LE SEXE FAIBLE DES ADOS : SEXE-MACHINE ET MYTHOLOGIE DU CŒUR Serge Cottet L'Éco
LE SEXE FAIBLE DES ADOS : SEXE-MACHINE ET MYTHOLOGIE DU CŒUR Serge Cottet L'École de la Cause freudienne | « La Cause freudienne » 2006/3 N° 64 | pages 67 à 75 ISSN 2258-8051 ISBN 9782905040541 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-la-cause-freudienne-2006-3-page-67.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L'École de la Cause freudienne. © L'École de la Cause freudienne. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Le poncif du stade de développement ou du passage crucial entre deux époques pâlit face à l’explosion des normes encore incarnées par la génération de leurs parents, et par-dessus tout celle de la norme sexuelle. La génération née en soixante-dix, puis celle, postmoderne, des années quatre-vingt-dix, sont, chacune à leur façon, révélatrices de la malédiction sur le sexe que l’idéologie soixante-huitarde croyait pouvoir dépasser. Par rapport à cette subversion, le psychanalyste ne peut en rester à l’affirmation d’états d’âme invariants déclenchés à la puberté. Rappelons pour mémoire les paradigmes par lesquels Anna Freud qualifiait l’adolescent, sans trouver matière à élever la clinique psychanalytique à la hauteur de nouveaux symptômes plutôt inquiétants. « J’admets qu’il est normal pour un adolescent d’avoir pendant très longtemps un comportement incohérent et imprévisible, de combattre ses pulsions et de les accepter, de les maintenir à distance et d’être débordé par elles, d’aimer ses parents et de les haïr, de se révolter contre eux et de dépendre d’eux, d’être profondément honteux de sa mère devant d’autres, et, de façon inattendue, de désirer lui parler à cœur ouvert ; de se complaire à imiter les autres et à s’identifier à eux, et pourtant d’être en quête incessante de sa propre identité ; d’être plus idéaliste, artiste, généreux et désintéressé qu’il ne le sera jamais, mais aussi le contraire : centré sur lui-même, égoïste, calculateur. De telles 67 la Cause freudienne n° 64 Serge Cottet est professeur au Département de psychanalyse (université de Paris VIII), psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne. © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 02/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 82.62.92.196) © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 02/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 82.62.92.196) Serge Cottet fluctuations entre les opposés extrêmes paraîtraient tout à fait anormales à tout autre moment de la vie »1. Ces propos lénifiants tranchent avec les aspects les plus dramatiques que l’actualité livre à longueur de temps sur les ados, qu’il s’agisse des drames de l’amour comme des formes modernes du symptôme : drogue, sida, suicide et autres passages à l’acte. On est incité à considérer l’adolescence plutôt à partir de ce réel clinique. Ce point de vue avait été illustré par un numéro de L’Âne2 de 1985, pourtant bien en deçà des dérives d’aujourd’hui. Il y a vingt ans, j’avais moi-même durci le propos et mis en question cette « normalité » en faisant état de la position de Freud : la mutation de la sexualité à cet âge change la théorie simpliste de la sexualité infantile. C’est dire que tout n’est pas joué à six ans. Le moment de la puberté concerne un réel du sexe sans précédent qui laissera bien des traces. C’est avec des accents sulfureux dignes de Dostoïevski que, dans « L’homme aux loups », sont décrits les dérèglements de la sexualité du garçon à l’adolescence, en particulier sous les espèces des tentatives de séduction de la sœur. Bien au-delà de la psychologie stadiste, la Société psychanalytique de Vienne consacrait plusieurs de ses séances à la question avec un certain accent dramatique, notamment à propos de L’Éveil du printemps de Frank Wedekind et du suicide des enfants. En 1910, on commentait le livre du docteur Abraham Baer3 relatif à cette question. L’ouvrage met en évidence les effets de la jouissance sur les états d’âme des jeunes. La thèse hygiéniste de Baer (1901) n’est pas bien reçue à l’époque parce qu’elle impute à la sexualité, assimilée encore à l’époque à une force vitale nietzschéenne, la responsabilité de l’autodestruction : « Baer croit […] que l’augmentation des suicides d’enfants doit être mise en rapport avec la précocité croissante de notre jeunesse hypersophistiquée, devenue blasée par la jouissance de toutes sortes de plaisirs »4. Au-delà de leur naïveté, ces lignes sont plus parlantes aujourd’hui qu’à l’époque de Freud, puisqu’elles présentent la malédiction sur le sexe comme l’envers des années folles. Nous suivons Christian Baudelot et Roger Establet lorsqu’ils affirment en durkheimiens : ce n’est pas la société qui éclaire le suicide, c’est le suicide qui éclaire la société5. Sans développer ici la question du suicide des jeunes, nous croyons, mutatis mutandis, que la sexualité de ces derniers éclaire la sexualité contemporaine. Elle en révèle l’impasse autant que la caricature transmise par « ces véritables enfants que sont les parents »6. 