K L I N C K S I E C K Les Vœux du Paon de Jacques de Longuyon : originalité et
K L I N C K S I E C K Les Vœux du Paon de Jacques de Longuyon : originalité et rayonnement sous la direction de Catherine Gaullier-Bougassas Les Vœux du Paon de Jacques de Longuyon : originalité et rayonnement sous la direction de Catherine Gaullier-Bougassas ouvrage publié avec le concours du Centre national du Livre Klincksieck 237 L’héritage hispanique des Vœux du Paon Dans les pages qui suivent, nous allons tenter de résumer les données relatives à la présence de l’œuvre de Jacques de Longuyon dans la pénin- sule Ibérique. Il s’agira plus précisément d’évoquer l’existence d’un poème perdu ; de suivre la piste de plusieurs textes dans deux espaces géo-poli- tiques différenciés, le royaume de Castille et la couronne d’Aragon ; de retrouver la pratique des vœux chevaleresques ainsi que le motif des Neuf Preux ; d’explorer enfin les contextes qui nous permettent d’entr’aperce- voir l’influence des Vœux du Paon sur la construction de formes cultu- relles propres aux réalités hispaniques à la fin du Moyen Âge. Les limites que nous nous sommes données sont celles de la fin du XVe siècle : c’est pourquoi nous ne parlerons pas de la traduction du Perceforest réalisée par Fernando de Mena en 1576-1578 1. Nous n’étudierons pas non plus un roman fondamental pour comprendre les idéaux chevaleresques pénin- sulaires, le Tirant lo Blanc de Joannot Martorell, composé entre 1460 et 1465, où l’on trouve des vœux inspirés sans doute des vœux du Faisan prononcés par Philippe le Bon en 1454 2. Commençons donc par le poème perdu et entamons l’enquête. 1. Manuscrits II-266 (Livre I du Perceforest) et II-267 (Livre II) de la Real Biblioteca, Madrid. On lit à l’incipit : « Primera y segunda parte de la antigua y moral historia del noble rey Persefores y del esforçado Gadifer, su hermano, reyes de Inglaterra y Escoçia. Traducida de la lengua françesa en la nuestra castellana por Fernando de Mena ». Voir I. Michael, « The Spanish Perceforest : a Recent Discovery », Studies in Medieval Literature and Languages in memory of Frederick Whitehead, éd. W. Rothwell et al., Manchester, University Press, 1973, p. 209-218. 2. R. Beltrán Llavador, Tirant lo Blanc, de Joannot Martorell, Madrid, Síntesis, 2006. Il existe une traduction intégrale en français du texte catalan, qui remplace Amaia Arizaleta, Université de Toulouse Francisco Bautista, Université de Salamanque Rafael Beltrán, Université de Valence AMAIA ARIZALETA, FRANCISCO BAUTISTA, RAFAEL BELTRAN 238 Íñigo López de Mendoza, marquis de Santillana (1388-1458), l’une des grandes figures politiques de son temps et le plus célèbre des poètes castillans du XVe siècle, écrivit plusieurs lettres à des personnalités contem- poraines afin de leur présenter son art littéraire. En 1449, il en adressa une au connétable de Portugal, l’Infant don Pedro. Il y exposait une brève histoire de la littérature occidentale. Lorsque, après avoir passé en revue la maîtrise technique des troubadours catalano-provençaux, il décida d’énu- mérer les poèmes castillans, le marquis réserva une place d’honneur à ceux écrits en strophes de quatre vers alexandrins monorimes. C’est cette partie de sa lettre qui nous intéresse aujourd’hui : Entre nosotros usóse primeramente el metro en asaz formas, así como el Libro de Alexandre, los Votos del Pavón, e aun el Libro del Arçipreste de Hita ; e aun desta guisa escrivió Pero López de Ayala el Viejo un libro que fi zo de las maneras del palaçio e llamaron los Rimos 3. [Chez nous, on a employé des formes métriques fort variées, comme par exemple celles du Libro de Alexandre, des Votos del Pavón, et aussi du Libro del Arçipreste de Hita ; et c’est également de cette façon que Pero López de Ayala le Vieux écrivit un livre sur les manières du palais, qui fut appelé les Rimes (traduction A. Arizaleta)]. Entre deux références au Libro de Alexandre anonyme et au Libro de buen amor de Juan Ruiz, un titre, le titre d’un poème qui n’est pas parvenu jusqu’à nous : les Votos del Pavón, les Vœux du Paon. Le témoignage du mar- quis de Santillana nous autorise à croire que ce poème perdu n’était autre que la version castillane de l’œuvre de Jacques de Longuyon. Ajoutons à ceci les éléments suivants 4 : 1) les textes cités par Íñigo López de Mendoza ont été écrits entre le début du XIIIe siècle et la fin du XIVe siècle ; 2) l’ordre des titres dans l’énoncé fait penser que cette traduction castillane des Vœux serait antérieure au Libro de buen amor (ou Libro del Arcipreste) qui date de 1330-1343, ce qui signifierait que le poème français serait très rapidement l’adaptation qu’en donna le comte de Caylus en 1737 : J. M. Barberà, Tirant Le Blanc, Toulouse, Anacharsis, 2006. 