Fernand Van Steenberghen Les lettres d'Étienne Gilson au P. de Lubac In: Revue
Fernand Van Steenberghen Les lettres d'Étienne Gilson au P. de Lubac In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, Tome 87, N°74, 1989. pp. 324-331. Citer ce document / Cite this document : Van Steenberghen Fernand. Les lettres d'Étienne Gilson au P. de Lubac. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, Tome 87, N°74, 1989. pp. 324-331. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1989_num_87_74_6555 ÉTUDES CRITIQUES Les lettres d'Etienne Gilson au P. de Lubac Le P. de Lubac a retrouvé 19 lettres de Gilson, écrites entre 1956 et 1975. Il a eu l'heureuse idée de les publier en y joignant des notes abondantes, dans lesquelles on trouve les réflexions personnelles du destinataire et une riche documentation1. La rencontre des deux histo riens a été assez tardive (début des années cinquante), mais elle a pris très vite la forme d'une solide amitié, fondée sur une vive admiration réciproque et une très large communauté de pensée. Lettres et comment aires offrent des données intéressantes concernant les débats philoso phiques et surtout théologiques qui ont animé les milieux catholiques français au cours du dernier demi-siècle. On y saisit sur le vif les sympathies de Gilson: pour Bergson, Claudel, Chenu, Maritain (avec des réserves), Gabriel Marcel, Gouhier, Balic, le P. Gerald Smith et, bien entendu, ses amis de Toronto; mais aussi ses antipathies; pour Duns Scot (comme penseur), Cajetan, Jean de Saint-Thomas, Garrigou-Lagrange, Boyer, Blondel, Teilhard de Chardin (qu'il connaît mal et que le P. de Lubac défend avec succès). Le petit livre du P. de Lubac est donc un document précieux. Mais des imprécisions et surtout des inexactitudes s'y sont glissées, qu'il me paraît utile de relever et de corriger par souci de vérité. Elles concernent soit des événements dont j'ai été le témoin, soit des faits qui touchent les relations de Gilson avec l'école thomiste de Louvain. Le P. de Lubac parle à deux reprises d'un incident survenu entre Gilson et le P. Garrigou-Lagrange avant le Congrès thomiste de Rome en septembre 1950. L'incident qui est signalé au début de la note 9 des pp. 86-87 appelle les précisions suivantes. Le Congrès thomiste a com mencé le lundi 1 1 septembre; il avait été précédé, du 6 au 10 septembre, par le Congressus scholasticus organisé par le P. Balic à Y Antonianum. 1 Lettres de M. Etienne Gilson adressées au P. Henri de Lubac et commentées par celui-ci. Un vol. 19 x 12 de 205 pp. Paris, Éd. du Cerf, 1986. L'éminent auteur est Cardinal depuis 1983, mais il n'est jamais fait mention du Cardinal de Lubac dans l'ouvrage de 1986. Je parlerai donc du P. de Lubac dans cette étude. Les Lettres d'Etienne Gilson au P. de Lubac 325 Le samedi 9, immédiatement après la dernière session de la journée, Gilson était en conversation avec Mgr L. De Raeymaeker et moi lorsque le P. Garrigou-Lagrange nous a rejoints et a aussitôt reproché à Gilson d'avoir parlé des «avatars de la métaphysique» dans son livre récent L'être et l'essence', il déclara qu'il allait l'attaquer sur ce point dans sa communication à l'ouverture du Congrès thomiste. C'est alors que Gilson, très irrité, menaça de quitter Rome, comme le rappelle le P. de Lubac2. Mais quelques pages plus haut (p. 83, note 7), il semble évoquer une autre rencontre entre Gilson et Garrigou-Lagrange: par lant de la communication de ce dernier dans la matinée du lundi 11, le P. de Lubac écrit: «II est vrai que Gilson avait menacé la veille Garrigou-Lagrange, au cours d'une discussion animée, d'intervenir immédiatement, en dépit de tous les règlements, s'il faisait certaines déclarations désagréables». Il s'agirait donc d'un incident survenu le dimanche 10 et d'une menace différente de celle dont j'ai été témoin le samedi 9. En réalité il s'agit bien du même incident survenu le samedi soir, mais le P. de Lubac commet ici deux erreurs: d'abord il situe l'incident le dimanche soir, après la clôture du congrès, en s'appuyant sur le récit du P. Shook (cf. ma note 2); ensuite il attribue à Gilson une menace différente de celle qu'il a proférée devant moi, celle «d'inter venir immédiatement, en dépit de tous les règlements». Quant à l'incident survenu le lundi 11 septembre au début de la séance de l'après-midi, il s'agit de l'intervention du P. Boyer immédiate ment après ma communication: Réflexions sur les «quinque viae». Le P. de Lubac y fait une première allusion p. 84 (note 7), où il a tort de citer Garrigou-Lagrange, car la «réclamation officielle du groupe de Louvain» visait uniquement le P. Boyer, auteur de l'incident. Le P. de Lubac y revient plus explicitement p. 87 (note 9), mais ici son rapport est inexact: «Sur quoi le doyen de Louvain De Raeymaeker se lève et lui demande [à Boyer] au nom de quelle autorité il s'érige en censeur: Boyer doit s'excuser». Rectifions. Mgr De Raeymaeker, Président de l'Institut supérieur de philosophie à Louvain, ne s'est pas levé après 2 Cf. F. Van Steenberghen, In memoriam Etienne Gilson, dans la Revue philoso phique de Louvain, 1978 (76), p. 540. Dans sa biographie de Gilson, le P. Shook situe l'agression du P. Garrigou-Lagrange le dimanche soir, «after the closing session» (du Congrès scolastique) et il m'attribue ce renseignement (cf. L.K. Shook, Etienne Gilson, Toronto, 1984, p. 300). J'avais écrit, en parlant de cette session de clôture: «le P. Garrigou-Lagrange venait de reprocher à Gilson ...», donc avant la session (cf. In memoriam Etienne Gilson, p. 540). Cet avant était la veille, le samedi soir, et j'aurais mieux fait de le dire. J'ai été puni de cette imprécision, car j'ai commis à mon tour, par distraction, l'erreur du P. Shook dans mon article récent, Etienne Gilson et l'Université de Louvain (cf. Revue philos, de Louvain, 1987, pp. 10-11: «Après la fin de la séance ...»). \ 326 Fernand Van Steenberghen l'intervention de Boyer. Mais le soir, après la fin de la session (où l'on avait entendu trois communications après la mienne), il se rendit au secrétariat du congrès pour y rencontrer le P. Boyer. Il lui déclara que son agression était inacceptable dans un congrès scientifique et que, si le congrès poursuivait ses travaux dans le même esprit, il doutait que les autres professeurs de Louvain acceptent d'y prendre la parole. Boyer essaya d'expliquer pourquoi il était intervenu et exprima ses regrets; il promit de clarifier les choses le lendemain au début de la séance. Ce qu'il fit en déclarant qu'il avait parlé à titre personnel et qu'on organiserait le jeudi suivant une «discussio omnino libéra» sur le thème que j'avais exposé. L'ouvrage du P. de Lubac a six Annexes, dont la sixième (pp. 181- 204) est la plus longue et la plus intéressante: «La grande famille des 'thomistes'». La formule est de Gilson (ce qui explique les guillemets, y compris ceux qui entourent le mot 'thomistes': il y a le thomisme suarézien, le thomisme mâtiné à' Action française, le thomisme du P. Mandonnet, celui de Rousselot et de Maréchal, celui de l'École de Louvain, celui de Maritain, lui-même inféodé à Cajetan et surtout à Jean de Saint-Thomas. Le P. de Lubac conclut, avec Gilson, que «l'art d'être thomiste» est un art difficile. Il rappelle que le «fervent scotiste» Mgr F. Guimet parlait de «ce néothomisme protéiforme qui, depuis un peu moins d'un siècle, a couvert de son noble pavillon les entreprises les plus variées, voire parfois les plus suspectes» (pp. 196-197). Et le P. de Lubac ajoute: «II serait difficile de ne pas lui donner raison». Cet exposé appelle quelques mises au point et quelques réflexions. Pour le P. de Lubac, «le principal interlocuteur de Gilson au sein de la 'grande famille', celui avec lequel il devait longtemps entretenir des relations conflictuelles quasi permanentes, est le groupe néothomiste de l'université de Louvain» (p. 185). Cette présentation des choses ne répond pas du tout à la réalité historique. Il est regrettable que le livre du P. de Lubac ait paru quelques mois avant mon article: Etienne Gilson et l'Université de Louvain3: il y aurait trouvé les données qui lui permettaient de rectifier sa relation des faits. Le P. de Lubac écrit: «Fait significatif: ce n'est pas à l'université catholique de Louvain, mais à l'université libre de Bruxelles que le professeur de Sorbonne était venu en décembre 1923, comme 'profes seur d'échange', parler de la scolastique» (p. 198, note 9). Ce fait n'a rien de significatif pour celui qui connaît les situations réelles qui existaient à Louvain au lendemain de la guerre 14-18. Maurice De Wulf était le seul professeur de Louvain qui avait connu Gilson avant la 3 Dans la Revue philos, de Louvain, 1987 (85), pp. 5-21. Les Lettres d'Etienne Gilson au P. de Lubac 327 guerre; il avait eu des relations très cordiales avec son jeune collègue français4; mais après la guerre il habitait Bruxelles et passait la moitié de l'année en Amérique; il n'avait guère de relations avec ses collègues de Louvain, d'autant plus que ses rapports avec le Président de l'Insti tut, Mgr Deploige, étaient assez tendus. Celui-ci avait vécu en France pendant la guerre et uploads/Litterature/ f-van-steenberghen-les-lettres-d-x27-etienne-gilson-au-p-de-lubac.pdf
Documents similaires










-
34
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jui 20, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.6728MB