68 1. Freud A., L’enfant dans la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1968, p. 265. 2. Cf. L’Âne, n° 22, juillet-septembre 1985. 3. Cf. Les premiers psychanalystes. Minutes de la Société psychanalytique de Vienne, tome II, 1908-1910, Paris, Gallimard, 1978, p. 469-484. 4. Ibid., p. 474. 5. Sans être aussi précises que les statistiques de Durkheim, les données de Baer font apparaître l’importance significa- tive des suicides entre dix et quinze ans, c’est-à-dire au moment de la puberté. On ne sait pas quelle importance don- nent à ce facteur Christian Baudelot et Roger Establet dans leur récent ouvrage : Suicide. L’envers de notre monde, Paris, Le Seuil, 2006. On apprend que le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les 15-20 ans, notamment chez les plus précaires. Les statistiques produites par Françoise Dolto dans La cause des adolescents (Paris, Robert Laffont, 1988) confirment que, dans cette classe d’âge, les garçons se suicident trois fois plus que les filles (p. 338). Cf. aussi le commentaire de Françoise Fonteneau, in la Cause freudienne, n° 63, p. 176. 6. Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 579. © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 02/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 82.62.92.196) © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 02/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 82.62.92.196) Le sexe faible des ados L’hyperconsommation et la sexualité « en plein vent » La permissivité de l’époque réalise-t-elle enfin le « jouir sans entraves » prôné par les aînés ? Ou bien faut-il la déchiffrer en fonction du déchaînement de la consommation dans les sociétés contemporaines ? Libertinage ou libéralisme ? À la façon de Jean Baudrillard, un observateur attentif au malaise contemporain caractérise plutôt la vie sexuelle par « l’alignement de l’ordre érotique sur l’ordre économique »7. Les caractéristiques de la société de consommation sont appliquées ici à la sexualité, rendant obsolètes les syntagmes figés de la psychanalyse, connotés d’angoisse et de refoulement. Les années 2000, selon les commentateurs du malaise moderne et les psychosociologues, sont caractérisées par l’hyperindividualisme, la permissivité, le brouillage des rôles et des identités. La précocité des rapports sexuels est avérée, notamment chez les filles. L’information en matière de sexualité a suivi toutes les innovations technologiques et informatiques de ces deux décennies. La presse people projette sur les adolescents une décontraction, un cynisme et une crudité qui tranchent avec les tabous de la génération précédente. Le « sexe » est voué à subir le sort de l’hyperconsommation et la loi de l’économie de marché : performance, rapidité, compétition, etc. Gilles Lipovetsky décrit l’imaginaire sexuel des jeunes générations comme autant de miroirs reflétant les poncifs et les impératifs performenciels jusque-là « cantonnés dans l’entreprise et le sport »8 : l’éclatement de la jouissance, l’inconstance et l’instabilité des sujets, le morcellement pulsionnel sont assimilés à une « balkanisation de la consommation »9. L’analogie est tentante entre le comportement « morcelé, dérégulé, volatile », imputé à une consommation patchwork, et l’instabilité affective. Pourtant l’impératif performenciel dicté par le maître est une simplification. La carte des sentiments – amitié, sexualité, tendresse, amour… – morcelle certainement les choix d’objet. N’est-ce pas plutôt l’absence de normes et de modèles qui ouvre la voie à cette dérive de la pulsion ? Un observateur uploads/Litterature/ cottet-le-sexe-faible 1 .pdf
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- Publié le Jul 24, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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