LA PLACE ROYALE ou L’Amoureux extravagant de Pierre Corneille Comédie LES PERSO
LA PLACE ROYALE ou L’Amoureux extravagant de Pierre Corneille Comédie LES PERSONNAGES : ALIDOR, amant d'ANGELIQUE. CLEANDRE, ami d'Alidor. DORASTE, amoureux d'ANGELIQUE. LISIS, amoureux de PHILIS. ANGELIQUE, maîtresse d'Alidor et de DORASTE. PHILIS, sœur de DORASTE. POLYMAS, domestique d'Alidor. LYCANTE, domestique de DORASTE. La scène est à la place Royale. ACTE PREMIER SCÈNE PREMIÈRE ANGELIQUE, PHILIS ANGELIQUE Ton frère eût-il encor cent fois plus de mérite, Tu reçois aujourd'hui ma dernière visite, Si tu m'entretiens plus des feux qu'il a pour moi. PHILIS Vraiment tu me prescris une fâcheuse loi, Je ne puis sans forcer celles de la nature, Dénier mon secours aux tourments qu'il endure. Tu m'aimes, il se meurt, et tu le peux guérir, Et sans t'importuner je le lairrais périr! Me défendras-tu point à la fin de le plaindre ? ANGELIQUE Le mal est bien léger d'un feu qu'on peut éteindre. PHILIS II le devrait du moins, mais avec tant d'appas Le moyen qu'il te voie et ne t'adore pas ? Ses yeux ne souffrent point que son cœur soit de glace, Aussi ne pourrait-on m'y résoudre, en sa place, Et tes regards sur moi plus forts que tes mépris, Te sauraient conserver ce que tu m'aurais pris. ANGELIQUE S'il vit dans une humeur tellement obstinée, Je puis bien m'empêcher d'en être importunée, Feindre un peu de migraine, ou me faire celer, C'est un moyen bien court de ne lui plus parler : Mais ce qui me déplaît, et qui me désespère, C'est de perdre la sœur pour éviter le frère, Rompre notre commerce et fuir ton entretien, Puisque te voir encor c'est m'exposer au sien, Que s'il me faut quitter cette douce pratique, Ne mets point en oubli l'amitié d'Angélique, Sûre que ses effets auront leur premier cours Aussitôt que ton frère éteindra ses amours. PHILIS Tu vis d'un air étrange, et presque insupportable. ANGELIQUE Que toi-même pourtant trouverais équitable, Mais la raison sur toi ne saurait l'emporter, Dans l'intérêt d'un frère on ne peut l'écouter. PHILIS Et par quelle raison négliger son martyre ? ANGELIQUE Vois-tu, j'aime Alidor, et cela c'est tout dire; Le reste des mortels pourrait m'offrir des vœux, Je suis aveugle, sourde, insensible pour eux, La pitié de leurs maux ne peut toucher mon âme, Que par des sentiments dérobés à ma flamme, On ne doit point avoir des amants par quartier, Alidor a mon cœur et l'aura tout entier, En aimer deux, c'est être à tous deux infidèle. PHILIS Qu'Alidor seul te rende à tout autre cruelle! C'est avoir pour le reste un cœur trop endurci. ANGELIQUE Pour aimer comme il faut, il faut aimer ainsi. PHILIS Dans l'obstination où je te vois réduite J'admire ton amour et ris de ta conduite. Fasse état qui voudra de ta fidélité, Je ne me pique point de cette vanité, On a peu de plaisirs quand un seul les fait naître, Au lieu d'un serviteur c'est accepter un maître, Dans les soins éternels de ne plaire qu'à lui Cent plus honnêtes gens nous donnent de l'ennui, II nous faut de tout point vivre à sa fantaisie, Souffrir de son humeur, craindre sa jalousie, Et de peur que le temps ne lâche ses ferveurs, Le combler chaque jour de nouvelles faveurs, Notre âme s'il s'éloigne est de deuil abattue, Sa mort nous désespère, et son change nous tue, Et de quelque douceur que nos feux soient suivis, On dispose de nous sans prendre notre avis, C'est rarement qu'un père à nos goûts s'accommode, Et lors juge quels fruits on a de ta méthode. Pour moi j'aime un chacun, et sans rien négliger Le premier qui m'en conte a de quoi m'engager, Ainsi tout contribue à ma bonne fortune, Tout le monde me plaît, et rien ne m'importune, De mille que je rends l'un de l'autre jaloux, Mon cœur n'est à pas un en se donnant à tous, Pas un d'eux ne me traite avecque tyrannie, Et mon humeur égale à mon gré les manie, Je ne fais à pas un tenir lieu de mignon, Et c'est à qui l'aura dessus son compagnon; Ainsi tous à l'envi s'efforcent à me plaire, Tous vivent d'espérance, et briguent leur salaire, L'éloignement d'aucun ne saurait m'affliger, Mille encore présents m'empêchent d'y songer, Je n'en crains point la mort, je n'en crains point le change, Un monde m'en console aussitôt, ou m'en venge; Le moyen que de tant, et de si différents Quelqu'un n'ait assez d'heur pour plaire à mes parents ? Et si leur choix fantasque un inconnu m'allie, Ne crois pas