Cahiers de l’ILSL, N° 26, 2009, pp. 1-4 Présentation Patrick SÉRIOT, Ekaterina
Cahiers de l’ILSL, N° 26, 2009, pp. 1-4 Présentation Patrick SÉRIOT, Ekaterina VELMEZOVA Depuis 2002 existe en Suisse occidentale une école doctorale en sciences du langage. Chaque année un des modules de cette école est consacré à l’histoire et à l’épistémologie de la linguistique. En 2006, comme chaque année, une vingtaine de doctorants et de jeunes docteurs (venant de Suisse, mais aussi d’Allemagne et d’Italie) ont eu la possibilité non seulement de présenter leurs recherches, mais aussi de participer aux discussions et de suivre les conférences de spécialistes du domaine de l’histoire des idées sur la langue. En 2006, deux invités ont animé nos journées d’études. Jürgen Tra- bant (Freie Universität, Berlin) a parlé de la question de l’origine du lan- gage, grand sujet de la philosophie du XVIIIème siècle, qui connaît actuel- lement un intérêt croissant, dans un exposé intitulé « Des paroles sauvages dans les forêts et les déserts ». Claudia Stancati (Università della Calabria, Cosenza) a consacré son cours aux rapports entre « sciences du langage et histoire ». Ces interventions de spécialistes ont été suivies par les présentations des thèses (en cours ou déjà achevées) de Bruna Desti (Cosenza), Cons- tanze Fröhlich (Berlin), Inna Ageeva, Andreja Eržen, Victoriya Saïdi, Irina Ivanova, Sébastien Moret, Margarita Schoenenberger et Tatiana Zarubina (Lausanne). A la séance de clôture de l’école, les doctorants ont demandé aux organisateurs de leur donner la possibilité de publier leurs exposés. Le présent recueil est le fruit de cette demande : il rassemble les travaux des participants, mais aussi l’exposé que Gabriel Bergounioux (Université d’Orléans) a fait dans le cadre de l’école doctorale en 2008, des textes anciens et devenus raretés bibliographiques d’auteurs qui ont aussi partici- pé à nos écoles doctorales (Claudine Normand [Université de Paris-X – Nanterre] et Patrick Sériot [Université de Lausanne]), ainsi que les contri- butions de deux jeunes docteurs lausannoises : Elena Simonato et Ekaterina Velmezova. Un texte anonyme de 1937, attribué à Georges Mounin, sur le chauvinisme linguistique achève ce recueil : nous le recommandons à tous les chercheurs qui s’intéressent aux problèmes de l’histoire des idées sur les langues et sur le langage. Le recueil s’ouvre par les contributions des professeurs. En insistant sur la nécessité, pour l’histoire de la linguistique, de rester dans la linguis- 2 Cahiers de l’ILSL, N° 26, 2009 tique en tant que telle, Gabriel Bergounioux propose dans son article une brève récapitulation de plusieurs étapes importantes de la réflexion sur les langues. Il entreprend ensuite analyse d’un certain nombre de courants linguistiques pour montrer qu’ils ne correspondent pas tout à fait aux exi- gences d’une science du langage. Dans sa recherche publiée pour la pre- mière fois dans les Actes du colloque « Les sciences humaines, quelle histoire ?/! » en 1981, Claudine Normand réfléchit aux questions majeures de l’enseignement de l’histoire de la linguistique, ce qui rend la lecture de son texte nécessaire, voire obligatoire, pour les (futurs) enseignants de l’évolution des idées linguistiques. La contribution de Patrick Sériot, pu- bliée à l’origine dans Archives et documents de la SHESL en 1983, est consacrée à l’évolution de la linguistique en URSS après la chute du mar- risme ou, plus précisément, à la sociolinguistique soviétique des années 1960-1970. Enfin, Claudia Stancati propose une réflexion sur l’« histoire et l’épistémologie des sciences du langage », qui est le pôle thématique cen- tral d’une future école doctorale en histoire des idées linguistiques. En abordant la question du type de scientificité des sciences du langage, Cl. Stancati discute dans sa recherche le rôle qu’il faudrait accorder dans ce domaine aux notions-clés de la philosophie des sciences. Quant aux travaux des doctorants et des jeunes docteurs publiés dans ce recueil, ils peuvent être thématiquement divisés en plusieurs grou- pes – même si une telle division sera toujours de nature conventionnelle, certains travaux pouvant faire partie de plusieurs groupes à la fois. Une partie des contributions rassemblées dans ce volume est consa- crée à des linguistes renommés et à leur rôle dans l’évolution des idées linguistiques. Ainsi, B. Desti a centré sa recherche sur Henri Poincaré (1854-1912) qui, d’après elle, marque un tournant linguistique à l’intérieur de la construction des théories linguistiques et propose un ensemble de réflexions sur les liens qui unissent le langage, et la construction / invention scientifique. C’est dans le concept d’analogie de Poincaré que la jeune chercheuse italienne propose de repérer une clé de lecture linguistique de toute son œuvre épistémologique. De son côté, I. Ivanova reprend les dis- cussions autour de la conception du dialogue chez Lev Jakubinskij (1892- 