Notre Librairie Revue du livre : Afrique, Caraïbes, Océan Indien Littérature Ha

Notre Librairie Revue du livre : Afrique, Caraïbes, Océan Indien Littérature Haïtienne Des origines à 1960 No. 132 Octobre – Décembre 1997 Par Léon-François Hoffmann « Entre la catastrophe qu'a représentée l'occupation et la catastrophe que représentera le duvaliérisme, une tragédie: l'assassinat en 1937 par les sbires du dictateur Leonidas Trujillo de plusieurs milliers d’Haïtiens établis du côté dominicain de la frontière. Cette purification ethnique» avant la lettre a été évoquée dans plusieurs romans haïtiens: dans La Case de Damballah se Pétion Savain dès 1939,dans les trop peu connues Semences de la colère d'Anthony Lespès en 1949, dans Compère Général Soleil de Jacques Stéphen Alexis en 1955, et dans Le Peuple des terres mêlées, de René Philoctète en 1993, entre autres. » Page 6 Histoire et Littérature Léon-François Hoffmann Il est normal que l'écrivain s'intéresse au premier chef à l'histoire de son propre pays mais c'est, chez l'Haïtien, de façon presque exclusive. Certes, la Francesca (1873) du romancier Demesvar Delorme nous transporte dans l'Italie de la Renaissance, et son Damné (1877) dans les Alpes, à l'époque de François Ier ; certes, Liautaud Ethéart s'est inspiré de Dante pour composer en 1855 sa pièce Guelphes et Gibelins, mais ce sont là exceptions qui confirment la règle. On chercherait en vain des ouvrages haïtiens mettant en scène l'antiquité romaine, ou les Croisades, ou les combats de libération coloniale ailleurs qu'en Haïti, ou les guerres mondiales. Mon hypothèse de travail sera que, dans la fiction haïtienne (c'est-à-dire la poésie, le théâtre, la nouvelle et le roman), quatre moments de l'histoire du pays sont très présents : d'abord, les années qui suivent l'arrivée de Christophe Colomb, marquées par les souffrances des premiers habitants de l'île et leur extermination aux mains des Espagnols ; ensuite, la lutte pour l'Indépendance et ses séquelles immédiates (1789-1820 à peu près); puis, dans une moindre mesure, l'occupation américaine de 1917-1934 ; enfin, la dictature de François Duvalier (1956-1971), les autres épisodes de l'histoire d'Haïti n'ayant qu'une présence épisodique et accessoire. Pratiquement rien sur la période coloniale 1, sur le règne des différents chefs d'État d'Haïti jusqu'à l'Occupation - celui de l'empereur Faustin Soulouque aurait pourtant de quoi stimuler l'imagination -, sur les conflits qui ont précédé l'arrivée au pouvoir de «Papa Doc »2, ni, jusqu'à présent, sur le règne de son fils Jean-Claude. Si cette hypothèse est juste, elle signale une particularité de la littérature haïtienne: ce contraste entre des périodes hautement privilégiées et d'autres largement dédaignées par les écrivains ne se retrouve guère dans les littératures de l'Europe ou des autres pays de l'Amérique latine. 1. jen'ai en faittrouvé qu'un recueil decontes, Entre maîtres etesclaves, deJean-Joseph Vilaire (Port-au-Prince, Impr. Telhomme, 1943). Curieuse vision des temps del'esclavage : les rapports entre maîtres etesclaves y sont présentés comme harmonieux, pourne pasdire idylliques. 