En ouvrant le Coran… quelques clés de lecture Sans avoir lu elle-même le Coran,
En ouvrant le Coran… quelques clés de lecture Sans avoir lu elle-même le Coran, toute personne n’a pas manqué, un jour, au travers d’un article de journal ou d’un débat télévisé, de se trouver confrontée à l’un de ses versets. La présence croissante de l’islam dans le débat public après le 11 septembre 2001 et, en France, en conséquence d’enjeux de politique interne, confronte les néophytes à d’abondantes citations de versets dans les médias. Leur traduction n’est pas toujours précise – et parfois franchement déformée -, mais qui plus est, ces versets sont le plus souvent cités de façon séparée, sans être mis en parallèle avec d’autres versets, et souvent dans le but non pas de présenter le Coran, mais de l’utiliser pour condamner l’islam et justifier une politique précise à son égard. On fait donc beaucoup parler le Coran en lui faisait dire ce que l’on a décidé de lui faire dire – un tel procédé risquant fort d’aboutir à lui faire dire ce qu’il ne dit pas. Le Coran est alors utilisé a posteriori, à la suite d’une décision intellectuelle ou psychologique : par les médias, en vue de confirmer certains préjugés – que l’islam est violent, opprime la femme, etc. – mais aussi par les musulmans eux-mêmes, pour justifier une idéologie d’intolérance ou au contraire de respect où l’on insiste sur la compatibilité de l’islam avec la démocratie, l’individualisme, la laïcité, etc. Dans tous les cas, le procédé est le même : on part d’une idée préconçue pour faire ensuite une lecture sélective ne retenant que le verset ou la partie de verset qui viendrait confirmer une telle idée. Répétées en boucle, ces idées contribuent à la création d’une pensée et d’un inconscient collectifs au sujet du Coran et de l’islam. Si le Coran se veut un livre de guidance, il prévient lui-même que la lecture qui pourra en être faite en égarera beaucoup : « Nombreux sont ceux qu’Il égare et nombreux sont ceux qu’Il guide » [1] (Al-Baqara (La vache) ; 2:26). Face à ce constat, un « mode d’emploi » [2] général de lecture y est donné : « Voici un Livre béni : Nous l’avons fait descendre sur toi afin que les hommes méditent ses versets, et que réfléchissent ceux qui sont doués d’intelligence.« (Sâd ; 38:22) [3] ; « Très certainement Nous avons exposé [tout ceci] dans ce Coran afin que [les gens] réfléchissent. » (Al- Isrâ’ (Le voyage nocturne) ; 17:41). Le Coran n’invite pas ses lecteurs à le lire comme on lirait une simple histoire, mais à réfléchir et méditer sur ses versets – réflexion sur leurs mots et significations, mais aussi sur le rapport entre les versets, la portée de leurs récits… Cet article a pour but de mettre en relief certaines caractéristiques à la fois du Coran et de la pensée qui pourront permettre à la réflexion de s’exercer sur un terrain plus clair. Toute réflexion féconde s’accompagne de conditions, l’une d’entre elles étant de prendre conscience des préjugés que nous avons au sujet de l’objet de notre réflexion. L’esprit humain a naturellement tendance à appréhender les choses au travers des propres catégories de son esprit et l’idée qu’il s’en est préalablement faite plus ou moins consciemment. Il échoue alors à saisir la spécificité de l’objet et ne fait qu’épaissir la couche de ses propres préjugés. Une réflexion sur le Coran implique donc préalablement de rendre capable de laisser l’objet se présenter lui-même sans l’avoir auparavant chargé de mille projections, et de saisir sa nature spécifique. [4] Pour les lecteurs non arabophones, il nécessite parallèlement une prise de conscience de certaines difficultés de compréhension issues à la fois de la langue, de la culture, de l’histoire, et de sa propre psychologie. Le but de cet article n’est pas d’arriver à la conclusion selon laquelle il faudrait avoir lu des dizaines de volumes de commentaires et connaître parfaitement l’arabe avant d’ouvrir le Coran, mais plutôt d’attirer l’attention, sur la base d’une phénoménologie à la fois du Livre et du lecteur, sur leur spécificité respective afin de réduire certaines distances et « miroirs déformants » entre le sujet et son objet. Le Coran comme « rappel » Le Coran se présente avant tout lui-même comme un rappel. Rappel, tout d’abord, du message délivré par l’ensemble des prophètes ayant précédé le prophète Mohammad. [5] Ce rappel est fondé sur l’invitation à n’adorer qu’un Dieu unique : « Aussi bien avons-Nous mandé à chaque nation un envoyé : « Adorez Dieu, éloignez vous de l’idole. » (sourate