1 Le problème des verbes dérivés en berbère et l'exemple du zénaga Catherine TA
1 Le problème des verbes dérivés en berbère et l'exemple du zénaga Catherine TAINE-CHEIKH (CNRS Paris) Le système verbal est l'un des domaines où les différents groupes chamito- sémitiques présentent d'importants traits en commun. Je les résumerai ainsi, en reprenant l'analyse de David Cohen (1988: 21-22). a) Le paradigme verbal oppose le thème simple aux thèmes dérivés (et surdérivés). b) Les thèmes dérivés sont formés selon deux procédés: — un procédé d'augmentation intrinsèque du thème de base, soit par allongement d'un de ses éléments phoniques (consonne ou voyelle), soit par un redoublement total ou partiel du radical, — un procédé d'adjonction par préfixation, suffixation ou (plus rarement) infixation d'un morphème de dérivation. Dans le 1er cas, « le renforcement interne du radical se traduit par un renforcement de l'expressivité », dans le 2ème « les modifications exprimées par l'adjonction de morphèmes dérivatifs concernent le mode de participation du sujet au procès ». c) On trouve deux séries d'affixes pour l'ensemble du chamito-sémitique: — 2 ou 3 affixes d'orientation interne, t et ses variantes tt / d / ḍ (partout sauf en égyptien), n (également comme élément expressif) et m (peut-être seulement comme variante de n, attesté en berbère et en couchitique, [n = m ?]) halshs-00538041, version 1 - 20 Nov 2010 Manuscrit auteur, publié dans "the 10th Meeting of Hamito-Semitic (Afroasiatic) Linguistics, Firenze : Italie (2001)" 2 — 3 ou 4 affixes d'orientation externe, d'une part s / ss (partout), d'autre part , h et š qui semblent propres au sémitique [ = h ?]1. En berbère, comme dans les autres branches du chamito-sémitique, les thèmes dérivés et leur rôle ont connu des variations, ce dont la comparaison externe peut témoigner (cf. l'intervention de David Cohen). C'est à ce problème de l'histoire des affixes en berbère — de leur évolution et de leur fonction dans la morphogenèse du système verbal — que je veux m'attacher ici. Aux données déjà publiées sur les différents parlers berbères, j'ajouterai celles moins connues du berbère mauritanien, le zénaga, sur lequel portent mes recherches depuis quelques années. I. Les affixes d'orientation En berbère, alors que certains thèmes dérivés continuent à fonctionner encore comme tels, d'autres ont été intégrés au système aspectuel. M'intéressant tout d'abord aux premiers, j'étudierai les valeurs et les emplois des affixes en partant des deux grandes oppositions dégagées (thème de base vs thèmes dérivés, orientation interne vs orientation externe). Auparavant, sans doute faut-il préciser que, d'après Lionel Galand, la productivité actuelle des procédés de dérivation est très restreinte2. Mais, de même que tous les affixes ne sont pas tous utilisés avec la même fréquence, la dérivation n'est pas aussi vivante dans tous les parlers. Ainsi, en dehors du zénaga, certains dialectes pourront-ils être plus souvent sollicités que d'autres. 1.1. Le verbe nu D'après les données attestées dans les parlers berbères vivants, le thème de base ne semble présenter aucune spécificité sémantique. 1 Les affixes sont généralement préfixés (sauf cas de t qui est parfois infixé après la 1ère radicale en sémitique), mais ils sont suffixés dans une partie du couchitique et en omotique (également en berbère, dans le cas - rare - du suffixe -t, cf. A. Basset 1929: XCIII-XIX; 1969: 12). 2 « Le nombre des verbes possédant plusieurs dérivés est limité; beaucoup de verbes n'en ont aucun. Il n'est pas rare qu'un dérivé se cantonne dans une acception particulière et finisse par se détacher du verbe primaire (...). Parfois le parler conserve le dérivé, mais perd le verbe primaire » (Galand 1988: 234). Certains parlers, cependant, combinent facilement plusieurs morphèmes de dérivation, souvent deux (ainsi le berbère de Figuig cf. Kossmann 1997: 145), mais parfois plus (cf. en touareg). halshs-00538041, version 1 - 20 Nov 2010 3 Si l'on prend l'exemple du zénaga, on peut dire que les verbes qui suivent la conjugaison normale présentent des sémantismes très variés. On trouve en effet (les formes sont données au prétérit ou P, à la 3ème pers. du sg. qui est en y-)3: — des verbes actifs, transitifs ou intransitifs, comme yiykäm "atteindre", yukfä "donner", yugräg "cacher", yiḏbāh "aller", yugäm "courir", — des verbes de qualité ou d'état comme yugmä "devenir grand", yugmär "devenir étroit", yuṃäš "être en poudre, devenir moulu (céréale)", — des verbes moyens ou réfléchis comme yətfä "se renverser", yubbäg "s'éloigner", yišmađ̣ "se laver", yār "s'associer". Par ailleurs on rencontre, et c'est plus remarquable, des verbes "non orientés", qui peuvent être employés aussi bien avec un sujet agentif qu'avec un sujet affecté, ex. yugvāh "percer, se percer (trou)", yugmäž "gratter, se gratter (peau)", yāg "être douloureux, faire mal", yaṛẓa "(se) casser", yəsbäy "entraver, être entravé". Le sens est alors déterminé par le nombre des participants au procès (pas par la place des termes dans l'énoncé4), ex. äššäktub yaṛẓa ou yaṛẓa äššäktub "(le) crayon a été/ est cassé" et äräbih yaṛẓa äššäktub-ənš "(le) garçon a cassé son crayon". Les verbes "non orientés", appelés aussi "mixtes" ou "réversibles", sont attestés dans beaucoup de langues, mais l'ampleur même du phénomène (plusieurs centaines de verbes simples appartenant au vocabulaire fondamental) en fait plus généralement une caractéristique berbère (cf. Galand 1987: 133 et sq.; Chaker 1995: 65). 