DES FORMES FANTASTIQUES AUX THÈMES FANTASMATIQUES Author(s): Jean Bellemin-Noël

DES FORMES FANTASTIQUES AUX THÈMES FANTASMATIQUES Author(s): Jean Bellemin-Noël Source: Littérature , MAI 1971, No. 2, RABELAIS, CONSTANT, FLAUBERT, SARRAUTE (MAI 1971), pp. 103-118 Published by: Armand Colin Stable URL: https://www.jstor.org/stable/41704231 JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at https://about.jstor.org/terms is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Littérature This content downloaded from 193.219.95.139 on Mon, 02 Aug 2021 14:45:40 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms Jean Bellemin-Noël, Paris VIII. DES FORMES FANTASTIQUES AUX THÈMES FANTASMATIQUES L'originalité essentielle de Tzvetan Todorov dans son Introduction à la littérature fantastique (collection « Poétique », Éd. du Seuil, 1970) tient à son projet d'instituer une approche formelle, voire formaliste , d'un genre jusqu'ici étudié à partir de son contenu. De P.-G. Castex à Louis Vax en passant par Marcel Schneider et Roger Gaillois, le fantastique a été défini par l'intrusion de l'inadmissible dans le monde communément admis. Le méca- nisme reposait sur la mise en jeu de phénomènes « insolites », c'est-à-dire à fois inattendus et inexplicables, impossibles à intégrer dans un univers v par les acteurs et le lecteur comme réel (comprenons : organisé de mani à rendre compte des expériences et des perceptions communes à la major des êtres humains appartenant à la [à notre] civilisation, lieu de tous les consensus). Décrire les différents aspects de cette littérature pouvait revenir à dresser une liste des événements habituellement évoqués, en les regroupant sous diverses rubriques plus ou moins rationalisées. La première intention de Todorov fut de remplacer les inventaires de sujets par des critères plus spécifiquement littéraires. S' agissant d'un genre , perçu à tort ou à raison comme tel, le répertoire des êtres qu'il met en scène et des situations qu'il présente semble peu capable de fournir des indications vraiment déterminantes. Depuis les Histoires prodigieuses de Boaïstuau jusqu'aux modernes collections d'anti- cipation , un très grand nombre d'œuvres littéraires peuvent relever du fantastique : si la conjugaison de l'insolite avec l'impressionnant constitue un dénominateur commun acceptable, l'on n'a aucune raison de ne pas faire voisiner Cyrano de Bergerac et Robbe-Grillet, sans parler du Kaleuala et de la Divine Comédie. En outre, les approches critiques contemporaines répugnent à s'engager dans un champ dont la littérarité ne fixe pas les axes et les limites, avec les perspectives que cela ouvre à une analyse de type formel. Dans le cas particulier de Todorov, le désir de caractériser scientifi- quement les genres correspond à un souci théorique nettement affirmé qui s'inscrit dans la préoccupation plus large d'une « poétique » (dont il a tracé les grandes lignes dans Qu'est-ce que le structuralisme?). Il serait en effet précieux de pouvoir classer telle ou telle œuvre dans un genre précis : cela suppose qu'on possède la liste exhaustive des traits qui en constituent le discours spécifique. Si l'on pouvait établir par exemple que toutes les manières de raconter une histoire fantastique doivent obligatoirement faire appel à un nombre restreint de marques distinctives, - je + passé simple + n actants particularisés + moment d'apparition du « monstrum »/moment 103 This content downloaded from 193.219.95.139 on Mon, 02 Aug 2021 14:45:40 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms de la prise de conscience du sujet + descriptions initiale /finale + enchaîne- ment gradué de x épisodes (x étant compris entre deux extrêmes) + dépla- cement orienté dans l'espace et /ou dans le temps, etc., - il serait certes com- mode de mesurer un texte à l'étalon de la structure-type . Commode, mais utopique. Todorov montre avec raison que la taxinomie des sciences dites humaines repose sur un corpus que la production de chaque spécimen modi- fie indéfiniment, si bien qu'on tourne en rond. Car si la naissance d'un nou- veau tigre confirme le profil biologique de la tigritude (p. 10), l'addition d'une unité à un ensemble d'œuvres littéraires tend par principe à le trans- former, ce qui rend les contours du genre perpétuellement fluctuants; à moins que l'on ne soit dans la « sous-littérature », qui compose à partir de recettes éprouvées en imitation du Modèle et refuse d'enrichir la catégorie ou de bous- culer les habitudes du lecteur. Les descriptions de type scientifique (par réfé- rence aux sciences exactes) sont à proprement parler impraticables en litté- rature. En admettant que