3. Íñigo López de Mendoza, Marqués de Santillana, Obras completas, éd. À. Gómez Moreno et M. P . A. M. Kerkhof, Barcelona, Planeta, 1988, p. 448. 4. Pour les deux premiers points, voir C. Alvar et J. M. Lucía Megias, Diccionario filológico de literatura medieval española. Textos y transmisión, Madrid, Castalia, 2002. L’HÉRITAGE HISPANIQUE DES VŒUX DU PAON 239 arrivé dans la péninsule ; 3) ces Vœux castillans auraient été composés en alexandrins espagnols, selon le modèle du quatrain monorime, modèle introduit dans les lettres hispaniques par le Libro de Alexandre ; ces Vœux castillans auraient donc reconnu et adopté la forme du plus influent des textes sur Alexandre le Grand composé dans l’espace péninsulaire, ce qui paraît somme toute assez naturel, étant donné que le Libro de Alexandre avait été lui-même façonné à partir du Roman d’Alexandre 5. Les Vœux de Jacques de Longuyon étaient donc très vraisemblablement connus, dans la première moitié du XVe siècle, dans la péninsule. Cela dit, nous ne possédons pas de preuves formelles de la présence du texte dans les bibliothèques hispaniques. L’argument le plus solide qu’on a l’habitude d’invoquer pour démontrer son influence dans la littérature hispanique est celui de quelques fragments du Victorial, texte castillan du premier tiers du XVe siècle, comme on verra plus bas. Cela dit, il semblerait qu’avant d’arri- ver en Castille, le poème de Jacques de Longuyon soit passé par l’Aragon, plus précisément par la cour de Pierre IV le Cérémonieux (1319-1387), grand roi lecteur, admirateur de la littérature française. Pierre IV possédait des romans comme le Lancelot et le Tristan en prose ou bien la Queste del Saint Graal, mise en catalan par Gabriel Rexach en 1380 6. Certes, nous ne disposons pas de nombreuses preuves textuelles, mais les inventaires des biens du monarque abondent en témoignages indirects qui indiquent que la maison royale d’Aragon goûtait fort les textes français : on y trouve des livres sur la Table ronde, le Liber regis Meliadux, un autre de Tristan avec des enluminures (peut-être celui qui a été cité plus haut). Les enfants du roi possèdent aussi des textes, comme le Roman de Renart, le Roman de la Rose et même un livre sur Godofredo de Billo, commandé par l’infant Jean en 1385. La reine Sibilia de Fortià, dernière épouse de Pierre IV, avait une femme de chambre appelée Isolda (Iseut), et le prince Jean donna les noms de Tristan, Paris, Ogier, Merlin et Amadís à ses chiens. Le roi Pierre avait acheté, pendant son mariage avec sa troisième femme, Éléonore de Sicile, plus de trente tapis, brodés à Avignon, Montpellier et Paris. Les « estoires » représentées appartenaient à l’Ancien Testament, à la 5. A. Arizaleta, La Translation d’Alexandre. Recherches sur les structures et les significa- tions du Libro de Alexandre, Paris, Klincksieck, 1999. 6. I. de Riquer, « La literatura francesa en la Corona de Aragón en el reinado de Pedro el Ceremonioso (1336-1387) », Imágenes de Francia en las letras hispánicas, Barcelona, PPU, 1989, p. 115-126 et « Los libros de Violante de Bar », Las sabias mujeres : educación, saber y autoría (siglos III-XVII), Madrid, 1994, p. 161-172. AMAIA ARIZALETA, FRANCISCO BAUTISTA, RAFAEL BELTRAN 240 mythologie gréco-latine, à la littérature française : l’un de ces tapis figurait des épisodes de l’histoire de Richard Cœur de Lion, un autre celle du « pas de Saladin », un autre encore le sommeil de Lancelot. Cependant, le tapis qui nous intéressera le plus est celui, acheté en 1351, pour lequel le roi paya la forte somme de 50 florins d’or, qui représentait l’Istoria novem militum. Celui-ci fut l’une des premières acquisitions du roi, qui tenait sans doute à montrer sa grandeur à ses courtisans, lesquels admireraient sur les murs des palais de Barcelone (ou peut-être de Saragosse, Valence ou Perpignan) 7 une belle scène construite autour des Neuf Preux. En 1356, le même roi s’intéressa, dans une lettre destinée au trésorier de la cathé- drale de Gérone, à une autre tenture où apparaissaient Jules César, Hector, Alexandre, Judas Maccabée, Josué, Charlemagne, Godefroy de Bouillon et le roi Arthur. Pierre IV, friand de nouveautés, dut être le vecteur de transmission de l’œuvre de Jacques de Longuyon. Car une autre donnée, qui concerne également ce monarque, suggère la possibilité que la cour catalano-aragonaise ait vécu au rythme uploads/Litterature/ l-x27-heritage-hispanique-des-voeux-du-paon.pdf
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- Publié le Jui 26, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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