2.Sinon pratiquement rien, dumoins très peudechoses, àpartLeVieux piquet, deLouis- Joseph Janvier (Paris, Impr. A. Parent, 1884), inspiré par larévolte paysanne de1843-1846, Romulus, deFernand Hibhert (Port-au-Prince, Impr. del'Abeille, 1908), quiévoque laguerre civile de1883, etLesChiens, deFrancis-Joachim Roy (Paris, Laffont, 1961), quiraconte la journée de1956 oùéchoua lecoup d'état dePaul Magloire. a - Le génocide des Indiens3 Bien que le thème n'ait été traité que dans un court roman. quelques contes et pièces et un certain nombre de poèmes ', il illustre une interprétation fondamentale de l'histoire nationale et de la personnalité collective haïtienne. Dans ces textes, les conquistadores se révèlent, comme on pouvait s'y attendre, cupides, grossiers,cruels et luxurieux. Ils font subir aux Indiens les pires exactions, les mêmes que les Françaisvont infliger aux Africainsdéportés pour prendre la relève dans l'enfer des plantations.Le lecteur haïtien n'a aucun mal à faire le rapprochement : Espagnols et Françaissont blancs et, dans la mesure où identité nationale se fonde sur l'identificationde l'ennemi, le sien, qu'il s'agisse du conquistador, du colon domingois, du grognard de Bonaparte ou du marine états-unien, a toujours été de escendance européenne. Lenom même d'Haïti étant aborigène, les Indiens deviennent en quelque sorte les premiers Haïtiens : «Ilssont nosancêtres, comme les GauloisdesFrançais, lesQuirites des °mains,les BretonsdesAnglais», écrit VerniaudLeconte 5. Les oyens de la République noire seront leurs vengeurs. Ainsi,dans «Loracle" d'Arsène Chevry,un vieillardindigène se lamente sur le sort de son peuple : - Cependant, le lointainest d'éclairssillonné, Cependant,de la nuitje voissurgir l'aurore! Je voissur le tombeau du peuple infortuné Je voisune autre race éclore. Voici,voicisurgirlà-bas, à l'horizon, Desdemi-dieux, couvrant degloire lesruines: Chavannes, Ogé,Toussaint,Pétion, Dessalines, alut ' ô loi dutalion »6 Cent quarante-quatre ans avant l'Étatd'Israël aux Juifs, la onstitution d'Haïti accordait le droit d'asile à tout Indien au même titre qu'à tout Noir.Ce n'était pas là une stratégie de bovarysme collectif,undésirde se concevoir autre que ce qu'on était'. Ce n'est pas le sang mais le destin qui est partagé, et qui détermine le commun ancrage dans l'identité nationale. Lesidéologues duvaliéristesvoulurent récupérer cette vision de l'histoirehaïtienne. Ils firent dresser la statue de l'Indien inconnu à côté de celle du Nègre marron inconnu sur la place des Héros de n ependance. Lepeuple ne fut pas dupe : à la chute des Duvalier, la statue de l'Indien fut jetée à la mer avec celle de Christophe Colomb,érigée par un précédent gouvernement eurocentriste. 3.POur plusdedétails, onuoudra bien consulter mon article 'L'Élément indien dans la conscience collective des Haïtiens -, Études créoles, XVII. n°1,1994, 11-38. Prince I853 de cestextes sinspirent de/Histoire descaciques d'Haïti dÉmile Nau, Port-au- rince,1853. 5..Une princesse aborigène-, inThéâtre, Paris, Parodi, 1919, p. V. ()i- ..,. H'Ytos, poésies indiennes, Port-au-Prince, Impr. delaJeunesse, 1892, p.56-57. 7. Comme ce fut lecas enRépublique dominicaine, oùquiconque avait dusang noir se pretendait. indio Le génocide des Indiens illustre une interprétation fondamentale de l'histoire nationale et de la personnalité collective haïtienne. Ce n'est pas le sang mais le destin qui est partagé, et qui détermine le commun ancrage dans l'identité nationale. L'épopée de l'Indépendance L'existence même d'Haïti comme pays indépendant semble, aux Haïtiens comme aux étrangers, une anomalie historique, une sorte de miracle.Anomalie, parce qu'aucune révolte d'esclaves n'a réussi avant ou après celle de Saint-Domingue.De plus, aucune des autres Antilles n'a conquis son indépendance par la force et sans aide extérieure. Une sorte de miracle, en ce que nul n'aurait pu prévoir que les insurgeants domingois allaient annihiler les quarante mille soldats