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____________________________________________________________________________________________________________ Une étude de l’ASBL Mémoire d’Auschwitz, reconnue comme organisme d’Éducation permanente 1 ASBL Mémoire d’Auschwitz Rue aux Laines, 17 boîte 50 – 1000 Bruxelles Tél. : +32 (0)2 512 79 98 www.auschwitz.be • info@auschwitz.be Ouvrages historiques, revues, journaux, documentaires, films de fiction, jeux vidéo, romans, bandes dessinées, sites internet, expositions… Le nazisme est omniprésent dans la culture européenne. Et quand ce n’est pas lui, c’est son maître à penser, Adolf Hitler. L’homme et son idéologie semblent représenter les pires horreurs auxquelles nous ne voudrions plus jamais être confrontés. « Pourquoi sommes-nous toujours obsédés par les nazis ? », s’interroge Richard J. Evans, historien spécialiste du IIIe Reich dans The Third Reich in History and Memory (2015). « Hitler et les Allemands : pourquoi il les obsède encore ? », titrait en 2013 le Nouvel Obs. Pourquoi a-t-on comparé Donald Trump à Hitler au cours de la campagne présidentielle aux États- Unis ? Difficile d’imaginer une journée où Hitler ou le nazisme ne fera pas irruption dans notre quotidien. Plus de 70 ans après, il ne s’écoule pas un jour sans qu’un film, un article ou autre chose ne nous le rappelle, comme, en août 2015, l’annonce de la découverte d’un train nazi rempli d’or caché dans une cavité souterraine en Pologne, jusqu’à cet été, où les chercheurs de trésor ont bien dû admettre s’être trompés1. D'après le site de RFI.fr : « 120 000 ouvrages ont été publiés sur le IIIe Reich depuis 1945, certains sont régulièrement des succès de librairie. » Début 2016, la réédition en Allemagne d'une version critique de Mein Kampf, assortie de 3 500 annotations, a été épuisée avant sa sortie. Alors que le premier tirage n'était que de 4 000 exemplaires, 15 000 commandes avaient été enregistrées. Le nazisme est aussi omniprésent dans les rayons de librairie, au cinéma et dans la culture populaire. Cela va du livre historique scientifique jusqu’au film pornographique, en passant par la bande dessinée et la scène musicale, comme nous le verrons. Et de fait, si vous tapez « Hitler » sur Amazon.fr2, le site vous propose 13 636 livres en français (dont 38 BD et mangas), 10 485 livres en anglais ou en langues étrangères (82 BD ou comics) et 1 378 films et documentaires. Si vous procédez de même avec le terme « nazi », vous obtenez 7 764 résultats pour des livres en français (dont 17 BD), 11 397 résultats pour des ouvrages en langues étrangères (dont 138 BD ou comics) et 581 films et documentaires. En plus loin d’être complètes – constat établi après les avoir passées en revue –, ces listes ne reprennent que les ouvrages et films qui font explicitement référence au nazisme. Alors que même un film de fiction a priori à 1 000 lieues de l’histoire du nazisme parvient à l’évoquer. Il suffit de 1 « Le rêve de retrouver “le train d'or nazi” en Pologne s’éloigne », in france24.com, 25/08/2016 (consulté le 6 décembre 2016) 2 Test réalisé le 5 décembre 2016. Ce nazisme qui nous obsède Baudouin Massart ASBL Mémoire d’Auschwitz 20 décembre 2016 ____________________________________________________________________________________________________________ Une étude de l’ASBL Mémoire d’Auschwitz, reconnue comme organisme d’Éducation permanente 2 prendre pour exemple X-Men : Le Commencement (2011), où le futur Magnéto, soit Erik Lensherr enfant, se retrouve confronté à un médecin nazi à Auschwitz. Le film Millenium, adapté des romans de Stieg Larsson, évoque la passion malsaine de certains protagonistes pour le nazisme. Cette fascination de nos sociétés pour le nazisme est décrite à travers l’ouvrage de Richard J. Evans. Il situe ses débuts au cours des années 1960, époque où les Allemands commencent à s’interroger sur les raisons qui les ont amenés à porter au pouvoir les nazis trente ans plus tôt3. Il est vrai qu’au même moment une série de procès d’anciens nazis oblige les Allemands à se pencher sur leur passé : le procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem (1961), qui était responsable de la logistique pour organiser le transport des Juifs vers les camps de la mort sous le IIIe Reich ; ou encore le procès de Francfort (1963-1965) au cours duquel 22 prévenus ont été jugés pour leur implication dans le fonctionnement du camp d’Auschwitz. Actuellement, cette obsession du nazisme et d’Hitler peut s’expliquer de différentes manières. Pour Richard J. Evans, Adolf Hitler personnifie le despote absolu, comme il y en a peu existé dans l'Histoire. Hitler nous hante, car il est « le mal incarné », supplantant dans les esprits d’autres despotes sanguinaires tels Pol Pot