Collection dirigée par Glenn Tavennec L’AUTEUR Né en 19 73 , Arnaud Cathrine co
Collection dirigée par Glenn Tavennec L’AUTEUR Né en 19 73 , Arnaud Cathrine commence à écrire à l’âge de quinze ans et publie en 19 9 8 son premier roman, Les Y eux secs. Depuis, il a fait paraître plus de vingt livres dont, récemment, Pas exactement l’amour (Éditions Verticales, 2 015 , Prix de la nouvelle de l’Académie française). Par ailleurs, Arnaud Cathrine a adapté son roman La Route de Midland au cinéma avec Éric Caravaca, sous le titre Le Passager, ainsi que Je ne retrouve personne, diffusé sur Arte sous le titre Neuf jours en hiver. Ex-chroniqueur et producteur à France Culture, conseiller littéraire pour Les Correspondances de Manosque ainsi que pour la Maison de la Poésie, il aime la scène et, notamment, les lectures musicales. En 2 008, Frère animal fut un livre-album écrit à quatre mains et chanté avec Florent Marchet. Le spectacle s’est produit dans toute la France, trois années entières. Le deuxième volet de cette aventure en tandem, Frère animal – Second Tour, débutera en octobre 2 016. Retrouvez tout l’univers de À LA PLACE DU CŒ UR sur la page Facebook de la collection R : www.facebook.com/ collectionr Vous souhaitez être tenu(e) informé(e) des prochaines parutions de la collection R et recevoir notre newsletter ? Écrivez-nous à l’adresse suivante, en nous indiquant votre adresse e-mail : servicepresse@ robert-laffont.fr « Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 3 3 5 -2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. » © Éditions Robert Laffont, S. A., Paris, 2 016 EAN 9 78-2 -2 2 1-19 601-4 ISSN 2 2 5 8-2 9 3 2 Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo. Suivez toute l’actualité des Éditions Robert Laffont sur www.laffont.fr « Tout est à refaire. » Patrick BOUCHERON & Mathieu RIBOULET Prendre dates (Paris, 6 janvier – 14 janvier 2 015 ) PROLOGUE MARDI 6 JANVIER 2 015 — V as-y, plus fort ! Hakim arrache son portable à Kevin et pousse le volume à fond. Théo fouille la poche de sa doudoune. — Sérieux, on entendra mieux avec le mien, dit-il en brandissant son iPhone dernier cri. Je ricane : — Allez, ça va, on sait que t’as la plus grosse… Je reprends de la vodka au goulot et je m’allonge au milieu des gradins, le visage tourné vers l’étendue déserte et obscure du stade. On distingue, au loin, l’ombre blanche des lignes qui délimitent le terrain de sport. Je ne sais plus quelle heure il est. On a cours demain à huit heures mais je m’en tape : ce soir, j’ai dix-sept ans. La musique passe d’un portable à l’autre sans transition. Penché vers Théo, Kevin braille : — Il dit quoi, ce bâtard ?! Hakim, qui connaît le morceau par cœur, récite : — Elle est où ta rage ? Elle est où ta passion ? Elle est passée où ta gaule de six mètres de long ? Kevin émet un bruit de gorge dont on ne pourrait dire s’il s’agit d’un hoquet ou d’un rire bête. — Vous savez pas parler d’autre chose ? soupire Esther. Je me sens visé, dans le même sac que les autres. Esther doit regretter de s’être laissé entraîner ici. Elle a voulu voir ce que donnait la petite bande de l’intérieur. Elle voit. Hakim poursuit, couvrant les paroles du chanteur : — Puis c’est le merdier ça y est c’est l’merdier. Il accompagne la rythmique d’un petit balancement saccadé du buste. — Vas-y, ferme ta gueule, rugit Théo. On entend plus rien ! Hakim la boucle dans la seconde. Dans le groupe, c’est Théo qui a toujours le dernier mot. Peut-être parce que c’est le fils du maire. Il ose tout. Une sorte de légitimité naturelle dont il a tendance à abuser et qu’il tient de son père, j’en suis sûr. Pour le calmer, je lui rappelle souvent que le FN a failli détrôner son daron aux dernières municipales. Il m’adresse alors de ces regards assassins dont il a le secret. Il dit que je suis un sale facho, je riposte que je ne suis rien du tout et lui non plus d’ailleurs : Encore un an avant de pouvoir voter, mon pote. Alors il s’en prend à mes parents et ça me flingue qu’il puisse penser qu’ils sont au FN. À la fin, c’est hardcore, Hakim