Coriolis, naissance d’une force par Alexandre Moatti Ingénieur en chef des mine

Coriolis, naissance d’une force par Alexandre Moatti Ingénieur en chef des mines, docteur en histoire des sciences Directeur de la publication de science.gouv.fr Dans un de ses "best-sellers", Portrait du Gulf Stream (Seuil 2005), le romancier Erik Orsenna consacre un chapitre à Gaspard-Gustave de Coriolis (1792-1843) et le conclut ainsi : « Et rien n’indique que notre Gaspard Gustave ait jamais mis le pied sur un bateau ni qu’il se soit jamais intéressé à la mer. Le fait est là : pour les siècles des siècles, Coriolis est celui qui a expliqué l’influence de la rotation de la Terre sur le parcours des vents et des courants ». Figure 1 : (à gauche) Cyclone dans l’hémisphère nord (sens inverse des aiguilles d’une montre) : ouragan Olga le 28 novembre 2001 dans l’Atlantique ; (à droite) Cyclone dans l’hémisphère sud (sens des aiguilles d’une montre) : Australie le 20 février 2002 – on reconnaît la côte sud de l’Australie (images NASA) C’est ainsi que le nom de Coriolis est universellement connu ; néanmoins la carrière et les autres contributions de ce savant sont nettement moins connues, de même que la façon dont il arrive aux « forces centrifuges composées », auxquelles son nom sera donné. C’est ce que nous essaierons de décrire dans le présent article, sans omettre de rappeler les autres contributions de Coriolis : c’est lui qui le premier donne la définition physique du mot travail en mécanique dans un mémoire présenté en 1826 à l’Académie (alors qu’il n’en est pas encore membre). Il est aussi l’auteur d’une véritable « théorie du travail » dans son ouvrage majeur et austère, le Calcul de l’effet des machines (1829). Il écrit par ailleurs une Théorie mathématique des effets du jeu de billard (1835), rare exemple dans l’historiographie des sciences où un sujet est complètement traité1, sans guère d’apport ultérieur possible. @@@@@@@ La naissance de la « force de Coriolis » se fait à travers deux textes complémentaires : - Le « Mémoire sur le principe des forces vives dans les mouvements relatifs des machines », lu le 6 juin 1831 à l’Académie des sciences, publié dans le Journal de l’École polytechnique en septembre 1832 (21e cahier, tome XIII), publié aussi des les Mémoires des savants étrangers. - Le « Mémoire sur les équations du mouvement relatif des systèmes de corps », publié dans le Journal de l’École polytechnique en 1835 (24e cahier, tome XV). Le second mémoire évoque les « forces centrifuges composées », qui prendront par la suite le nom de « force de Coriolis ». Le premier mémoire jette les bases de calcul pour le second résultat, mais il comprend aussi la notion nouvelle à cette époque des « forces d’entraînement ». Ce vocable est resté, bien que Coriolis n’en soit pas crédité. Une autre différence importante entre les deux mémoires montre l’évolution du travail de Coriolis : le premier, on le verra, révèle une égalité scalaire – elle porte sur les forces vives dans le mouvement relatif (la force vive est ½mv²). Le deuxième révèle une égalité vectorielle, plus puissante, portant sur le principe de la dynamique dans le mouvement relatif. A posteriori, le résultat du premier mémoire devient un simple cas particulier de celui du second mémoire : par projection de l’identité vectorielle sur la courbe du mouvement, on obtient l’identité scalaire du premier mémoire – puisque la force centrifuge composée « ne travaille pas », sa projection est nulle dans la direction du mouvement. 1. Cet ouvrage faisait suite à l’invention dans les années 1820 par le joueur Mingaud, ancien officier de l’armée napoléonienne, de la « queue à procédé », munie d’une rondelle hémisphérique à son extrémité permettant des effets de type « rétro ». Cette invention, à l’origine du jeu moderne du billard, avait profondément renouvelé le jeu – auparavant la queue de billard était à extrémité carrée, ce qui ne permettait aucun effet. POISSON PRESENTE A L’ACADEMIE LE PREMIER MEMOIRE Un document d’approche intéressant de ce « Mémoire sur le principe des forces vives dans les mouvements relatifs des machines » est le rapport qu’en fait Poisson en séance du 31 octobre 1831 de l’Académie des sciences. Comme souvent, le texte du rapporteur permet de mieux comprendre le texte, puisqu’il tire ce qui lui en semble essentiel, et qu’il remet le texte en perspective. Figure 2 : Siméon-Denis Poisson (1781-1840). Polytechnicien, auteur de nombreuses contributions en mathématiques, en mécanique rationnelle et en physique mathématique. Poisson