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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : info@erudit.org Article « L’évaluation des traductions vers l’arabe chez les traducteurs du moyen âge » Myriam Salama-Carr TTR : traduction, terminologie, rédaction, vol. 6, n° 1, 1993, p. 15-25. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/037136ar DOI: 10.7202/037136ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 8 August 2016 03:13 L'évaluation des traductions vers l'arabe chez les traducteurs du moyen âge1 Myriam Salama-Carr Outre une abondante production qui aura permis de conserver une partie des sciences de la Grèce antique, on doit aux efforts des traducteurs de Bagdad, aux IXe et Xe siècles, des réflexions fort enrichissantes sur les critères de traduction et l'évaluation des travaux réalisés. S'il est difficile de parler de «normes», étant donné le flou terminologique qui caractérise la réflexion d'alors sur la traduction, il n'en demeure pas moins que les notions de fidélité en traduction et d'intelligibilité sont bien présentes dans le discours des praticiens et des observateurs. Le corpus traduit La traduction vers l'arabe du corpus médical et philosophique de la Grèce antique, constitué parfois de textes apocryphes, corpus lui-même transmis par l'intermédiaire des commentateurs de langue syriaque, est le plus souvent présentée quant à son volume et à son importance dans l'élaboration d'un système de pensée et de terminologies connexes, en l'occurrence la culture 1. Les traductions françaises des citations arabes sont de l'auteure. 15 arabo-islamique qui se précisait aux VIIIe, IXe et Xe siècles. L'accent est mis également sur le rôle que ces traductions et l'exégèse qui les accompagnait, sous forme de commentaires, de réfutations et de manipulations du texte source, ont pu jouer, devenant ainsi textes sources dès le Xe siècle dans l'élaboration, cette fois, de la pensée et de la science de l'Occident médiéval2. La traduction vers l'arabe s'inscrit dans un cadre qui la privilégie. La propagation des sciences grecques remonte au quatrième siècle avant J.-C. et l'École d'Alexandrie était devenue un foyer d'études hellénistiques. Des œuvres philosophiques et médicales, des commentaires néoplatoniciens, furent transmis aux monastères orientaux, au même titre que les écrits chrétiens, et traduits en langue syriaque. Les premières traductions arabes, au VIIe siècle, visaient essentiellement à faciliter le fonctionnement du nouvel empire. D'ordre administratif, ces travaux de traduction concernaient registres fiscaux et archives. Certaines traductions médicales et philosophiques datent certes de cette époque mais c'est sous les Abbassides que furent traduites les œuvres les plus importantes d'Aristote, accompagnées de leurs commentaires néoplatoniciens, certains écrits de Platon et la plus grande partie du corpus galénique, souvent à partir de versions syriaques des originaux grecs. La critique des traductions Deux sources majeures et complémentaires nous informent sur la qualité de ces traductions et les critères d'évaluation qui semblent avoir été appliqués. La première repose sur la critique textuelle de ces traductions, par rapport à leurs originaux si ces derniers existent toujours ou par référence à des versions parallèles d'un même texte parfois distantes de plusieurs siècles. La deuxième, en quelque sorte plus fragmentée, se fonde sur la 2. Voir, entre autres, Juan Vernet, Ce que la culture doit aux Arabes d'Espagne (Paris, Sindbad, La Bibliothèque arabe, 1985) et Geneviève Contamine (dir.), Traduction et traducteurs au Moyen Âge, (Paris, Édition du CNRS, 1989). 16 lecture des historiographies médiévales arabes3, des réflexions qui nous sont restées des praticiens et des observateurs, sensibles aux problèmes posés, en marge parfois des manuscrits mêmes et en préface des traductions. C'est ici que pourrait se situer, à notre avis, une esquisse de réflexion traductologique. Il est fréquent dans ces historiographies arabes d'établir des comparaisons entre les premières traductions et des versions plus tardives, ou même entre traductions syriaques et versions arabes et ces comparaisons permettent de dégager certains critères de traduction qui font intervenir les notions de fidélité et de style et toute une conception de l'acte de traduire sous forme de jugements de valeur, les traductions sont «bonnes» ou «mauvaises» et revaluation s'accompagne généralement d'une tentative de définir les problèmes inhérents à une traduction particulière. Les conditions préalables à la traduction: connaissance du sujet, connaissance des langues, prise en compte du destinataire En l'absence de cadre théorique, il est néanmoins possible de relever dans le corpus disponible