COUPS DE PILON DE DAVID DIOP OU LA POESIE MILITANTE Nous tenterons ici de montr
COUPS DE PILON DE DAVID DIOP OU LA POESIE MILITANTE Nous tenterons ici de montrer à quel point l’unique recueil poétique de David Diop, Coups de pilon, est à la fois un cri de révolte contre le colonialisme et contre ses méfaits multiples (violence, assimilation, abâtardissement, aliénation, etc.) et une revendication du droit à la différence à la « reconnaissance » par l’Autre ; bref, dans quelle mesure c’est de la poésie militante, du moins engagée. Le deuxième point de notre étude portera sur l’écriture poétique chez David Diop et sur la place qu’occupe la mise en texte de l’action politique dans sa poésie. Nous soulignerons la présence en filigrane des idées d’Aimé Césaire [2], l’influence de Jacques Roumain et probablement celle de Claude Mc Kay. Nous mettrons en relief la dissidence du poète par l’art poétique par rapport au monde colonial et ses valeurs. 1. COMPOSITION DU RECUEIL Il comporte trois parties qui s’intitulent, respectivement, Coups de pilons, édition originale comprenant 17 poèmes ; Cinq poèmes [3] et enfin Poèmes retrouvés renfermant 21 pièces. Ainsi, l’ensemble des poèmes du recueil de l’édition Présence Africaine, 1973 [4], s’élève à 43 et non pas à 30, comme le souligne Samuel Ade Ojo, qui semble avoir travaillé sur le texte de la deuxième édition de Présence Africaine [5] et non pas sur la troisième comme nous le faisons, car le volume de l’ouvrage a lui-même changé : on passe de 63 pages à 91 pages et on a trois textes annexés au lieu d’un seul texte : une lettre très brève, exactement en huit lignes, adressée à Alioune Diop et qui semble tronquée, un document en quatre pages intitulé « Contribution au débat sur la poésie nationale : Autour des conditions d’une poésie nationale chez les peuples noirs » et enfin un autre document en cinq pages qui porte le titre « Autour de la réforme de l’enseignement en Guinée, texte paru dans Présence Africaine, n° XXIX (décembre 1959 janvier 1960). 2. QU’EST-CE QUE LA POESIE MILITANTE ? ET DIOP, EST-IL UN POETE ENGAGE ? L’adjectif « militant(e) » puis le substantif, nous dit Le Robert, viennent du verbe intransitif « militer » qui veut dire « faire la guerre » et dont l’apparition remonte au XIIIe siècle. Au XVIIe siècle sont nées les expressions figées « militer pour » ou « contre », c’est-à-dire « constituer une raison, un argument pour ou contre » ; et ce n’est que plus tard, au début du XIXe siècle, que les deux expressions lexicalisées ont fini par signifier respectivement « lutter sans violence pour ou contre (une cause) ». Quant à l’adjectif et au substantif « militant », ils commencent dès le XIXe siècle à indiquer une personne qui adhère à un parti politique ou à un syndicat et qui agit sans violence. En bref, nous retenons qu’un militant est quelqu’un qui prône l’action directe, active, qui combat, qui lutte. Dans quelle mesure la poésie de David Diop peut-elle être considérée comme une poésie militante ? Qui est d’abord David Diop, plutôt l’homme que l’auteur de Coups de pilons [6] ? Samuel Ade Ojo affirme que le poète devint « officiellement membre du Parti communiste une dizaine d’années avant sa mort » [7] et tous ses biographes notent qu’il participait de manière effective à l’action politique. Ce poète a d’ailleurs souvent été comparé à Jacques Roumain (1907-1944), diplomate et militant communiste et grand écrivain de la Renaissance haïtienne, auteur du roman Gouverneurs de la Rosée et d’un recueil de poèmes [8], « les plus agressifs qu’ait jamais écrits un poète noir » [9], qui « marqua fortement Césaire, Damas, David Diop [lui-même], sans compter ses compatriotes » [10]. Comme le souligne S.A.Ojo, les critiques sont unanimes sur le fait que David Diop est désigné dès la publication des premiers poèmes dans la revue Présence Africaine en 1948 comme étant « un poète extrêmement militant » [11]. Dans sa lettre à Alioune Diop, D. Diop confie : « Mon cher Alioune, « ...je pars pour la Guinée au début de la semaine prochaine en compagnie de Abdou Moumouni, de Joseph Ki-Zerbo et quatre autres professeurs africains. Comme je l’ai écrit, il est des cas où celui qui se prétend intellectuel ne doit plus se contenter de vœux pieux et de déclaration d’intention mais donner à ses écrits un prolongement concret. Seule, une question de famille m’a fait hésiter quelque temps ; mais après mûre réflexion, ce problème ne m’a pas paru être un obstacle à mon départ » [12]. Il est donc clair que David Diop est un écrivain