Tous droits réservés © Association pour l'Étude des Littératures africaines (AP
Tous droits réservés © Association pour l'Étude des Littératures africaines (APELA), 2007 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 15 avr. 2019 19:24 Études littéraires africaines Des voix dans la poésie : entretien avec Henri Meschonnic Mélanie Bourlet et Chantal Gishoma La question de la poésie en Afrique aujourd’hui Numéro 24, 2007 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1035338ar DOI : https://doi.org/10.7202/1035338ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Association pour l'Étude des Littératures africaines (APELA) ISSN 0769-4563 (imprimé) 2270-0374 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Bourlet, M. & Gishoma, C. (2007). Des voix dans la poésie : entretien avec Henri Meschonnic. Études littéraires africaines, (24), 4–11. https://doi.org/10.7202/1035338ar DES VOIX DANS LA POÉSIE ENTRETIEN AVEC HENRI MESCHONNIC1 « Sur le langage, nous n’avons que des points de vue. Et moi, je pose un autre point de vue » (Henri Meschonnic) La pensée du poète-linguiste-théoricien français Henri Meschonnic – encore marginale il y a quelques années – répond à un besoin en littérature : celui de réconcilier le langage avec l’humain… Henri Meschonnic n’est pas africaniste. Il est hébraïsant. Mais l’un de ses recueils de poèmes, Tout entier visage (2005), s’inspire d’une anecdote racontée par Amadou Hampâté Ba, un Peul, un Africain… Et surtout, les mots qu’il utilise pour repenser la pensée de la littérature – lui dirait la poésie – parlent à ceux qui s’intéres- sent aux écrivains-poètes africains, quels que soient leur langue et leur mode d’expres- sion. Ces mots (rythme, sujet, poème, oralité, etc.) ne sont pas nouveaux, il faut donc les vider de leur contenu habituel, prendre conscience de leur histoire pour entrer dans la théorie que propose Henri Meschonnic. Le rythme : du continu entre le langage et la vie – Comment définiriez-vous le rythme ? – La manière dont on comprend le rythme peut changer toute la représenta- tion qu’on a du langage… et la représentation qu’on a du langage joue un rôle capital et la plupart du temps non reconnu pour la représentation qu’on a de la société, de la manière dont les êtres humains vivent ensemble. C’est le combat du signe et du poème. Ce que j’appelle le signe, c’est ce que les linguistes en général appellent un signe, une représentation binaire du langage où deux éléments hétérogènes l’un à l’autre – du son et du sens, de la forme et du contenu – sont supposés, mis ensemble, constituer des mots. Cette représentation binaire du rythme est de l’ordre du discontinu entre du son et du sens, parce que le son, par lui-même, n’a pas de sens. Cette représentation du langage est prise comme la vérité sur la nature du langage dans l’ensei- gnement traditionnel. Or cette représentation a une histoire. On peut dire pratiquement que c’est Platon qui l’a inventée parce qu’avant lui, le rythme, c’était le continu chez Héraclite, l’idée qu’il y a un mouvement continu des choses, du langage. Platon, pour réfléchir sur la musique et sur la danse, a introduit la notion de régularité, de mesure et de proportions mathématiques, ce qui fait que depuis Platon, le rythme est conçu de manière binaire : un temps fort, un temps faible, le même et le différent, des régularités et des irrégularités… Un binai- re et un discontinu interne. Et c’est exactement la même chose pour la repré- sentation du langage selon le signe : ce que les linguistes appellent « le signe » 1 Entretien réalisé le 2.XI.2007 par Mélanie Bourlet et Chantal Gishoma, qui remercient Henri et Régine Meschonnic pour leur accueil chaleureux, leur écoute attentive et curieuse, ainsi que D. Delas et A. Ricard qui leur ont proposé de réaliser cet entretien. LA QUESTION DE LA POÉSIE (5 n’est qu’un point de vue sur le langage. C’est un point de vue de l’ordre du discontinu et on a affaire dans notre culture à deux discontinus qui se renforcent l’un l’autre : le discontinu interne du signe et le discontinu interne du rythme. Or, moi, je pose un autre point de vue à partir de mon travail de traduction sur les poèmes de l’hébreu biblique – langue que j’ai apprise tard et en autodidacte mais que j’ai beaucoup travaillée. Prenant conscience que dans la Bible en hébreu, il n’y a ni vers ni prose, et que tout