s’agit de rattraper en formant des jeunes aux métiers et aux techniques de l’Europe. La modernisation devient alors le thème dominant6. Au courant du 19ème siècle, les arts visuels seront inclus dans les domaines dans lesquels on croit constater un retard: en effet, moins «réali- ste» que l’art occidental, voire non figuratif, les pratiques loca- les ou l’«art islamique7» apparaissent comme constituant une étape antérieure dans l’évolution artistique de l’humanité8. D’où la création, localement, d’Ecoles de Beaux-Arts pour lesquel- les l’Académie parisienne constitue le modèle idéal: en 1883, une telle institution est inaugurée à Istanbul, dirigée par Osman Hamdi, élève de l’orientaliste français Jean-Léon Gérôme; en 1908, l’Ecole des Beaux-Arts du Caire ouvre ses portes, sous la direction du sculpteur français Guillaume Laplagne; à Téhéran, c’est en 1911 que le peintre Kamâl Ol-Molk, de retour d’études en Europe, ouvre une institution de ce type. Ces écoles produiront une première génération d’artistes, peintres le plus souvent mais aussi sculpteurs, appelées en arabe ruwwâd, pionniers, tellement ils semblaient oser un métier nou- veau et inconnu. D’autres artistes se formeront directement en Europe – en France et en Italie la plupart du temps – soit auprès d’artistes européens installés dans la région, soit auprès des quelques artistes locaux qui pratiquaient déjà le métier, notam- ment au Liban. La production artistique est, généralement, de type académique quoique parfois influencée par des notions d’impressionnisme et les sujets sont des scènes de genre «typi- ques» (femmes orientales, paysans, villageois, habitants des quartiers populaires), des portraits ou des paysages. Les change- ments induits par la modernisation n’apparaissent que très spo- radiquement. Il s’agit d’une période d’appropriation, d’adoption de l’art européen, période qui couvre, grosso modo, la première partie du 20ème siècle. 3 Illustration n°1: Mahmûd Mukhtâr (Egypte, 1891-1934), La constitution, bas-relief du socle du monument érigé au Caire à la mémoire du leader nationaliste Sa‘d Zaghlûl (ca. 1930). Photo: F. Schwarz. La donne change après la Deuxième Guerre mondiale qui voit la plupart des pays de la région accéder à l’indépendance. Les nouveaux Etats aspirent à (re)construire des identités natio- nales en puisant dans la culture du pays plutôt que dans celle de l’Occident. C’est le moment aussi où l’art moderne entre dans les pratiques artistiques du monde arabe. La modernité artisti- que (hadâtha) est désormais clairement revendiquée, mais elle doit être enracinée dans la culture locale, dans ce que l’on nom- mera à partir des années soixante-dix l’«authenticité» (asâla). Cela se fait par le retour à l’héritage (turâth) de l’ensemble des civilisations ayant existé dans un pays donné avant la coloni- sation. Cette conception de l’art qui apparaît dans les années quarante et cinquante, dominera la production jusque dans les années quatre-vingt. On peut parler d’une période d’adaptation 4 de l’art occidental adopté dans la période précédente à des motifs d’origine régionale; il n’est pas question, pourtant, de revenir à l’«art islamique».9 Illustration n°2: Jawâd Salîm (Irak, 1919-1961), Trois femmes (1954). La guerre du Golfe en 1991 peut être considérée comme la dernière manifestation du nationalisme panarabe, un moment crucial impliquant un changement de paradigmes, qui se réper- cute sur la production artistique régionale et relègue le débat sur l’authenticité au second plan, même si certains artistes continu- ent à se référer à l’héritage, notamment ceux qui citent l’écriture arabe dans leurs œuvres, un mouvement qu’on qualifie de hurû- fiyya («lettrisme»), né dans les années soixante-dix10; la produc- tion artistique entre dans l’ère de la globalisation. 5 Illustration n°3: Hussein Madi (Liban, né en 1938): La lettre «fâ’», De la série Alphabet arabe (1973), Genève, collection privée. Photo: S. Naef. L’apparition de l’art contemporain Dans les années 1990, des artistes du Moyen-Orient commencent à utiliser des nouveaux médias comme la vidéo et les installa- tions. En Turquie, c’est l’impact de la Biennale d’Istanbul, créée en 1987 qui a produit cet effet, car elle a donné la possibilité de connaître la production contemporaine internationale. Khaled Hafez, artiste et commissaire d’exposition, décrit un effet sem- blable produit par la Biennale du Caire à la fin des années 1990, mais celui-ci n’aurait été que de courte durée11. Quoi qu’il en soit, de nombreux artistes produisent désormais dans uploads/Geographie/ les-arts-visuels-dans-le-monde-arabe.pdf

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