Afrika Zamani, No. 17, 2009, pp. 207-226 © Conseil pour le développement de la

Afrika Zamani, No. 17, 2009, pp. 207-226 © Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique & Association des historiens africains 2012 (ISSN 0850-3079) L’artisanat africain entre domination et résistance de la période coloniale à nos jours : le cas de la ville de Maroua au Nord du Cameroun François Wassouni* Résumé Cette réflexion a pour ambition de lire l’histoire de la domination et de la résistance en Afrique à travers les arts et spécifiquement de l’artisanat. La réflexion a été axée sur le Cameroun et spécifiquement sur la ville de Maroua, chef-lieu de la province de l’Extrême-Nord du Cameroun. Ainsi, les filières artisanales mises en place dans cette cité au XIXe siècle par les Kanouri et Haoussa ont subi des influences multiples, de la période coloniale française jusqu’à nos jours. La politique coloniale d’appui à l’artisanat développée par les Français, l’ouverture de la région du Nord-Cameroun au tourisme dans les années 1970 et l’avènement des organisations non gouvernementales qui tra- vaillent dans la promotion de l’artisanat, sont autant de facteurs qui ont changé la physionomie de l’artisanat de Maroua tant du point de vue techni- que, organisationnel que commercial. Face à tous ces éléments analysés sous forme de domination, les artisans de Maroua n’ont pas manqué de riposter par des manières diverses qui témoignent leur résistance aux impositions, laquelle résistance a permis de sauvegarder ces savoir-faire locaux qui consti- tuent un pan important de l’histoire du Cameroun et de l’Afrique tout entière. Abstract This article attempts to approach the history of domination and resistance in Africa through the arts, particularly through artisanship. It deals with Cameroon, specifically with the main city of Maroua in the northernmost part of the country. In fact, nineteenth century artisanship, practiced in this city by the Kanuri and Hausa, underwent multiple influences from the colo- nial period till today. Other determining factors in the technical, organizational and commercial changes in Maroua’s artisanship involved the support policy implemented by the French colonialists towards the arts, the openness of North Cameroon towards tourism in the 1970’s and the emergence of non * Doctorant en Histoire à l’Université de Ngaoundéré, Cameroun. Email : wassounifrancois@yahoo.fr. 10. Wassouni.pmd 31/10/2012, 17:49 207 208 Afrika Zamani, No. 17, 2009 governmental organizations working for the promotion of artisanship. Maroua artisans resisted in many ways against all these forms of domination and succeeded, therefore, to safeguard their local know-how which constitutes an important aspect of the history of Cameroon and that of Africa in general. Introduction S’il des sujets d’histoire de l’Afrique qui retiennent beaucoup l’attention des élèves, étudiants et autres personnes amoureuses d’histoire, c’est bien la domination et la résistance. De nombreux ouvrages d’Histoire (Deschamps1970-1971 ; Ki-Zerbo 1972 ; Mbokolo 1992) édifient sur la manière dont l’impérialisme occidental, symbole de la domination, s’est enraciné en Afrique et comment au moment où cette doctrine se concrétise, des grands leaders africains s’y opposèrent. Samory Touré (Person 1970- 1975), El Hadj Omar Tall (Robinson 1985), Chaka Zoulou (Sévry 1991), Béhanzin, Rabah (Ki-Zerbo 1972) sont parmi d’autres figures de la résistance, et qui occupent une place de choix dans l’histoire africaine. L’Afrique entra ainsi sous la coupe des Européens avec l’imposition des valeurs occidentales : mode de penser, de se vêtir, de vivre, entre autres et la relégation au second rang, si ce n’est tout simplement la lutte contre les valeurs africaines. Les religions traditionnelles, les rites divers, les modes de traitement des maladies, les danses, l’organisation politique furent des domaines qui furent secoués. Les sociétés africaines furent ainsi embarquées dans une mouvance de domination à laquelle elles ne manquèrent pas d’opposer des résistances. Ainsi, l’on ne saurait parler de la domination et de la résistance sans toutefois aborder le domaine culturel. Dans ce sens, il serait impertinent de faire fi du secteur des arts qui a connu des bouleversements du fait de l’intrusion européenne (Soyinka 1985 ; Frank 1990 ; Vansina 1995). Cependant, il faut relever que l’historiographie africaine en général ne s’est pas davantage intéressée à l’histoire de l’art (Adandé 2001-2002 :71-73 ; Agbenyega Adedzé, 2002:29) en général encore moins à la lecture de la domination et de la résistance à travers ces arts qui constituent un aspect important du patrimoine culturel, élément important de l’histoire africaine. Les travaux sur l’histoire de l’art ont certes montré les influences subies par l’art africain, mais sans pour autant les inscrire dans une perspective de lecture de la domination et de la résistance (Mveng 1980 ; Kernache. et al., 1988 ; Frank 1990 ; Kasfir 2000). Pourtant, il s’agit là d’une intéressante question