envoyés par Bonaparte, pour rétablir l'esclavage avec la domination française. Les premières générations d'écrivains haïtiens ont célébré la naissance du pays de façon obsessionnelle et avec une ferveur quasi mystique. Dans presque chaque numéro des premiers périodiques haïtiens figure une ode à la liberté, un sonnet à la gloire de Dessalines ou de Toussaint, un plaidoyer contre Bonaparte ou l'éloge dithyrambique des héros tombés. En 1836,Le Lambi et Un épisode de la Révolution, deux des trois première nouvelles jamais écrites par un Haïtien, Ignace Nau8, évoquent les faits d'armes des Libérateurs. Le premier roman composé par un Haïtien, Stella, d'Émeric Bergeaud 9,est un récit très détaillé et à peine romancé de l'histoire du pays de 1791à la proclamation de l'Indépendance. Bergeaud écrit, à propos de la matière de son livre : «Cetterévolutionfut aussi grande que pas une. Le peuple qu'elle émancipa peut aujourd'hui s'en glorifier» (p. 322). Des dramaturges comme Pierre Faubert évoquent Ogé ou le préjugé de couleur10 ou, comme Charles Moravia, la victoire de La Crête-à-Pierrot L'exaltation compréhensible des héros correspondait, en outre, à des impératifs politiques. En 1804, à peu près 50 des nouveau? citoyens étaient nés en Afrique.Appartenant à des ethnies aux traditions linguistiques, religieuses, sociales et artistiques très différentes, ils n'avaient guère en commun que d'avoir souffert aux mains des Blancs. Latâche la plus urgente des nouvelles élites était de forger un sens d'identité et de fierté nationales. Les écrivains s'y attelèrent sans hésiter. ————————————— 1 8.Publiées respectivement dans L'Union etdans LeRépublicain. 9.Paris, Dentu, 1859. 10. Paris, Impr. deMoquet, 1856. 11. Port-au-Prince, Imprj.Verrollot, 1908. Les premières générations d'écrivains haïtiens ont célébré la naissance du pays avec ferveur. Le général Jean-Jacq Dessalines (1758-1 23 Lauto-glorification patriotique, l'évocation devenue rituelle de rofsme national ne s'estompera qu'à peine avec les générations suivantes.Des recueils poétiques sont consacrés aux gloires passées : LePanthéon haïtien d'Emmanuel Édouard (1885),par exemple12, Oules Poésies nationales (1892) de MassillonCoicou13.Lespoètes Contemporainssuivent encore la tradition ; l'un des plus célèbres des Poèmes créoles de Félix Morisseau-Leroycommence ainsi : Mèsi,Desalin Papap Desalin, mèsi Chakfwa m-santi sa m-ye Chakfwa m-tandeyon nèg koloni èg kipokolib pale M-di: Desalin, mèsi.» DansUnarc-en-ciel pour l'Occident chrétien15, René Depestre celebre les principaux esprits du panthéon vaudou, mais aussi Makandal,précurseur de la révolte des esclaves, et Toussaint Louv erture, et Dessalines.L'épopée fondatrice continue d'inspirer les dramaturgescomme Jean Métellus, par exemple, avec Le Pont Rouge 16. hL'histoire d'Haïti n'est hélas pas seulement source de fierté mais de hon e depuis l'Indépendance, elle témoigne trop souvent de luttes estIne, d'instabilité politique et d'alternance de despotisme et d'à le- Lescliques qui se succèdent au pouvoir s'enrichissent aux epens de la nation ; la dégradation sociale et écologique va en Qgravant. Lagrandeur des Fondateurs, Louverture,Dessalines, Pétion, qui avaient provoqué la crainte et l'admiration du monde entier fait ressortir la médiocrité de leurs successeurs qui, eux, n'inRirent trop souvent que sarcasme ou dégoût. Dans son roman La engeanc uploads/Litterature/ histoire-et-litterature-haitienne-assassinat-en-1937-par-les-sbires-du-dictateur-leonidas-trujillo.pdf

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