ou Staline. « Il est le seul à avoir délibérément exterminé des millions de personnes en raison de leur race et a utilisé des chambres à gaz spécialement construites pour cela4. » La célèbre phrase du réalisateur Alfred Hitchcock, « Plus réussi est le méchant, plus réussi sera le film », semble convenir parfaitement pour expliquer notre fascination pour Hitler et le nazisme. L'incarnation du mal La découverte des camps de concentration nazis a largement contribué à l’équation « nazisme = mal absolu ». Autant on parle de « l'enfer des camps », autant Adolf Hitler est comparé au « Mal », quand il n'est pas considéré comme l'incarnation du diable. Il suffit de se référer à quelques titres de documentaires pour s'en convaincre : Hitler, génie du mal (1991), Hitler et les apôtres du mal (2016), Nazis : la mécanique du mal (2015), Apocalypse, Hitler (2011), Tuez Hitler. La chance du diable (2015), Hitler : les secrets de l'ascension d'un monstre (2015), Speer & Hitler. L'architecte du diable (2005), etc. En élargissant la recherche à quelques articles, d'autres expressions apparaissent, telles « les origines du mal », le « mal radical »... La référence au mal est omniprésente. Cette vision « diabolique » du régime nazi pose aussi la question de la séduction – ou de « l'envoûtement » – des foules pour le nazisme et Hitler. N'y a-t-il pas là une volonté de se dédouaner – une fois encore – d'avoir soutenu un tel régime, de nier toute responsabilité ou participation au crime ? Ou plutôt l'envie de comprendre comment cela a pu se produire. En 2010, l'exposition « Hitler et les Allemands – communauté du peuple et crimes » avait attiré 3 Richard J. Evans, The Third Reich in History and Memory, Londres, Abacus, 2015, p. 87-89. 4 « Pourquoi sommes-nous toujours obsédés par les nazis ? », in lexpress.fr, 08/02/2015 (consulté le 2 décembre 2016) ____________________________________________________________________________________________________________ Une étude de l’ASBL Mémoire d’Auschwitz, reconnue comme organisme d’Éducation permanente 3 265 000 visiteurs en quatre mois et demi au Deutsches Historisches Museum (Musée d'histoire allemande) de Berlin. L'une des historiennes conceptrices de l'exposition, Susanne Erpel, commentait alors : « On peut dire que le nom d’Hitler exerce un charisme négatif. L’empereur Guillaume II et Bismarck n’attirent pas autant de monde. C’est un fait. Mais cet intérêt a aussi trait au Sonderweg, au chemin particulier des Allemands qui n’ont pas été capables de se libérer par eux-mêmes du Fürher et n’ont donc aucun motif de fierté. Ils cherchent encore et toujours à comprendre comment cela a été possible et s’interrogent sur le courage civique qui a fait défaut à leurs aïeux5. » Et surtout comment leurs parents et grands- parents, voyant ce qui se passait, ont malgré tout soutenu ce régime. Comme l'observait le journaliste Pascal Thibaut de RFI, l'exposition « ne présente pas le Fürher comme un envoûteur au pouvoir magique qui aurait séduit et perverti le peuple allemand le conduisant à sa perte. Elle montre au contraire que Hitler a pu s’imposer sur un terreau fertile et n’était pas un accident de l’histoire, un corps étranger […] L’exposition met en évidence le fait que le Troisième Reich était une dictature populaire ancrée dans toutes les couches sociales, elle a le mérite de souligner l’actualité du travail de mémoire interrogeant les visiteurs sur les responsabilités de la société allemande d’hier et d’aujourd’hui6. » Dans The Third Reich in History and Memory, Richard J. Evans, explique que la majorité des Allemands soutenaient le régime dans les années 1930, car ils voyaient son action comme « positive ». La répression était soutenue par l'écrasante majorité des Allemands ordinaires, parce qu’elle était la preuve de la restauration de la loi et l'ordre après le chaos et le désordre de la République de Weimar7. Et vu que cette répression ne les touchait pas, c’était une raison supplémentaire de l'approuver. Quant à l'ignorance du génocide au cours des années 1940, rares sont les historiens défendant la thèse que personne n'était au courant, d’autant que les rapports du service de sécurité SS montrent que de nombreux soldats en permission en parlaient ouvertement. Des constats loin du consensus fait au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, selon lequel l'Allemagne nazie était un État policier dirigé par un groupe de criminels, où la population était étroitement surveillée et soumise et adhérait pleinement au régime. Pour paraphraser Hanna Arendt, on pourrait dire que le « mal » était devenu banal ou tout simplement normal. 5 « Hitler uploads/Litterature/ 2016-massart-obsession-nazi-etude.pdf

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