certains paramètres de la traduction sous forme de conditions préalables à la production de traductions satisfaisantes, à savoir la connaissance du sujet traité, la compétence linguistique en matière de langue source et langue cible et, dans une certaine mesure, la prise en compte du destinataire. Les historiographes avancent le thème de la spécialisation et de la connaissance du sujet pour justifier la qualité de certaines traductions. C'est ainsi que la qualité de médecin de Hunayn Ibn Ishaq (mort en 873), l'un des plus célèbres traducteurs de l'école de Bagdad et des traducteurs du Moyen Âge, et son intime connaissance des œuvres de Galien expliqueraient l'excellence de ces traductions médicales. En revanche, les travaux de ce même traducteur dans le domaine des mathématiques auraient nécessité une révision: 3. Notamment Al-Fihrist (l'Index) d'Ibn Al-Nadîm, qui date du IXe siècle et sur lequel se fondent la plupart des historiographies postérieures. 17 Les livres de Hunayn Ibn Ishaq n'avaient pas besoin de correction, excepté dans les sciences mathématiques car il n'était pas versé en mathématiques mais il l'était en médecine, logique, physique, métaphysique, et ce qu'il traduisit en ces matières n'avait pas besoin d'une révision ou correction4. La connaissance des langues de travail intervient fréquemment pour évaluer les travaux de traduction. Les historiographes insistent sur la maîtrise qu'avait Hunayn de la langue arabe, langue cible, ou de sa connaissance du grec et du syriaque. Hunayn rappelle d'ailleurs dans son épître5 sa maîtrise de la langue ou attribue la faiblesse de certaines traductions effectuées par ses collaborateurs ou par les traducteurs de «générations» antérieures au manque de compétence linguistique des auteurs de ces traductions. Cette épître représente un document particulièrement révélateur qui est tout à la fois nomenclature — le traducteur y cite les ouvrages de Galien qu'il aurait traduits ou dont il aurait revu les traductions arabes et syriaques — et recueil d'observations fort pertinentes sur la pratique de la traduction. L'auteur insiste sur la prise en compte du destinataire et annonce qu'il va préciser pour qui chacun de ces traités fut traduit puisque «la traduction dépend de la compétence du traducteur et est fonction du destinataire»6. Hunayn illustre ces propos en faisant observer que la traduction du Pouls de Galien était particulièrement soignée et peaufinée du fait de la «faculté de compréhension du destinataire et de son application à la 4. Al-Çafadî (compilateur du XIV e siècle) cité par Bahâ' al-Dîn al- câmilî, Al-KaSkûl, édition Taher al-Zawi (Le Caire, 1961), vol. I, p. 388. 5. Hunayn Ibn Ishaq, «Risâlat ila cAlî Ibn Yahya fi Dhikr ma Turjima min Kutub Jalinûs bi llmihi wa baccl ma lam Yutarjam», édité par G. Bergstrasser avec texte arabe et traduction allemande, lieber die Syrischen und Arabischen Galen Uebersetzungen, (Leipzig, 1925). 6. Ibid., p. 2. 18 lecture des textes»7. Même explication donnée pour sa traduction du Traité sur les os destinée à Ibn Mâsawaya (777-857), de l'École de médecine de Jundisapûr, en Perse: «je visais à en donner le contenu avec le maximum de concision et d'explicitation car cet homme aime la clarté et nous exhorte à parler clairement»8. La dimension didactique n'est certainement pas absente et l'accent est mis sur l'intelligibilité et la clarté. Les traductions ne s'adressaient pas nécessairement à des spécialistes mais devaient servir à former des médecins. La traduction d'un texte de Proclus fournit un exemple particulièrement frappant de cette prise en compte du lecteur où le traducteur devient porte-parole d'un vaste discours philosophique et théologique. Le traducteur, Ishaq Ibn Hunayn, fils et collaborateur de Hunayn, aurait traduit l'expression grecque signifiant La Cause ou Le Principe du Tout par Dieu le très Haut pour ne pas heurter la sensibilité de ses correligionaires ou du monde musulman ou pour faciliter, sur le plan conceptuel, l'acceptation de ce texte et cela dans une version décrite pourtant comme littérale9. Des traductions plus hâtives réalisées au début du IXe siècle furent reprises plus tard et c'est la critique de ces traductions par rapport à leurs versions plus tardives qui laisse entrevoir les critères d'évaluation autour desquels s'articulait alors le discours sur la traduction et qui permet de retrouver le 7. Ibid., p. 6. 8. Ibid., p. 7. 9. A. R. Badawi, la Transmission de la philosophie grecque au monde arabe (Paris, Vrin, coll. Études de philosophie médiévale LVI, 1968), p. 72. 19 postulat de la fidélité à la uploads/Litterature/ l-x27-evaluation-des-traductions-vers-l-x27-arabe-chez-les-traducteurs-du-moyen-age.pdf

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