d’histoire qu’il importe dès lors de scruter en s’intéressant aux arts visuels dans lesquels s’inscrit l’artisanat. Ainsi, comment peut-on lire l’histoire de la domination et de la résistance en Afrique en général et au Cameroun en particulier à travers les arts ou l’artisanat de la période coloniale à nos jours ? Compte tenu du problème des 10. Wassouni.pmd 31/10/2012, 17:49 208 209 Wassouni : L’artisanat africain entre domination et résistance sources sur l’histoire de l’art au Cameroun, cette réflexion s’appuie essentiellement sur la ville de Maroua sur laquelle nous disposons d’une documentation sur l’artisanat. La réponse à cette interrogation qui constitue l’ossature de cette réflexion passe alors par une analyse diachronique de la production artistique et met en exergue les objets fabriqués, leur typologie, les règles de production, leur destination et les influences diverses qu’ont subi ces productions artistiques, lesquelles sont prises sous forme de domination face au contact avec l’occident et le degré de résistance des artistes africains. Située dans la partie septentrionale du Cameroun à 10°8’ de latitude Nord et 14°4’ de longitude Est, Maroua est le chef-lieu de la province de l’Extrême- Nord et du département du Diamaré (BCEOM 2000:3). Au rang des activités de cette cité caractérisée par l’interaction entre les activités économiques traditionnelles et modernes, figure l’artisanat qui lui donne une certaine spécificité (OCPE 2001:243). Pour conduire cette investigation, l’on a procédé par la lecture des ouvrages sur l’histoire de l’art africain en général et camerounais en particulier, des archives coloniales, la consultation des archives du Centre Artisanal et du Musée d’art local de Maroua. En plus, une attention particulière a été accordée à l’observation des objets d’art qu’ils regorgent, à la collecte des informations auprès de quelques personnes susceptibles d’éclairer sur l’histoire de la production artisanale de cette ville. Cette démarche a permis de collecter des informations diverses dont l’analyse critique a permis de structurer cette communication en trois parties. La première donne un aperçu historique sur l’artisanat de Maroua, la deuxième analyse les influences de la colonisation française, du tourisme et des organisations non gouvernementales (ONG) qui opèrent dans le secteur de l’artisanat, lesquelles constituent une forme de domination du secteur artisanal. La dernière partie, quant à elle, étudie la résistance des artisans face à la domination à laquelle leur activité fait face et ses conséquences. Aperçu historique sur l’artisanat à Maroua L’industrie artisanale dans la ville de Maroua s’est développée au XIXe siècle. Pour une bonne compréhension de l’histoire de ce secteur d’activité traditionnelle, il faut se référer à l’histoire même de la ville. La période du XVIIIe siècle est marquée par l’émergence de Marva sous les Guiziga.2 Les Peuls à la recherche des pâturages pour leurs troupeaux s’infiltrent peu à peu dans la région. La cohabitation entre eux et les Guiziga est pacifique au départ. Le nombre de ces nouveaux venus s’accroît très vite. Dès lors, les relations entre les deux peuples se détériorent peu à peu. Entre 1792 et 1794 éclate un 10. Wassouni.pmd 31/10/2012, 17:49 209 210 Afrika Zamani, No. 17, 2009 conflit qui sonne le glas du royaume guiziga. Les Bi-Marva défaits sont boutés hors de leur territoire. Le pouvoir politique détenu par les Guiziga passe alors aux mains des Peuls. Le XIXe siècle est caractérisé par la naissance d’une intense activité commerciale entre Maroua et le Bornou. Des caravanes chargées de marchandises diverses sillonnent les deux royaumes. Tissus, natrons, parfums, verroteries, papier sont importés du Bornou tandis que Maroua exporte les peaux, l’ivoire, les esclaves et surtout les chevaux (Mohammadou 1989:120-134). Au moment où ces échanges commerciaux se développent, les marchands kanouri et plus tard haoussa s’installent à Maroua où ils ont des entrepôts. Sous leur impulsion naît une véritable industrie artisanale de la peausserie, de la forge et du tissage. Issus du grand empire Bornou, les Kanouri comptent parmi les artisans les plus rompus du Soudan central (Mohammadou et Bassoro 1977:23). Le Bornou d’où vient ce peuple connaît une intense activité artisanale depuis le XIVe siècle (Giri 1994:148). Les Haoussa quant à eux ont une réputation ancienne dans le domaine de l’artisanat. Entre les XVIIe et XIXe siècles, les cités haoussa telles que Kano, Katsina, Gerki connaissent une intense activité artisanale et commerciale (Baba Kaké 1977:51- 60). Ces deux peuples ont transféré leur savoir artisanal au Nord-Cameroun, surtout dans les villes de Maroua et Garoua. Les trois filières mises en place à Maroua, à savoir la peausserie, la forge et le tissage produisent des objets divers. uploads/Histoire/ 10-wassouni-zamani-17-2009.pdf

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  • Publié le Jan 06, 2023
  • Catégorie History / Histoire
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