engagé au sens double du terme : sa poésie met en scène ses convictions politiques et intellectuelles. Par ailleurs, comme il le laisse entendre dans sa confidence à Alioune Diop, il est même prêt à sacrifier ses devoirs familiaux au profit de ses convictions politiques. Dans sa communication intitulée « Autour de la Réforme de l’Enseignement en Guinée » [13], il déclare que le régime colonial, « reposant sur l’exploitation économique et la falsification historique », a toujours donné la priorité à ses valeurs : « Hypocrisie donc que de parler de symbiose de civilisations, de profits réciproques dans une communauté dont les universités ignorent jusqu’aux noms de nos grands penseurs et passent sous silence l’histoire de nos empires. Seuls peuvent s’en accommoder les tenants d’un cosmopolitisme culturel habillé d’oripeaux exotiques » [14]. Senghor cite David Diop dans son Anthologie de poésie nègre et malgache et souligne, en effet le caractère provocateur de la poésie de celui-ci en la qualifiant d’« expression violente d’une conscience raciale aiguë » [15] dont « [/l’/] accent [est] âpre est rêche » et dont « [le] ton [est] brutal et dur » [16]. 3. LE LYRISME MILITANT ET L’INTERTEXTE AU SERVICE D’UNE CAUSE COMMUNE En soulignant le caractère révolutionnaire du recueil, S. A. Ojo note que « chaque pièce (du recueil) est une plainte, un cri de douleur ou un réquisitoire » et que parfois elle illustre « les trois thèmes en même temps » [17]. Par ses thèmes (révolte contre le racisme en général et contre le colonialisme en particulier et révolte aussi contre les renégats), par l’authenticité de sa forme, la poésie de David Diop est à rapprocher également de celle du Jamaïcain Claude Mc Kay (1889-1948) [18], où tout vient du peuple noir, tout prend racine dans le sol. Les valeurs lyriques de sa poésie bien rythmée, faite de chansons et « traversée par le souffle et l’âme du peuple », le réalisme de ses portraits mettant en relief tantôt la misère tantôt la fierté et l’optimisme de l’homme du terroir nous autorisent en effet à le mettre en parallèle avec ce poète américain d’origine jamaïcaine. Le thème de la haine est un thème de prédilection dans la poésie de David Diop. C’est un autre Jean Genêt avant la lettre. Les cris du Noir opprimé nous font penser à ceux des bonnes lancés à la face de leur maîtresse dans la pièce de théâtre Les Bonnes. La haine devient comme l’apprennent les psychologues, un facteur stabilisateur de la personnalité de l’opprimé. En effet, le Noir développe ses propres mécanismes de défense contre le mépris du Blanc et il attaque ce dernier en portant atteinte à sa fierté raciale. Néanmoins, ce n’est point de l’orgueil qu’il affiche à son tour, mais de l’amour propre retrouvé et jalousement protégé, et la haine a des limites. Comme Claude Mac Kay, une fois de plus, dans son poème célèbre, If We Must Die (Si nous devons mourir), David Diop préfère qu’on meure « noblement » et qu’on « affront[e]l’ennemi commun » [19]. L’objet de la haine est évidemment le mal et non pas l’homme blanc. Comme Mc Kay, il ne refuse donc pas foncièrement la civilisation occidentale et ne cultive pas « un primitivisme originel où l’instinct est exalté aux dépens de la raison » [20]. Il est vrai que « Les Vautours » de Diop font penser aux Birds of Prey (Oiseaux de proie) de Claude Mac Kay [21] : leur nombre « dont le vol obscurcit le ciel », leurs croassements terrorisent les oiseaux chanteurs de la terre qu’ils chassent. Ils sont sûrs de leur puissance, hideux, menaçants, terrifiants avec leurs serres sanglantes. Comme Claude Mac Kay toujours, David Diop n’échappe pas à l’exotisme, ayant longtemps vécu loin de l’Afrique ; c’est pourquoi il commence par chanter la nature africaine, les mœurs africaines et l’Art africain. Mais ce qui distingue la poésie de Diop de celle de Claude Mac Kay, c’est que Diop n’hésite pas à répondre à la violence par la violence, ne serait- ce que par le lyrisme et la violence verbale qui l’emportent chez lui sur le rationalisme. Ce qui est certain, c’est que David Diop doit également beaucoup à Aimé Césaire. Il lui doit jusqu’à la manière de percevoir le concept de civilisation lié à l’idée de progrès économique et scientifique et de développement. Etant pour l’auteur un instrument de combat, la poésie sert donc uploads/Litterature/ david-diop-coups-de-pilon-ou-la-poesie-militante-copie.pdf
Documents similaires
-
22
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Fev 24, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1536MB