OUVRAGE TRADUIT PAR JEANNE DE SALZMANN AVEC L'AIDE DE HENRI TRACOL G. GURDJIEFF
OUVRAGE TRADUIT PAR JEANNE DE SALZMANN AVEC L'AIDE DE HENRI TRACOL G. GURDJIEFF RÉCITS D A SO EL É UTH P TIT-FILS Critique objectivement impartiale de la vie des hommes ÉDITIONS DU ROCHER J ean-Pauj BERTRAND Editeur Titre original Beelzebub © by Tnangle Editions Inc., New York 1976 © Editions du Rocher, 1983 ISBN 2-268-00209-8 BIENVEILLANTE RECOMMANDATION improvisée par l'auteur au moment de remettre ce livre à l'imprimeur Les nombreuses déductions et conclusions auxquelles ont abouti mes recherches expérimentales sur le profit que les hommes contemporains peuvent tirer des impressions nou- velles, dues à ce qu'ils lisent ou entendent, me remettent en mémoire une sentence populaire, venue du fond des âges, qui affirme : « Toute prière peut être entendue des forces supérieures et être exaucée, à condition qu'elle soit récitée trois fois : « La première fois pour le bien ou le repos de l'âme de nos parents ; « La deuxième fois pour le bien de notre prochain ; « Et la troisième fois seulement pour notre propre bien. » Et je trouve nécessaire, dès la première page de ce premier livre ·prêt à être publié, de donner le conseil suivant : « lisez trois fois chacun de mes ouvrages : « La première fois, au moins comme vous êtes mécanisés à lire tous vos livres et journaux ; << La deuxième fois, comme si vous en faisiez la lecture à un auditeur étranger ; « Et la troisième fois, en tâchant de pénétrer l'essence même de ce que j'écris. » Alors seulement serez-vous en mesure de vous former un jugement impartial, propre à vous seul, sur mes écrits. Et alors seulement se réalisera mon espoir que vous receviez, selon votre compréhension, le bénéfice déterminé que j'ai en vue pour vous et que je vous souhaite de tout mon être. Chapitre I Eveil du penser PARMI toutes les convictions qui se sont formées en ma « présence intégrale » a\1 cours de ma vie responsable, ordonnée de façon bien singulière, il en est une, inébran- lable, selon laquelle tous les hommes - quel que soit le degré de développement de leur compréhension, et quelles que soient les formes de manifestation des facteurs qui suscitent en leur individualité des idéaux de tous genres - éprouvent, toujours et partout sur la terre, le besoin impé- rieux de prononcer à haute voix, ou tout au moins menta- lement, chaque fois qu'ils entreprennent quelque chose de nouveau, une invocation, compréhensible pour toute per- sonne, {ût-elle des plus ignorantes -. invocation dont les termes ont varié suivant les époques, et qui se formule aujourd'hui par ces paroles : « Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Amen ». C'est pourquoi, au moment d'aborder cette aventure toute nouvelle pour moi -écrire des livres- je commence moi aussi par cette invocation, que je profère à voix haute, bien distincte, et même, comme le disaient les anciens Toutou- sites, avec une « intonation pleinement manifestée » ; cela, bien entendu, dans la mesure où le permettent les données déjà formées en ma présence intégrale et fortement enra- cinées en elle, je veux dire ces données qui se constituent dans la nature de l'homme pendant son âge préparatoire, et qui déterminent plus tard, pendant sa vie responsable, le caractère et la force vivificatrice de cette intonation. Ayant ainsi débuté, je peux être tout à fait tranquille, et je devrais même, d'après les conceptions que nos contem- porains se font de la « morale religieuse », être pleinement 9 RÉCITS DE BELZÉBUTH assuré que désormais dans ma nouvelle affaire « tout ua comme sur des roulettes ». Bref, je commence ainsi ; et, pour le reste, je ne peux que répéter avec l'aveugle : « On verra bien! » Tout d'abord, je pose ma propre main, et qui mieux est, la droite - elle a été légèrement endommagée, autrefois, dans un accident, mais, en revanche, elle est bien mienne et, de toute ma vie, jamais ne m'a trahi -je la pose sur mon cœur, mon propre cœur aussi (je ne trouve pas nécessaire de m'étendre id sur la constance ou l'inconstance de cette partie de mon Tout), et j'avoue franchement que pour moi je n'ai aucune envie d'écrire; mais je m'y vois contraint par des circonstances indépendantes de moi, et dont je ne sais pas encore si elles sont accidentelles ou si elles ont été créées à dessein par des forces étrangères : je sais seulement que ces circonstances m'obligent à écrire non pas quelque bagatelle bonne à lire pour s'endormir, mais bien de gros, d'importants volumes. Quoi qu'il en soit, je commence ... Oui, mais par quoi commencer ? Ah ! diable ! Va-t-elle revenir, cette sensation si étrange et si désagréable, éprouvée il y a trois semaines, tandis que !:éla~ora~s en pensée le programme et l'ordre des idées que J avats resolu de propager, sans savoir non plus par quoi commencer? Je n'aurais pu définir cette sensation que par ces mots : « la peur d'être submergé sous le .flot de mes propres pensées ». Pour faire cesser cette désagréable sensation, j'aurais pu recourir à la funeste faculté que je possède comme tout contemporain - puisqu'elle nous est devenue inhérente - de tout « remettre au lendemain », sans en ressentir le moindre remords de conscience. Et j'aurais pu facilement « remettre au lendemain », car j'avais encore du temps devant moi ; mais aujourd'hui, 10 ÉVEIL DU t>ENSER hélas ! cela n'est plus possible, et coûte que coûte, « dussé-je en crever», il faut que je m'y mette. Mais vraiment, par quoi commencer? Hurrah! ... Eurêka!. .. Presque tous les livres qu'il m'est arrivé de lire dans ma vie commençaient par une préface. Il me faudra donc, moi aussi, commencer par quelque chose de ce genre. Je dis bien « de ce genre », parce que jamais, de toute ma vie, presque dès le moment où je sus distinguer une fille d'un garçon, je ne fis rien, absolument rien, comme les bipèdes mes semblables, destructeurs des biens de la Nature; aussi dois-je maintenant - j'y suis même tenu par principe - écrire autrement que ne le ferait n'importe quel écrivain. Au lieu de la préface de rigueur, je débuterai donc par un simple avertissement. Débuter par un avertissement sera très sensé de ma part, pour cette seule raison que cela ne contredira aucun de mes principes, qu'ils soient organiques, psychiques ou même « extravagants ». En même temps ce sera tout à fait hon- nête, objectivement parlant bien entendu, parce que je m'attends avec une absolue certitude, comme d'ailleurs tous ceux qui me connaissent de près, à ce que mes écrits fassent disparaître chez la plupart des lecteurs, une fois pour toutes - et non pas progressivement comme cela se passe pour chacun tôt ou tard - tous les « trésors » qu'ils possè- dent, trésors transmis par hérédité ou acquis par leur propre labeur, sous forme de « notions tranquillisantes », qui n'évoquent que des images somptueuses de leur vie présente ou de naïfs rêves d'avenir. Les écrivains professionnels commencent ordinairement leurs introductions en s'adressant au lecteur avec toutes sortes de titres pompeux et de phrases ampoulées, pleines de mielleuse emphase. En cela seul je suivrai leur exemple, et commencerai, moi aussi, par une de ces « phrases », en évitant bien entendu 11 RÉCITS DE BELZÉBUTH de la. rendre aussi doucereuse que celles dont ils ont l'habitude, et qu'ils manigancent pour titiller la sensibilité de lecteurs plus ou moins normaux ... Donc ... Mes très chers, très honorés, très résolus et certainement très patients Messieurs, et mes très chères, charmantes et impartiales Dames... Excusez-moi ! j'allais oublier le prin- cipal : et mes nullement hystériques Dames ! J'ai l'honneur de vous déclarer qu'en raison de certaines conditions qui s'imposent à moi en ces dernières étapes du processus de ma vie, je m'apprête bien à écrire des livres, mais sans avoir encore écrit jusqu'ici le moindre ouvrage, ni le moindre « article instructif », ni même une de ces lettres dans lesquelles il eût bien fallu observer ce qu'on appelle la « grammaire »; de sorte qu'aujourd'hui, bien que je devienne un « écrivain professionnel », je n'ai aucune pratique des règles et des procédés littéraires établis, pas plus que de la « langue littéraire de bon ton», et je me vois forcé d'écrire autrement que ne le font les écrivains ordinaires « patentés », à la manière desquels vous êtes depuis longtemps aussi accoutumés qu'à votre propre odeur. Selon moi, ce qui est fâcheux pour vous en tout cela, c'est que, dès l'enfance, il vous a été inculqué un automa- tisme qui s'est parfaitement harmonisé avec votre psychisme général, et qui fonctionne de manière idéale pour la percep- tion de toute impression nouvelle, de sorte que ce « bien- fait » vous épargne désormais, pendant votre vie responsable, toute nécessité de faire le moindre effort individuel. Pour parler franchement, je considère comme l'essentiel de cette confession non pas mon inexpérience uploads/Litterature/ gurdjieff-georges-recits-de-belzebuth-a-son-petit-fils-tome-1.pdf
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- Publié le Sep 04, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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