l'analyse structurale du genre ne s'accommode pas des principes d'une activité classi ficatoire rigoureuse, du moins peut-on espé- rer d'isoler certaines constantes en même temps qu'un schéma différentiel. Ce qui dans ces conditions caractérise le fantastique aux yeux de Todo- rov - il reprend en apparence des formules déjà proposées, mais il les radi- calise tout en en déplaçant l'accent - , c'est la présence dans le texte d'une hésitation entre deux séries d'explications du phénomène insolite. Il instaure ainsi trois situations limites : si le phénomène est à la fin justifié « naturelle- ment » grâce à une révélation ingénieuse, alors il s'agit d'« étrange »; si le phénomène est renvoyé à des hypothèses « surnaturelles » plus ou moins prises au sérieux, on parlera de « merveilleux »; le « fantastique », entre les deux, se situe sur une ligne de partage telle que, de manière idéale, l'hési- tation à donner une explication soit infiniment prolongée en un point ď interrogation qui est à lui-même sa seule raison d'être. Cette première construction ne manque pas de pertinence. A présenter les choses ainsi, il est encore possible d'aller plus loin dans le même sens; Lovecraft 1 fournit l'exemple d'un mécanisme perfectionné dans lequel non seulement le nar- rateur s'interroge sans pouvoir trancher sur les interprétations possibles du phénomène, mais où l'impossibilité même d'opter pour une solution est le ressort de chaque nouvelle, décelable à son point de départ; comme si, à la lettre, la position fantastique exigeait un doute préalable. Le para- doxe de Lovecraft est fréquemment formulé ainsi : « Puissé-je être fou, afin que tout ceci soit une hallucination, car si c'était réel ce serait par trop inquiétant! » De la sorte, la trame du récit, qu'elle soit cachée, avouée ou lisible en filigrane, paraît avant tout constituée par une mise en question de la Question [du fantastique]. Il s'agit toujours plus ou moins nettement de s'interroger sur la légitimité d'une interrogation. On observe que si le protagoniste de l'aventure se pose des questions sur le sens immédiat de ce qu'il est en train de vivre et qui n'est pas clair, le narrateur de l'histoire (quoique protagoniste et narrateur ne forment en droit qu'un seul et même « personnage », on y reviendra) de son côté attire l'attention sur 1. Lovecraft, qui réfléchissait beaucoup sur son art, met dans la bouche du nar- rateur d'une de ses nouvelles (Celui qui hantait les ténèbres) ces paroles qui eussent pu offrir une épigraphe au livre de Todorov : après avoir exposé rapidement deux explications possibles de la mort d'un jeune écrivain amateur de fantastique, nommé Blake, il déclare : « Nous laissons au lecteur le soin de choisir lui-même entre ces deux opinions. Quant à nous , après avoir étudié le journal intime de Blake avec objectivité, nous allons donner ici un résumé des événements en nous plaçant au point de vue de V ac- teur principal . » Le mécanisme peut-il être démonté de façon plus explicite? 104 This content downloaded from 193.219.95.139 on Mon, 02 Aug 2021 14:45:40 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms une autre problématique, qui se laisse résumer dans la question : « Est-il possible qu'une telle situation [question] se présente [se pose] ? » La raison de la séparation entre protagoniste et narrateur, comme deux instances qui prennent à leur charge l'articulation d'une même formule, retiendra un instant l'attention. L'explication est claire au niveau du procédé d'écriture : le pathétique gagne toujours à être mis à distance. Un témoin est mieux placé qu'une victime pour rendre compte de l'importance des affects que celle-ci éprouve, puisqu'il les déchiffre dans leurs signes irrécusables; aux signes qu'il constate il substitue des signes linguistiques, et le processus de verbalisation tire de son propre travail un surcroît d'efficacité. De toute manière, lorsque la victime elle-même raconte ce qui lui est arrivé, elle fait retour sur une situation passée qui, dans l'instant, l'absorbait tout entière, et qu'elle ne peut narrer qu'à un moment différé. Telle était déjà la signifi- cation du chœur dans la tragédie antique; tel aussi le sens du récit d'Ulysse aux Phéaciens. Cette différenciation (partage des rôles ou succession tempo- relle) constitue un relais qui permet l'amplification - par exemple de la peur - dont la nécessité est évidente. En outre, ce relais a pour fonction d'assurer la crédibilité de l'aventure : celui qui parle est un homme de sang- froid à uploads/Litterature/ j-bellemin-noel-x27-des-formes-fantastiques-aux-themes-fantasmtatiques-x27.pdf

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