tente de nous calmer. En vain. Dans ces cas-là, Kevin lance une vidéo sur son portable, ses oreillettes bien vissées, la tête rentrée dans les épaules. Il ne supporte pas les cris. Chez lui, ça hurle tout le temps à ce qu’il paraît. J’observe les trois mecs, alignés de dos sur le gradin devant moi : Théo encadré par Hakim et Kevin, deux asperges qui ont l’air d’avoir poussé d’un coup sans trop savoir quoi faire de leur corps. Sa carrure de sportif finit d’assurer à Théo son statut de leader. Au fond de moi, je dois être un peu aigri, limite jaloux. Il m’arrive de l’admettre. Ce soir, par exemple (l’alcool me rend assez honnête). Hakim et Kevin sont deux purs produits de la cité HLM. Leurs parents sont employés à la Sodeco, l’usine de la ville (ici, on fabrique des tickets ; des tickets pour tout et n’importe quoi ; peut-être même pour le métro parisien, si ça se trouve). Au début, mes parents ont fait une drôle de gueule quand ils m’ont vu ramener à la maison le fils du maire socialo, comme ils disent, et deux prolos dont un Rebeu originaire de quel pays déjà, Caumes ? — La France, maman. Tu vois où c’est sur la carte ou tu veux que je te montre ? Depuis, mon père dit souvent avec une forme de condescendance qu’il est tout compte fait très instructif d’aller voir un peu comment ça se passe chez les autres. Et ma mère rappelle d’une voix archi-culpabilisatrice que je suis un petit privilégié (merci pour le scoop), tu en es conscient, n’est-ce pas ? Ils m’exaspèrent quand ils se mettent à disserter entre eux, comme si je n’entendais pas : Tout ça leur est très naturel, rien à voir avec notre génération ; black, blanc, beur, ils ne font même pas la distinction, c’est assez beau quand on y pense. Ouais ouais ouais, sauf quand Hakim se fait insulter dans la cour ; et sauf quand Kevin ne peut pas se payer la paire de shoes que tout le monde doit avoir ou se traîne un portable du Moyen  ge qui a déjà servi à ses deux frères avant lui… Les distinctions, on les connaît et ce n’est pas si beau que ça à voir, si vous voulez mon avis. Hakim me tire de mes pensées : — Hé, vas-y, on la remet ! Je hisse un peu la tête. Je voudrais qu’Esther regarde dans ma direction. Juste une fois. Esther : ma torture ordinaire. Si je pouvais cesser d’être ce type dont elle ne croise le regard qu’à l’occasion… Parfois je me dis que si je disparais de la conversation ou que je cesse de la mater tout le temps, elle va finir par prêter attention à moi. Mais ça ne marche jamais, et pourquoi je ne retiens jamais la leçon : tu t’effaces, tu espères ton absence plus apparente que toi, tu te fonds dans le bois élimé du gradin, tu penses manquer à tout le monde, et à elle, Esther, plus particulièrement, mais en fait : rien, que dalle, tu disparais et c’est tout, soirée d’anniversaire ou pas, tu ne manques à personne, et surtout pas à elle, il n’y a pas de miracle ; pour se faire remarquer, il faut exister. Je devrais prendre exemple sur Théo. J’ai descendu la moitié de la bouteille de vodka, les autres n’ont même pas fait gaffe, ils ne remarquent jamais ce que je m’enfile, ils prennent quelques gorgées pour se donner une contenance, mais ils passent surtout leur temps recroquevillés sur leur portable, à lancer des morceaux, et moi je me farcis la moitié de la bouteille sans même m’en apercevoir, c’est flippant. J’entends Hakim qui susurre la chanson comme pour lui- même, puis il ne peut pas s’empêcher de monter en puissance, il doit penser qu’il a une putain de belle voix, il couvre à nouveau la bande-son et le morceau est déjà fini. Esther dit : — Une autre ! Ils se mettent tous à balayer l’écran de leur smartphone. Qu’est-ce qu’ils ne feraient pas pour elle… Ce n’est pourtant pas le genre de fille à en profiter. Je ferme les yeux. C’est exactement l’état que je visais. Ça tourne un uploads/Litterature/ a-la-place-du-coeur-french-edi-arnaud-cathrine.pdf
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- Publié le Sep 20, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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