commence par rappeler le « principe des forces vives » tel que posé par d’Alembert : f f i i mv ² mv ² 2 Fdx     (1) L’accroissement des « forces vives », entre deux positions successives du système, est égal au double de l’intégrale, prise entre ces limites, de la somme des forces qui ont agi sur tous ces corps multipliés chacun par l’élément de sa direction ; intégrale que l’on appelle à l’époque la quantité d’action due à ces forces. Poisson poursuit en indiquant que Coriolis établit le principe des forces vives, non dans le cas de mouvements absolus, mais dans le cas de mouvements relatifs, par exemple à l’intérieur d’une machine : dans le membre de gauche (les forces vives mv²), ce sont les vitesses relatives qui interviennent dans ce cadre ; dans le membre de droite (la quantité d’action), il faudra retrancher les forces d’entraînement. Ceci conduit, dans le texte de Coriolis, après quatre pages de calculs précis, au principe suivant qu’il écrit avant de l’énoncer :      r r r r e e r mV ² mv ² Pcos(Pds )ds P cos(P ds )ds 2 2 r (2) Cette équation renferme ce théorème, que le principe des forces vives a encore lieu dans le mouvement relatif aux axes mobiles, pourvu qu’aux quantités d’action r r Pcos( )ds Pds  , calculées avec les forces données P et les arcs dsr décrits dans ce mouvement relatif, on ajoute d’autres quantités d’action qui résultent des forces Pe, qui sont égales et opposées à celles qu’il faudrait appliquer à chaque point mobile pour lui faire prendre le mouvement qu’il aurait s’il était invariablement lié aux axes mobiles. Comparons les deux équations (1) et (2) : - Coriolis, comme à son habitude, renvoie le facteur 2 en dénominateur du membre de gauche de l’équation (alors qu’il est chez Poisson, en (1), en multiplicateur du côté gauche). Poisson, en géomètre adepte de la « mécanique rationnelle », ne considérait que les « forces vives » définies par mv². Coriolis, pédagogue, proposait d’appeler forces vives la quantité ½mv² : c’est cette acception qui sera le fondement de la notion ultérieure d’énergie cinétique. - Dans l’équation (2), le premier terme du membre de droite correspond au membre de droite de l’équation (1). Mais apparaît dans l’équation (2) un autre terme, celui des forces d’entraînement. Compte tenu de la similitude de forme de ces deux équations, on peut considérer que l’équation (2) de Coriolis est une généralisation (dans le cadre d’un mouvement relatif) du principe des forces vives de Lagrange. ANALYSE DU MEMOIRE DE 1831 Ce mémoire, relativement complexe, comprend 20 pages et 6 pages d’annexe : bien qu’a posteriori il n’apparaît que comme un cas particulier du résultat du second mémoire, il est plus volumineux et plus calculatoire que ce dernier, qui fait 13 pages – en fait, les résultats du second mémoire étaient en germe dans le premier : Coriolis pour définir la « force centrifuge composée » n’aura qu’à reprendre à mi-chemin les calculs de son premier mémoire. Dès l’introduction (partie A), Coriolis commence par poser les bases de son résultat : …on peut appliquer l’équation des forces vives en y faisant entrer les vitesses relatives, et les quantités d’action ou de travail qui se rapportent aussi aux mouvements relatifs. Mais dans ces quantités d’action, en outre des forces qui sont immédiatement données et qui concourent au moment absolu, il faut en considérer d’autres dont il est facile d’indiquer la nature : elles sont opposées aux forces qu’il faudrait appliquer aux points matériels du système s’ils étaient libres, pour les obliger à conserver par rapport aux plans mobiles les positions relatives qu’ils ont à un moment donné (…) Mais, dès le départ aussi, Coriolis met en garde contre la fausse évidence de l’énoncé : (…) on se méprendrait si l’on regardait la proposition comme évidente, même dans cet exemple assez simple. Il est si peu évident qu’on doit introduire ces forces, que l’on arriverait à des résultats faux si l’on procédait ainsi pour toute autre équation que celle des forces vives. Coriolis résume ainsi la portée du mémoire, tout en anticipant, de manière encore non consciente, les résultats du second mémoire. L’introduction des « forces d’entraînement » – et de celles-ci uniquement – n’est valable que pour le principe des forces vives, et aboutit au principe des forces vives dans le mouvement relatif, énoncé en (2) ci-dessus (ce que René Dugas2 appellera « premier théorème de Coriolis »). Car toute uploads/Litterature/ coriolis-naissance-d-x27-une-force.pdf

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