Cornelius Castoriadis. Réinventer l'autonomie Extrait du Revue du Mauss permane

Cornelius Castoriadis. Réinventer l'autonomie Extrait du Revue du Mauss permanente http://www.journaldumauss.net Blaise Bachofen, Sion Elbaz, Nicolas Poirier (dir.) Cornelius Castoriadis. Réinventer l'autonomie - Lectures - Recensions - Date de mise en ligne : mardi 10 juin 2008 Revue du Mauss permanente Copyright © Revue du Mauss permanente Page 1/4 Cornelius Castoriadis. Réinventer l'autonomie Ce colloque, où se sont retrouvés, du 1er au 3 mars 2007, de nombreux connaisseurs, aussi savants que passionnés par la pensée de Cornelius Castoriadis, nous embarrasse par la trop grande richesse de contributions auxquelles un résumé ne peut rendre justice. Qui pourrait rendre compte, dans une brève recension, de la subtilité des rapports qu'analysent, entre Castoriadis et des penseurs tels que Hannah Arendt, Horkheimer, Adorno, Illich ou Habermas, les commentateurs minutieux qui nous ont présenté l'état de la question (Jean-Claude Poizat, Laurent Van Eynde, Serge Latouche, Philippe Caumières) ? Par leur technicité, les textes de Pierre Dumesnil et de Sion Elbaz, qui interrogent Castoriadis sur la topologie et la logique mathématique, se prêtent mal au commentaire. Quant aux textes philosophiques inédits, rédigés par Castoriadis à l'époque de Socialisme ou Barbarie, et dont Nicolas Poirier prépare une édition, que pouvons-nous en dire, si ce n'est l'impatience avec laquelle nous attendons cette publication, qui va bouleverser la bipartition schématique d'une oeuvre que l'on scinde en écrits de jeunesse, voués au militantisme et à la politique, et recherches philosophiques, réservées à un âge mûr ? Accablé par cette richesse, nous avons cru trouver un bon fil conducteur dans le discours de l'adversaire, que Daniel Bensaïd assumait à lui seul. Défenseur d'un marxisme qui fut codifié sous Staline en doctrine dEtat , et qui était devenu lidéologie de la bureaucratie, en URSS comme dans les partis communistes stalinisés , Bensaïd rappelle à bon droit que la pensée marxiste ne peut être réduite au marxisme officiel. Castoriadis, dit-il, manie la catégorie du marxisme au singulier comme un gros concept fourre-tout [p. 255] . De sorte que, pour lui, les reproches adressés au marxisme en général portent en réalité sur son interprétation dominante , et finissent par apparaître comme autant dénormités à la limite du contresens ou de la falsification pure et simple [p. 257] . De Marx et du marxisme Revenant du marxisme aux écrits fondateurs de Marx et d'Engels, il soutient que ceux-ci ont rompu catégoriquement et sans retour avec les philosophies spéculatives de lhistoire universelle : rupture que confirme la lecture des écrits politiques de Marx, notamment de la trilogie sur les luttes des classes en France, dans lesquels lidéologie, la représentation, limaginaire théâtral, jouent un rôle de premier plan [p. 257]. Mais croit-il, ou feint-il de croire, que Castoriadis mette en doute la finesse et la profondeur des analyses marxiennes ? Avant de rompre avec le marxisme, Socialisme ou Barbarie donnait un bon exemple de critique marxiste - dont Patrick Massa montre justement les mérites. Mais lorsque le marxisme se durcit en doctrine, il faut bien lui appliquer le traitement que Marx applique à toute théorie, dont la signification ne peut pas être comprise indépendamment de la pratique historique et sociale à laquelle elle correspond, en laquelle elle se prolonge ou qu'elle sert à recouvrir . Lorsque, dit Castoriadis, nul n'oserait prétendre que le vrai et le seul sens du christianisme est celui que restitue une lecture épurée des Evangiles , la fidélité à Marx qui met entre parenthèses le sort historique du marxisme n'est pas moins risible. Elle est même pire, car pour un chrétien la révélation de l'Evangile a un fondement transcendant et une vérité intemporelle, qu'aucune théorie ne saurait posséder aux yeux d'un marxiste [L'institution imaginaire de la société, p. 14] . Bien qu'il traite Castoriadis comme un mauvais élève qui aurait commis des contresens sur la pensée de Marx, Bensaïd veut bien lui accorder que son article de 1974 De Marx à Aristote, et dAristote à nous [CL1 : Les carrefours du labyrinthe, 1, pp. 325-413] soulève un problème majeur concernant la question de légalité et de la justice [p. 260]. Mais il rejette l'idée de Castoriadis, pour qui la loi de la valeur ne constitue qu'un énoncé métaphysique, et donc irréfutable, parce qu'aucune expérience ne peut le réfuter. Aux yeux de Bensaïd, la démonstration par labsurde est elle-même absurde. La démarche prétendue réfutée nest en effet en rien celle de Marx. Pour lui, le temps de travail nécessaire nest pas déterminable a priori. Il nest déterminé qua posteriori à travers le jeu du marché et de la concurrence, qui ne sont pas des catégories purement économiques, mais incluent et supposent les effets complexes de la lutte des classes [p. 260] . Copyright © Revue du Mauss permanente Page 2/4 Cornelius Castoriadis. Réinventer l'autonomie Cette discussion nous conduit, à travers une relecture de la Critique du programme de Gotha, au problème de la répartition des produits du travail. Castoriadis observe que les sociétés contemporaines, américaine, française, russe, chinoise, créent chez les enfants des classes dominantes les 'besoins' d'un avion privé, d'une villa à Saint-Tropez, d'une datcha, etc. : à chacun selon ses besoins ? De même, elles créent chez les ouvriers des chaînes de montage la 'capacité' de faire le même geste à un rythme exténuant 8 ou 9 heures par jour - et, chez les habitants du Goulag ou des camps chinois, la 'capacité' de travailler 14 à 16 heures par jour par -20 degrés de température en ne mangeant pratiquement pas : de chacun, selon ses capacités ? [CL1, pp. 398-399] Mais Bensaïd préfère ignorer ces remarques, moyennant quoi il va lui être plus facile d'affirmer que Castoriadis sous-estime l'historicité des capacités comme des besoins, qui laisse ouverte la question de leurs rapports et de leurs transformations possibles [p. 265] . L'autonomie n'est-elle qu'un projet arbitraire ? Sera-t-il plus aisé de s'entendre sur la création social-historique, et sur la visée d'une société autonome ? Le souci de Castoriadis - estime Bensaïd - est tout à fait légitime. (...) La politique est un art stratégique de la décision dans une histoire dont aucun Dieu, aucune science, aucun Esprit absolu ne garantit le sens . Mais comment éviter - demande-t-il alors - le double écueil du décisionisme sans critères préexistants (...) et du relativisme pour lequel tout se vaut et séquivaut ? [p. 266] Fusent aussitôt, dès lors, questions et objections : quest-ce que lautonomie ? Autonomie de qui ou de quoi ? Et qui détient le pouvoir exorbitant de la définir ? Lautonomie pour lautonomie ne saurait être quun formalisme de lautonomie. Objections qu'il résume sous la forme binaire d'une alternative logique : soit lautonomie est une loi immanente du développement historique, et elle ne peut constituer un critère a priori de laction politique ; soit elle intervient comme jugement de valeur normatif, mais alors qui est le juge ? [p. 267] Pour mettre en doute la première supposition, Bensaïd se réfère aux tendances bureaucratiques, auxquelles Castoriadis a eu le mérite dêtre précocement attentif , pour dire qu'elles entraînent une raréfaction (ou une intermittence) de la politique et un rétrécissement de lautonomie . Castoriadis, rappelle-t-il, a tenté en 1981 danalyser la stratocratie soviétique comme le stade suprême du totalitarisme, où lappareil militaro-bureaucratique dEtat finirait de dévorer la société. Par quel miracle pourrait alors renaître lautonomie ? [pp. 267-268] Remarquons qu'il interprète Devant la guerre en projetant sur ce livre le schéma léniniste de l'impérialisme, stade suprême du capitalisme - ce qui conditionne une lecture aberrante, dans laquelle Castoriadis se voit attribuer une thèse qu'il avait récusée par avance, où la toute-puissance de la stratocratie soviétique apparaît comme la menace principale pour l'avenir de l'humanité. Le totalitarisme bureaucratique semble alors pire que les dictatures militaires : ces dernières passent, alors que le premier serait éternel [Les trotskysmes, 2002] . Bien loin de ce fantasme, le régime post-stalinien qu'analyse Devant la guerre représente plutôt la phase terminale d'une idéologie qui s'effondre dans le cynisme, et va céder la place à un imaginaire national-impérial ; description assez proche de celle que proposait, dès 1976, le jeune Emmanuel Todd dans La chute finale. Quant aux choix que suscite un regain de la guerre froide, Castoriadis les ramène aux sordides rivalités qui opposent deux gangs, celui de Dillinger et celui d'Al Capone... la toute-puissance imaginaire de la stratocratie russe n'est nullement pour lui cet Empire du mal, auquel certains préfèrent l'empire du moindre mal. Copyright © Revue du Mauss permanente Page 3/4 Cornelius Castoriadis. Réinventer l'autonomie Préférence que Bensaïd attribue nommément à Edgar Morin, qui avait à lépoque poussé cette logique à son extrême conséquence en opposant les dictatures militaires (dont on peut revenir) aux dictatures totalitaires (dont on ne revient pas) . C'est par prudence, estime-t-il, que Castoriadis n'a pas publié la suite de Devant la guerre, en omettant de s'expliquer sur cette étrange disparition [p. 268] . Sans doute ignore-t-il l'article consacré à l'interlude Gorbatchev , que l'on peut encore lire dans la réédition de La société bureaucratique (Christian Bourgois, 1990). Reste que la question posée par Bensaïd, sur le rapport entre visée d'autonomie et spontanéité uploads/Histoire/ castoriadis-reinventer-l-x27-autonomie.pdf

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  • Publié le Jul 25, 2022
  • Catégorie History / Histoire
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