que pourtant j'entre en mélancolie, II aura quelques traits de tant que je chéris, Et je puis avec joie accepter tous maris. ANGELIQUE Voilà fort plaisamment tailler cette matière, Et donner à ta langue une longue carrière, Ce grand flux de raisons dont tu viens m'attaquer, Est bon à faire rire, et non à pratiquer : Simple, tu ne sais pas ce que c'est que tu blâmes, Et ce qu'a de douceurs l'union de deux âmes, Tu n'éprouvas jamais de quels contentements Se nourrissent les feux des fidèles amants, Qui peut en avoir mille en est plus estimée; Mais qui les aime tous, de pas un n'est aimée, Elle voit leur amour soudain se dissiper, Qui veut tout retenir laisse tout échapper. PHILIS Défais-toi, défais-toi de ces fausses maximes, Ou si pour leur défense, aveugle, tu t'animes, Si le seul Alidor te plaît dessous les cieux, Conserve-lui ton cœur, mais partage tes yeux, De mon frère par là soulage un peu les plaies, Accorde un faux remède à des douleurs si vraies, Trompe-le, je t'en prie, et sinon par pitié, Pour le moins par vengeance, ou par inimitié. ANGELIQUE Le beau prix qu'il aurait de m'avoir tant chérie, Si je ne le payais que d'une tromperie! Pour salaire des maux qu'il endure en m'aimant, II aura qu'avec lui je vivrai franchement. PHILIS Franchement c'est-à-dire avec mille rudesses, Le mépriser, le fuir, et par quelques adresses Qu'il tâche d'adoucir... Quoi, me quitter ainsi! Et sans me dire adieu ! le sujet ? SCÈNE II DORASTE, PHILIS DORASTE Le voici. Ma sœur ne cherche plus une chose trouvée. Sa fuite n'est l'effet que de mon arrivée, Ma présence la chasse, et son muet départ, A presque devancé son dédaigneux regard. PHILIS Juge par là quels fruits produit mon entremise, Je m'acquitte des mieux de la charge commise, Je te fais plus parfait mille fois que tu n'es, Ton feu ne peut aller au point où je le mets, J'invente des raisons à combattre sa haine, Je blâme, flatte, prie, et n'y perds que ma peine, En grand péril d'y perdre encor son amitié, Et d'être en tes malheurs avec toi de moitié. DORASTE Ah! tu ris de mes maux. PHILIS Que veux-tu que je fasse ? Ris des miens si jamais tu me vois en ta place, Que serviraient mes pleurs ? veux-tu qu'à tes tourments J'ajoute la pitié de mes ressentiments ? Après mille mépris reçus de ta maîtresse Tu n'es que trop chargé de ta seule tristesse, Si j'y joignais la mienne elle t'accablerait, Et de mon déplaisir le tien redoublerait; Contraindre mon humeur me serait un supplice, Qui me rendrait moins propre à te faire service, Vois-tu ? par tous moyens je te veux soulager, Mais j'ai bien plus d'esprit que de m'en affliger, II n'est point de douleur si forte en un courage Qui ne perde sa force auprès de mon visage, C'est toujours de tes maux autant de rabattu, Confesse, ont-ils encor le pouvoir qu'ils ont eu ? Ne sens-tu point déjà ton âme un peu plus gaie ? DORASTE Tu me forces à rire en dépit que j'en aie, Je souffre tout de toi, mais à condition D'employer tous tes soins à mon affection. PHILIS Non pas tous, j'en retiens pour moi quelque partie. DORASTE II était grand besoin de cette repartie; Ne ris plus, et regarde après tant de discours Par où tu me pourras donner quelque secours, Dis-moi par quelle ruse il faut... PHILIS Rentrons, mon frère, Un de mes amants vient qui nous pourrait distraire. SCÈNE III CLEANDRE Que je dois bien faire pitié, De souffrir les rigueurs d'un sort si tyrannique ! J'aime Alidor, j'aime Angélique, Mais l'amour cède à l'amitié, Et l'on n'a jamais vu sous les lois d'une belle D'amant si malheureux, ni d'ami si fidèle. Ma bouche ignore mes désirs, Et de peur de se voir trahi par imprudence Mon cœur n'a point de confidence Avec mes yeux, ni mes soupirs, Mes vœux pour sa beauté sont muets, et ma flamme Non plus que son objet ne sort point de mon âme. Je feins d'aimer en d'autres lieux, Et pour en quelque sorte alléger mon supplice, Je porte du moins mon service A celle qu'elle aime le mieux, Philis à qui j'en conte a beau faire la fine, Son plus charmant appas c'est d'être sa voisine. Esclave d'un œil si puissant Jusque-là seulement me laisse aller ma chaîne, Trop récompensé dans ma peine D'un de ses uploads/Geographie/ pierre-corneille-la-place-royale.pdf
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- Publié le Oct 29, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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