CANADIAN JOURNAL OF EDUCATION 32, 2 (2009): 317‐343 ©2009 Canadian Society for

CANADIAN JOURNAL OF EDUCATION 32, 2 (2009): 317‐343 ©2009 Canadian Society for the Study of Education/ Société canadienne pour l’étude de l’éducation La dimension affective du rapport à l’écrit d’élèves québécois Suzanne‐G. Chartrand & Michèle Prince Université Laval Comprendre le rapport à l’écrit des élèves est essentiel pour agir sur le développement de leurs capacités langagières, clé de voute du développement intellectuel, de la réussite sco‐ laire et de l’épanouissement personnel et social. La recherche Scriptura sur les activités de lecture et d’écriture menées dans les classes d’histoire et de science du secondaire au Qué‐ bec a exploré le rapport à l’écrit des élèves. Les réponses de 1 150 élèves à un questionnaire et d’entretiens avec sept élèves de 4e secondaire permet de décrire, du moins en partie, une des dimensions de ce rapport à multiples facettes, la dimension affective. Il ressort une nette différence entre le rapport à l’écrit des filles et celui des garçons, du moins dans sa dimension affective. Par ailleurs, le manque d’intérêt de tous les élèves pour la lecture et l’écriture en histoire et sciences est manifeste. Mots clés : adolescence, affectivité, compétences langagières, enseignement secondaire litéracie, rapport à l’écrit Understanding students’ relationship to writing and reading is essential to the develop‐ ment of their language abilities, the keystone of their intellectual growth and academic success, as well as their social and personal well‐being. The Scriptura research project on reading and writing, which was conducted in secondary history and science classes in Quebec, studied students’ relationship to writing and reading. Results from 1150 question‐ naire responses, and in‐depth interviews with seven tenth‐grade students, allow a partial description of one of the many facets of this relationship, the affective dimension. Our study shows a significant difference between boys’ and girls’ relationships to writing and reading, at least in the affective aspects. Furthermore, all students show a marked lack of interest in writing and reading in history and science classes. Key words: adolescence, affectivity, language skills, literacy, relationship to writing and reading, secondary education _____________________________ 318 SUZANNE‐G. CHARTRAND & MICHÈLE PRINCE Un niveau élevé de litéracie1 est devenu une condition essentielle d’épanouissement personnel et social dans les sociétés développées (Bar‐ ré‐De Miniac, 2002; Barré‐De Miniac, Brissaud & Rispail, 2004). Aussi, les systèmes scolaires doivent‐ils s’assurer que le plus grand nombre d’élèves atteignent les capacités de lecture et d’écriture2 adéquates pour réussir leurs études et s’épanouir. Dans cet article, après avoir présenté la problématique du développement des capacités langagières des élèves et du rôle qu’y joue leur rapport à l’écrit, nous définissons la notion de rapport à l’écrit et exposons plus particulièrement sa dimension affecti‐ ve. Par la suite, nous présentons la méthodologie du volet de la recher‐ che Scriptura qui porte sur les conceptions et les pratiques de l’écrit d’élèves du secondaire québécois. Suivront l’exposé et la discussion des principaux résultats de l’analyse des questions de l’enquête menée au‐ près de 1 150 élèves québécois du secondaire et de sept entretiens qui permettent de décrire, du moins en partie, la dimension affective du rapport à l’écrit de ces élèves. LA PROBLÉMATIQUE : CAPACITÉS LANGAGIÈRES, APPRENTIS‐ SAGE ET DÉVELOPPEMENT Depuis très longtemps, philosophes, psychologues et pédagogues met‐ tent en lumière le rôle déterminant du langage dans le développement cognitif. Puisant dans l’œuvre de Lev Vygotski, en particulier dans Pen‐ sée et langage (1997) où le langage écrit est conçu comme une fonction psychique supérieure qui modèle la cognition, des didacticiens du fran‐ çais développent depuis près de vingt ans des théories ou des formalisa‐ tions de l’activité scripturale (Bronckart, 1996; Schneuwly, 1995, 2002), de la compétence scripturale (Chartrand & Blaser, 2008a; Dabène, 1987; Reuter, 1996, 2002) et du sujet scripteur (Barré‐De Miniac, 1995; Penloup, 1 Par litéracie (aussi orthographiée littératie), nous entendons la socialisation aux prati‐ ques de l’écrit et une maitrise de la lecture et de l’écriture. Pour une histoire de ce mot et de son orthographe, voir Jaffré (2004). 