1.2. La causation C'est en constatant que la forme simple, par elle-même, a souvent diverses valeurs (d'actif, de réfléchi, voire de passif-état), qu'André Basset (1969: 13) s'est interrogé sur le besoin qu'a le berbère de formes dérivées. Dans la mesure cependant où la spécialisation de la forme nue, quand elle se produit, se fait au profit de la valeur stative (médio-passive ou « interne »), il en concluait que l'actif pouvait avoir besoin de la forme à sifflante pour s'exprimer. 3 Transcription: ẓ note l'interdentale emphatique sourde, variante de ẓ et ž note une chuintante sonore « relâchée », variante de ž. 4 Ni par l'opposition EL (état libre) vs EA (état d'annexion) qui n'est pas marquée en zénaga. halshs-00538041, version 1 - 20 Nov 2010 4 Ceci semble se confirmer pour l'ensemble du domaine berbère puisque la forme à sifflante est attestée partout, y compris à Siwa où c'est la seule forme dérivée encore vivante (Laoust 1931: 42). Dans un dialecte comme celui des Aït Seghrouchen (Bentolila 1981: 385 et sq.), on a à la fois des cas où la valeur générale de causatif n'apparaît pas d'emblée en synchronie et d'autres où le verbe nu et la forme à sifflante sont équivalents, mais on a aussi des cas réguliers où la valeur causative du thème dérivé va clairement de pair avec les changements de fonction: — du nom sujet urba seul: yusy urba aysum "l'enfant a pris de la viande" ==> Sisiḫ aysum i urba "j'ai fait prendre de la viande à l'enfant"; — des noms sujet urba et objet iġzr: inḍw urba iġzr "l'enfant a traversé la rivière" ==> Snḍwḫ arba i iġzr "j'ai fait traverser la rivière à l'enfant". Dans beaucoup de parlers, la sifflante préfixée subit d'importantes modifications sous l'influence des consonnes radicales, ainsi en touareg où la sifflante se sonorise et se palatalise fréquemment (donc z, š ou ž), sans oublier les cas où elle s'emphatise (d'où ẓ) ou tend à être, pour certaines conjugaisons, soit doublée (ss), soit accompagnée de la semi-voyelle w. En tähäggart qui présente justement sw là où les dialectes méridionaux ont ss, le redoublement de la sifflante (ss) semble réservé aux formes surdérivées, relativement rares dans le sens de causatif (Prasse 1973: 57). Le zénaga connaît lui aussi diverses assimilations (surtout à distance) du préfixe qui rappellent beaucoup celles observées en touareg (en particulier celui du sud), mais il ne semble pas avoir de causatifs doubles. Les redoublements (ss, zz, šš, žž, ẓẓ et même parfois ṣṣ), très fréquents, paraissent obéir à des règles complexes (liées au nombre et à la nature des radicales) sans rapport avec la surdérivation. A de rares exceptions près comme yäššāwäy "parler" — une forme dénominative, pan-berbère, à mettre en rapport avec āwäy "parole" — les formes verbales à sifflante (ou chuintante) sont associables à des formes verbales sans préfixe, mais, quelle que soit la valeur de la base, la présence du préfixe correspond à une augmentation du nombre de participants5. Ajouté à une base verbale, le préfixe fournit librement des formes transitives pour les intransitifs et 5 Ceci est valable aussi pour les dénominatifs comme yäššāwäy "parler" (="produire des paroles") / āwäy "parole" où l'on passe de zéro à un participant. Puisque « le causatif signifie simplement: provoquer un procès verbal — non pas: imposer à un sujet un procès verbal » , on comprend que les « causatifs exclusifs » de Prasse, construits sur des noms d'action (cf. səqqəmər "être accoudé, s'accouder"), ne constituent pas des exceptions particulières au touareg (1973: 57-58). halshs-00538041, version 1 - 20 Nov 2010 5 des formes factitives (susceptibles d'être doublement transitives) pour les transitifs, ex. yässənkär "mettre debout, faire se lever" / yunkär "se lever", yässuġyäḏ "faire oublier" / yuġyäḏ "oublier", yäššugäm "faire courir" / yugäm "courir", yässətfä "renverser" / yətfä "se renverser". 1.3. La réciprocité L'expression de la réciprocité est à la uploads/Litterature/ le-probleme-des-derives-en-berbere-et-l-x27-exemple-du-zenaga.pdf
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- Publié le Mai 13, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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