LA GESTION PÉDAGOGIQUE DES DIFFÉRENCES ENTRE LES ÉLÈVES : VARIATIONS FRANÇAISES

LA GESTION PÉDAGOGIQUE DES DIFFÉRENCES ENTRE LES ÉLÈVES : VARIATIONS FRANÇAISES Jean Houssaye Armand Colin | « Carrefours de l'éducation » 2012/2 n° 34 | pages 227 à 245 ISSN 1262-3490 ISBN 9782200927714 DOI 10.3917/cdle.034.0227 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-carrefours-de-l-education-2012-2-page-227.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin. © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Dit autrement, la question des diffé- rences entre les élèves a toujours été un fait : l’hétérogénéité cognitive n’a cessé de s’imposer dans les classes, même si l’hétérogénéité sociale et l’hétérogénéité culturelle, elles, ont eu des statuts variables à l’école. Mais ce fait a été géré de manières très différentes. Nous éviterons de remonter jusqu’à l’Antiquité ou même au Moyen Âge sur ce point, même si chacun se souvient qu’à l’université les étudiants qui écoutaient les mêmes maîtres avaient des âges très différents et venaient de cursus pour le moins diversifiés. La gestion des différences entre les élèves relève de trois niveaux. Un niveau institutionnel d’abord. Il s’agit alors de distribuer les élèves dans des institutions différentes et hiérarchisées, ce qui peut prendre plusieurs formes : primaire/ secondaire, privé/public, général/professionnel, compensation par discrimina- tion dite positive. Un niveau organisationnel ensuite. Les différences sont alors inscrites au sein de l’institution elle-même qui hiérarchise en interne par des filières, des options, des regroupements, des attributions spécifiques provisoires ou permanentes. Un niveau pédagogique enfin. Il suppose que la question de la gestion des différences entre les élèves soit prise en compte au sein de la classe elle-même, par un dispositif pédagogique qui est censé répondre à la réalité quotidienne. 1. Note de la rédaction : Bien que ne répondant pas aux habituels critères du genre, nous avons classé cet article dans la rubrique « Note de synthèse » au vu de l’intérêt du propos et des réflexions qu’il ne manquera pas de susciter. note de synthèse Jean Houssaye jean.houssaye@univ-rouen.fr © Armand Colin | Téléchargé le 14/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.77.215.236) © Armand Colin | Téléchargé le 14/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.77.215.236) La gestion pédagogique des différences entre les élèves 228 Certes les rapports entre ces niveaux ne peuvent être ignorés, ne serait-ce que parce que les effets de l’un sur les autres sont indéniables. Selon les époques et les politiques mises en œuvre, il s’avère que les choix d’agir prioritairement sur tel ou tel niveau se sont modifiés. L’histoire des politiques scolaires nous le rappelle clairement. Pour notre part, nous ne considérerons ici que le niveau pédagogique et nous retracerons l’histoire de la prise en compte pédagogique des différences entre les élèves dans les classes. Nous distinguerons six mo- ments caractéristiques que nous symboliserons à chaque fois par une date : 1830, 1902, 1921, 1980, 1985, 2000. Ajoutons cependant ceci : ces dates ne sont que des symboles et une approche historique stricte ne peut que remettre en cause le caractère abrupt d’une telle datation. 1830 : L’INSTALLATION DU MODE SIMULTANÉ Nous partirons plutôt des années 1830 qui signent la véritable organisation de l’école actuelle, particulièrement au niveau du primaire (Lelièvre, 1990). Trois modes rentrent alors en concurrence, chacun à sa manière résolvant la réalité hétérogène des élèves. Le mode dominant, classique, traditionnel, est nommé individuel. Il tient du préceptorat, mais comprend tous les élèves rassemblés dans la même salle de classe, quels que soient leur âge et leur niveau. Le maître enseigne successivement à chaque élève individuellement en s’adaptant au ni- veau de chacun ; mais, comme pendant ce temps il laisse les autres sans occu- pation, de l’avis général la méthode est lente, peu efficace et, qui plus est, utili- sée par des maîtres incompétents. Il convenait donc de la réformer et d’adopter des méthodes modernes. Qu’est-ce à dire ? Une alternative se présente alors. Quoiqu’ancien, puisqu’il a été codifié en 1720 par Jean-Baptiste de la Salle, le mode simultané est peu présent en 1815 puisqu’il reste l’apanage des frères des écoles chrétiennes (5 % des élèves). Dans cette configuration, trois frères se réunissent