2 Nous préférons parler de capacités langagières plutôt que de compétences, vu, entre autres la polysémie de ce terme (Bronckart, Dolz, & Pasquier, 1993; Bronckart & Dolz, 2000; Joshua, 1999). LA DIMENSION AFFECTIVE DU RAPPORT A L’ECRIT 319 2000). Depuis une dizaine d’années, les didacticiens du français explo‐ rent les liens entre appropriation, construction des connaissances et lan‐ gage écrit, ce qui est désigné comme la fonction cognitive ou épistémique de l’écrit (Barré‐De Miniac & Reuter, 2000, 2006; Blaser, 2007; Chabanne & Bucheton, 2002, Chartrand & Blaser, 2006, 2008b; Chartrand, Blaser, & Gagnon, 2006). Par ailleurs, dans le monde anglo‐saxon, depuis plus de vingt‐cinq ans, la reconnaissance du rôle du langage dans le processus de construction des connaissances en contexte scolaire a alimenté un im‐ portant champ de recherches, dont les mouvements Writing across the Curriculum (Halliday & Martin, 1993; Langer & Applebee, 1987; Sutton, 1995) et Language for academic Purposes (Commander & Smith, 1996; McCrindle & Christensen, 1995). Sous l’influence de ces mouvements, plusieurs pratiques d’apprentissage au moyen d’activités d’écriture ont été expérimentées à tous les ordres d’enseignement aux États‐Unis et en Australie, dans différentes disciplines (Ackerman, 1993; Ochsner & Fo‐ wler, 2004; Rowel, 1997). Ce champ de recherches rejoint les préoccupa‐ tions des autorités scolaires de plusieurs pays occidentaux, qui, au cours des dernières années, ont réformé les curriculums scolaires. Au Québec, depuis près de vingt ans, maints documents officiels mettent en évidence le rôle fondamental du langage écrit dans la forma‐ tion scolaire et professionnelle des jeunes (Conseil supérieur de l’éducation [CSÉ], 1987, Ministère de l’Éducation du Québec [MEQ], 2001) et préconisent que tous les intervenants scolaires soient responsa‐ bles du développement des compétences langagières des élèves. Le Pro‐ gramme de formation de l’école québécoise (MEQ, 2001) fait de la compétence de communication, une compétence transversale, autrement dit une compétence qui transcende le cadre d’une discipline scolaire et dont le développement doit être poursuivi dans toutes les disciplines3. Mais comment les enseignants peuvent‐ils appliquer cette prescription, quelle compréhension ont‐ils de cette nouvelle responsabilité, comment s’en acquittent‐ils, quelle place occupe la langue, et en particulier l’écrit, dans leurs pratiques enseignantes, quelles fonctions les élèves assignent‐ils à 3 Pour une analyse critique de cette notion, voir Rey, B. (1995; 2001). 320 SUZANNE‐G. CHARTRAND & MICHÈLE PRINCE l’écrit, quelles relations entretiennent‐ils avec ces pratiques culturelles? Autant de questions sur lesquelles nous manquions de données fiables. Aussi, avons‐nous entrepris une recherche descriptive des pratiques de lecture et d’écriture des enseignants et des élèves du secondaire québé‐ cois et plus largement de leur rapport à l’écrit, dans le cadre de la recher‐ che Scriptura. Si nous désirons connaitre4 et comprendre leur rapport à l’écrit5, c’est que nous considérons que le rapport à l’écrit (RÉ) des sujets fait partie intégrante de leur compétence scripturale et lectorale, comme le mon‐ trent les travaux de didacticiens, dont ceux de Dabène (1987), de Reuter (2002) et de Barré‐De Miniac (2000, 2002, 2007) et de ceux qui ont em‐ prunté leur voie (Chartrand & Blaser, 2008b). LE CADRE CONCEPTUEL : LE RAPPORT À L’ÉCRIT La compréhension des pratiques de lecture et d’écriture des élèves du secondaire, en particulier celles sollicitées par l’école, passe par l’étude de leur rapport à l’écrit (RÉ). Par écrit, nous entendons les écrits, mais aussi les processus de lecture et d’écriture. Pour décrire ce rapport, nous nous sommes principalement inspirées d’une notion, celle de « rapport à l’écriture » élaborée par Barré‐De Miniac (2000, 2002). De façon générale, la notion de « rapport à » suggère l’idée d’une orientation ou disposition6 d’une personne à l’égard d’un objet. Dans le cas du RÉ, il s’agit de la disposition d’un sujet pour un objet social, l’écrit, historiquement construit, et pour sa mise en œuvre dans sa vie personnelle, culturelle, sociale et professionnelle. Aussi chaque individu entretient‐il un RÉ singulier. À l’instar de ce que dit Barré‐De Miniac du rapport à l’écriture, nous considérons que le RÉ « nait de colorations 4 Ce texte adopte l’orthographe rectifiée acceptée par l’Académie française en 1990. 5 Cette recherche concerne aussi les enseignants, car à la suite des recherches de Dabène (1987), de Reuter (1996) et de Lafont‐Terranova & Colin (2002), nous posons l’hypothèse d’une relation dialectique entre pratiques enseignantes de l’écrit et rapport à l’écrit des enseignants. Toutefois, dans cet article, il ne sera question que des élèves. 6 Cette « disposition » n’est pas sans rappeler le concept bourdieusien d’habitus. LA DIMENSION AFFECTIVE DU RAPPORT A L’ECRIT 321 multiples, conscientes et inconscientes, qui dirigent le sujet et le mettent en liaison avec l’écriture » (Barré‐De Miniac, 2000, p. 107), à laquelle nous ajoutons la lecture et l’écrit. Le RÉ est un ensemble complexe fait d’une multitude de variables en‐ tremêlées, de facteurs imbriqués, c’est le « lieu d’interactions complexes et évolutives entre facteurs affectifs, cognitifs et linguistiques » (Barré‐de Miniac, 2000, p. 25). En ce sens, le RÉ constitue un système que l’on peut modéliser en analysant ses composantes, leurs interrelations et leur évo‐ lution, à partir de l’approche systémique (Le Moigne, 1984). À cette étape de notre réflexion, le RÉ est donc défini uploads/Litterature/ la-dimension-affective.pdf

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