1945), en insistant sur l’importance de la (re)découverte de ses sources linguistiques et philosophiques. D’après la chercheuse, cette démarche s’avère aujourd’hui d’autant plus importante que le célèbre article de Jaku- binskij « Sur la parole dialogale » [O dialogičeskoj reči] (1923) est une œuvre-clé pour la linguistique soviétique des années 1920-1930. Une atten- tion particulière est accordée dans cet article à la logique des recherches de Jakubinskij pendant la période de sa participation à la Société d’étude de la langue poétique (OPOJaZ). Enfin, nous n’avons pas pu passer sous silence Ferdinand de Saussure : I. Ageeva revient sur la critique de ses idées dans Marxisme et philosophie du langage [Marksizm i filosofija jazyka] (1929) de Valentin Vološinov (1895-1936), qu’elle discute dans le contexte plus général de la réception des théories saussuriennes en URSS dans les années 1920-1930. Entre autres, I. Ageeva souligne l’ambivalence de la réception P. Sériot & E. Velmezova : Présentation 3 de Saussure « chez les Soviets » : reçues de façon favorable par les linguis- tes moscovites, ses idées furent généralement rejetées à la même époque à Leningrad. Par sa recherche consacrée à la « slavistique fantastique » de Niko- laj Marr (1864-1934), E. Velmezova propose de lancer un projet de plus grande envergure qui serait consacré à la « slavistique fantastique » : dans ce cas particulier, l’analyse des idées peu orthodoxes de Marr sur les lan- gues et les peuples slaves lui permet de tester une nouvelle hypothèse sur les raisons de la décision de Staline d’intervenir officiellement contre le marrisme en 1950. Une autre dimension de cette « slavistique fantastique » est présentée dans les contributions d’A. Eržen et de V. Saïdi. La première chercheuse discute des enjeux de la dénomination de la langue et de la nation slovènes aux XVI-XIXèmes siècles, en soulignant le fait que ce type de nomination rend possible une manipulation permanente : elle crée, entre autres, l’image d’une langue « continue » ayant une histoire particulière. Cela lui permet de revenir sur la célèbre phrase du slavisant français Paul Garde mise en exergue dans sa recherche : « Les mots sont aussi des armes, et parmi les plus efficaces »… De son côté, V. Saïdi propose à ses lecteurs un voyage fascinant en Galicie orientale pour revenir sur les problèmes du discours sur la langue ukrainienne dans la première moitié du XIXème siè- cle. Toutes ces discussions sont d’autant plus intéressantes que la langue, en tant qu’un des éléments unificateurs de la construction identitaire ukrai- nienne, est devenue à cette époque l’objet des discours menés par les « éveilleurs » du sentiment national (l’intelligentsia), qui, en grande partie, n’étaient pas des linguistes. C’est l’une des raisons pour lesquelles, dans leurs discours, la langue se transforme en un « moyen de symbolisation » d’une communauté parlante. Fantastique ou non, la linguistique a souvent été mise au service des intérêts politiques également pendant des époques plus récentes. Ainsi, S. Moret propose dans son article de réfléchir sur le lien entre « linguistique et nouvel ordre européen autour de la Grande Guerre » : avant même la fin de la première guerre mondiale, la linguistique et les faits de langue avaient été parfois utilisés pour proposer une vision du nouvel ordre européen qui s’annonçait. D’après le chercheur, le rapport langue / nation qui découle de ces discussions renvoie à une conception naturaliste et romantique de la langue. A son tour, E. Simonato discute des origines de la « politique linguistique soviétique » dans le Caucase, lequel, dans les années 1920-1930, s’est transformé en un laboratoire expérimental pour les linguistes-phonologues soviétiques, impliqués dans l’élaboration de langues « littéraires » et d’alphabets nouveaux. A différentes époques, les liens entre la linguistique et la politique en URSS se sont manifestés de façons diverses, ce dont témoigne la contribution de M. Schoenenberger, consacrée à l’évolution du structuralisme en URSS après l’intervention stalinienne en linguistique en 1950. Plus précisément, son article nous renvoie aux années 1950-1960 de la linguistique soviétique qui virent se produire ce qu’on appellerait aujourd’hui un changement de paradigme 4 Cahiers de l’ILSL, N° 26, 2009 scientifique : c’est la notion de NTR (révolution scientifique et technologi- que [naučno-texničeskaja revoljucija]) qui était au centre des réflexions linguistiques de cette époque, en provoquant des discussions ardentes entre les représentants des courants de pensée « traditionaliste » et « structu- raliste ». Enfin, en discutant de l’histoire des idées linguistiques, on ne peut pas éviter les problèmes philosophiques – uploads/Histoire/ cilsl-26.pdf
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- Publié le Mar 04, 2022
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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