pour ouvrir une école d’une centaine d’enfants, qu’ils répartissent en groupes de niveau (soit une classe par frère, ce qui donnera naissance au découpage fondamental entre le CP , le CE et le CM). Chaque frère enseigne si- multanément la même chose au même moment à l’ensemble des enfants de sa classe ; les élèves sont donc constamment occupés à la même chose selon la seule ordonnance du maître et les résultats s’en ressentent. Mais voici qu’importé d’Angleterre et introduit en 1815, le mode mutuel séduit la France, ne serait-ce que parce qu’il semble adapté à la triste situation de manque d’enseignants compétents. Il consiste à regrouper plusieurs dizaines ou centaines d’enfants dans une seule grande salle, à les diviser en groupes de © Armand Colin | Téléchargé le 14/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.77.215.236) © Armand Colin | Téléchargé le 14/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.77.215.236) Jean Houssaye 229 CARREFOURS DE L’éducation / N°34, NOVEMBRE 2012 niveaux-matières (de telle sorte que chaque enfant peut être dans un groupe différent selon qu’il s’agit de lecture, d’écriture, de calcul, etc.), à confier chaque groupe à un moniteur (un enfant plus avancé et instruit préalablement par l’enseignant), à installer le maître sur une estrade et à lui faire transmettre des ordres aux élèves par le relais des moniteurs. Comme l’explique très bien Nique (1990), dans la conjoncture politique de l’époque qui visait à substituer l’État à l’Église dans le secteur de l’éducation, l’enseignement mutuel aurait dû l’emporter. Or il n’en fut rien : à partir de 1830, Guizot, ministre de l’éducation, fit le choix du mode simultané et eut ainsi une influence décisive, notamment en imposant des manuels et en créant un corps d’inspecteurs d’État : « Loin d’être un accident de l’histoire, le dispositif scolaire mis en place pour la généralisation de l’instruction primaire en France en ce début du xixe siècle est en réalité l’application d’un programme politique qui vise à mettre l’École au service de l’État, et qui convient si bien, semble- t-il, à nos choix politiques fondamentaux qu’il sera adopté sans subir de modification majeure par tous les régimes qui se sont succédé jusqu’à aujourd’hui : la Monarchie Constitutionnelle, l’Empire et la République » (Nique, 1990, p. 233). Certes le coup d’arrêt donné à l’enseignement mutuel ne fut pas général ni immédiat, mais, peu à peu, le mode simultané en vint à devenir la référence. Jules Ferry ne fit que se servir en le magnifiant de l’outil scolaire qu’avait éla- boré Guizot cinquante ans plus tôt et que Duruy et Gréard avaient maintenu et développé. Le mode simultané échappa aux frères des écoles chrétiennes et devint républicain. L’école primaire a trois niveaux : cours élémentaire, cours moyen, cours supérieur (le cours préparatoire sera officialisé en 1923 par Paul Lapie et n’aura auparavant qu’une existence officieuse, soit à l’école primaire, soit à l’école maternelle). Qui plus est, les grandes lois scolaires de 1870 réinté- grèrent dans la justification de l’école la grande révolution de 1789, la théorie de l’élitisme républicain et la conjonction de la prééminence de la relation du savoir et du maître. On comprend d’autant mieux la force et la symbolique du mode simultané. Mais comment l’enseignement simultané gère-t-il les différences ou l’hétéro- généité ? D’abord il les justifie par l’égalité des chances : l’école pour tous est donnée à tous (le même savoir, les mêmes maîtres), tant et si bien que les iné- galités ne relèvent pas du fonctionnement de l’institution mais des individus eux-mêmes dans leur investissement scolaire. Ensuite, il a tendance à mettre en place des circuits de distribution des élèves parallèles ou hiérarchisés (le pri- maire et le secondaire, le public et le privé, le général et le technique, le général et le professionnel, le classique et le moderne, le moderne long et le moderne © Armand Colin | Téléchargé le 14/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.77.215.236) © Armand Colin | Téléchargé le 14/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.77.215.236) La gestion pédagogique des différences entre les élèves 230 court, les filières, les uploads/Histoire/ cdle-034-0227.pdf

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  • Publié le Sep 12, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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