Al-Nahl (Les abeilles) ; 16:36) et, en conséquence, à vivre sa foi dans le cadre d’une religion : « Il vous a légiféré en matière de religion, ce qu’Il avait enjoint à Noé, ce que Nous t’avons révélé, ainsi que ce que Nous avons enjoint à Abraham, à Moïse et à Jésus : « établissez la religion ; et n’en faites pas un sujet de division ». » (sourate Al-Shûrâ (La consultation) ; 42:13). S’il est un rappel des révélations précédentes, le Coran est avant tout un rappel adressé à chaque personne : rappel de son origine, de sa vérité profonde, et de ce à quoi elle est destinée : « Et certes Nous avons fait le Coran aisé pour que l’on se rappelle : y aura-t-il alors quelqu’un qui se rappelle ? » (Al-Qamar (La lune) ; 54:17 [6]). Le lecteur ne doit donc pas d’abord rechercher dans le Coran d’obscurs mystères ésotériques, mais avant tout un rappel du sens de la création et de sa propre existence – ce rappel menant l’homme à une véritable connaissance de lui-même, connaissance inséparable de celle de Dieu qui l’a façonné à Son image [7] et en lui insufflant « son esprit ». [8] Ouvrir le Coran implique donc d’avoir à l’esprit cette dimension du « ressouvenir » et de la connaissance de soi qu’il vise à produire chez le lecteur. L’universalité du Coran Le Coran n’est donc ni un roman, ni un livre d’histoire, ni un ouvrage scientifique, ni un « mélange de genres », mais un livre à la vocation universelle dont le but est de guider l’homme quelle que soit l’époque à laquelle il vit et la culture à laquelle il appartient. A cette aune, l’ensemble de son contenu, y compris les histoires des prophètes et les événements passés qui y sont rapportés contiennent un message qui s’adresse à chacun. Un verset au sujet de la rencontre entre Moïse et Pharaon ne doit pas être perçu comme un fait du passé n’ayant rien à voir avec le présent, mais doit conduire son lecteur à se demander : que veut-on me dire personnellement à moi, aujourd’hui, au travers de cette histoire ? Lire le Coran implique donc d’avoir un état d’esprit universalisant. Les événements passés qui y sont rapportés ne doivent donc pas être circonscrits à une époque et une culture particulières – par exemple La Mecque et Médine du VIe siècle -, mais être considérés comme autant d’occasions d’enseigner des principes spirituels et d’éduquer l’homme. Le verset enjoignant les croyants à ne pas s’adresser au Prophète en haussant la voix invite l’ensemble des croyants à se parler de façon douce et respectueuse [9], l’enseignement de Luqmân à son fils l’incitant à respecter ses parents s’adressent à l’ensemble des croyants [10], tandis que l’histoire de Moïse et de Khezr invite chaque croyant à faire preuve d’humilité face à la sagesse cachée des plans et décrets divins. [11] L’ensemble des récits du Coran sont les supports d’un enseignement à la portée universelle dans le but d’une réforme de soi. Pour cette raison, « il faut lire ce texte, non pas comme un livre d’histoires dans lequel on chercherait la trace d’événements du passé, mais comme un livre d’humanité dans lequel l’histoire elle-même n’a de valeur que dans la mesure où elle permet de former l’homme d’aujourd’hui et de demain. » [12] Dans ce sens, le récit de la rencontre entre Moïse et Pharaon vient nous enseigner qu’il faut accepter le message des prophètes, que les injustes connaissent une fin funeste, etc. A un niveau de lecture plus profond, Moïse et Pharaon symbolisent deux dimensions présentes en nous : l’une qui tend vers la foi et la soumission à Dieu, l’autre vers la rébellion et l’arrogance. Pharaon n’est que l’incarnation de la voix de notre âme qui nous incite à rejeter la croyance en ce qui n’est pas visible et à nous croire auto-suffisant. Les divers personnages de ces récits incarnent les complexités de l’âme humaine et participent à ce « rappel » passant à la fois par la connaissance et l’éducation de soi. Lire le Coran ne nécessite pas de connaître en détail l’histoire religieuse et les circonstances de révélation des différents versets, mais de réfléchir en quoi chacun des versets nous concerne aujourd’hui. En s’efforçant d’extraire les vérités intemporelles des événements particuliers, le lecteur saisira le sens profond du Coran et le lira, comme le recommandait le théosophe Sohrawardi, comme s’il n’avait été révélé que uploads/Litterature/ en-ouvrant-le-coran.pdf
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- Publié le Jan 30, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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