y est rythme, j’ai pu avoir un point de vue extérieur au point de vue européen du signe. J’ai pris conscience que le signe n’est qu’un point de vue auquel j’oppose un autre point de vue, celui du continu entre le corps et le langage. Le représentant du corps dans le langage, cela ne peut être que le rythme, mais pas du tout au sens du discontinu qui est celui de Platon mais comme organisation du mouvement de la parole dans le langage. La parole, c’est l’exercice du langage par un sujet, par quelqu’un qui parle ou qui écrit. Dans le signe, au sens des linguistes, l’oralité est comprise comme le son qu’on entend dans la parole et qui s’oppose à l’écrit de sorte que l’oral est complètement confondu avec le parlé. Si le rythme, c’est l’organisation du mouvement de la parole dans le langage et dans l’écriture, si la littérature ou la poésie, c’est l’invention par la sensibilité et par la pensée d’une expression qui n’a encore jamais eu lieu jusque-là, la parole, c’est du sujet. Ce qui transforme la notion d’oralité, parce qu’alors, celle-ci ne se confond plus avec du parlé, avec du sonore. L’oralité, c’est du sujet qu’on entend. C’est une spécificité et une historicité qu’on entend. Par exemple, le fait que tel mot soit le premier mot d’une phrase, c’est un rythme. Ou la dernière position d’une phrase, c’est aussi un rythme. Ou bien quand il y a une attaque conso- nantique, un rythme de répétition, ou un rythme syntaxique, ou un rythme prosodique. Tous ces éléments contribuent au rythme, au sens général comme organisation du mouvement de la parole. C’est le continu corps-langage. Mais à partir du moment où j’ai défini la parole comme l’expression d’un sujet, je suis amené à reconnaître que ce mouvement de la parole, c’est un acte éthique. J’entends par là un acte qui a pour enjeu la constitution d’un sujet. Car le sujet invente sa pensée et l’invention de cette pensée – quand elle est entendue ou lue par d’autres – transforme aussi les sujets qui lisent ou qui écoutent. À partir de là, je suis amené à étendre la notion de ce qu’on appelle un poème. Cela n’a plus rien à voir avec les définitions formelles tradition- nelles comme forme et contenu. Je définis le poème comme la transformation d’une forme de langage par une forme de vie et la transformation d’une forme de vie par une forme de langage, si bien qu’on peut reconnaître qu’il y a du poème dans ce qu’on appelle un « roman ». Les grands romans sont grands dans la mesure où il y a du poème en eux, de même que les grands textes philosophiques sont des poèmes de la pensée. C’est pourquoi j’ai écrit un livre sur Spinoza, que j’ai relu et analysé en latin, dans son latin, et j’ai appelé ce livre Spinoza, poème de la pensée. Si la notion de poème s’étend ainsi en impli- quant une interaction entre vie et langage, cela m’amène à critiquer l’opposi- tion traditionnelle que font les philosophes entre le langage et la vie. C’est parce que les philosophes sont inscrits dans le signe, dans tous les dualismes en 6) série du signe : l’opposition entre le son et le sens, la forme et le contenu, l’individu et la société, les mots et les choses, l’affect et le concept, qu’ils opposent finalement le langage à la vie… L’académisme de la pensée philoso- phique s’inscrit complètement dans le signe et, à partir de ce que j’appelle le poème, je critique la philosophie comme complice et bénéficiaire du signe ainsi que toutes les représentations classiques du langage qui sont des effets épistémologiques, culturels et sociaux du signe. Le continu que j’ai supposé entre le corps et le langage fait qu’il n’y a plus d’un côté du sens et, de l’autre côté, de la forme mais une continuité que je nomme signifiance. – Quelle serait alors la différence entre la poésie et la prose… si elle existe ? – Revenons sur cette affaire. Dans notre culture, on oppose les vers qui sont écrits selon une métrique, c’est-à-dire une organisation systématisée, des brè- ves et des longues, du jeu des rimes, quelles que soient les cultures. Et donc les vers, traditionnellement, sont expliqués par l’origine latine du mot versus, le sillon que trace le paysan uploads/Litterature/ des-voix-dans-la-poesie-entretien-avec-henri-meschonnic.pdf
Documents similaires










-
36
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Aoû 24, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.3687MB