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Tous droits réservés © Drogues, santé et société, vol. 11, no 1, juin 2012 Les volutes de la peinture : l’opium au défi des images Florence Chantoury-Lacombe, Département de l’histoire de l’art et d’études cinématogra phiques, Université de Montréal Coordonnées : Florence Chantoury-Lacombe, Historienne de l’art, Chargée de cours, Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques, Université de Montréal, florence.chantoury@umontreal.ca Résumé La représentation de l’opium dans les arts visuels occidentaux semble bien assujettie au signifiant flottant du pharmakon de Platon dont le sens peut facilement s’inverser et devenir remède béné fique ou poison maléfique. De remède universel avec la thériaque, la polypharmacie à base d’opium qui fonctionnera jusqu’au XVIIIe siècle, en passant par les sirops contre la toux pour les enfants, la valeur médicinale de l’opium fera d’abord l’enjeu des représentations visuelles pour, par la suite, verser dans un univers onirique ou l’opium devient une médication du spleen. De l’exotisme à l’éro tisme, les rêves opiacés des fumeurs renvoient à un Orient fantasmé que les artistes auront plaisir à figurer. De la conception d’un empoisonnement exquis au remède pernicieux, le motif de l’opium dans la peinture marque une fascination pour cette drogue et fournit des prétextes aux artistes pour élaborer des dispositifs formels savants en vue d’impliquer le spectateur et de suggérer les expériences sensorielles du fumeur. Notre contribution porte sur les images et les motifs figuratifs privilégiés par les artistes pour représenter l’opium, les fumeurs et les fumeries d’opium. Il s’agit d’interroger les thèmes traités, entre autres, les lieux du monde de l’opium, mais aussi l’atmosphère de rêverie, de langueur, que la représentation du fumeur, arrimé à sa pipe, expose, tel un voyageur dans un paradis illicite. À travers divers médiums graphiques et picturaux, provenant tant de l’histoire de la médecine que de l’illustration populaire, en passant par les oeuvres orientalistes du XIXe siècle, notre analyse tente de comprendre les stratégies figuratives mises en place par les artistes afin de mieux saisir les enjeux socioculturels attachés à l’opium. Mots-clés : arts visuels, opium, thériaque, morphine, dispositifs formels Tous droits réservés © Drogues, santé et société, vol. 11, no 1, juin 2012 71 Les volutes de la peinture : l’opium au défi des images Opium images : the painter’s smokescreen Abstract The depiction of opium in Western visual art seems as ephemeral as Plato’s positions in his Pharmacy, in that it can be considered either a beneficial remedy or an evil poison. A universal rem edy along with theriaca, the opium-based poly-pharmacy, including cough syrups for children, func tioned until the XVIIIth century. The medicinal value of opium was first represented visually, falling into an onieric universe where opium became medication for the spleen. From exoticism to eroticism, the opiate dreams of these smokers took them to fantastic Oriental settings in which the artists took great pleasure. From the concept of an exquisite poisoning to that of a pernicious remedy, the motif of opium in painting marks a fascination for this drug and provides pretexts for artists to draw up formal scholarly arrangements, drawing the spectator into the smoker’s sensorial experiences. Our contribution focuses on the figurative images and motifs chosen by artists to represent opium, the smokers and the opium dens. We examine the themes used, including settings in the world of opium as well as the dreamlike, languorous atmosphere illustrated by the smoker, armed with his pipe travelling through an illicit paradise. Through various graphic and pictorial mediums, from the history of medicine to popular illustrations and oriental works from the XIXth century, our analysis seeks to understand the figurative strategies used by artists with a view to improving our under standing of the socio-cultural issues attached to opium. Keywords: visual arts, opium, theriaca, morphine, formal arrangements Las volutas de la pintura: el opio ante el desafío de las imágenes Resumen La representación del opio en las artes visuales occidentales parece sujeta al significante flotante del pharmakon de Platón, cuyo sentido puede invertirse fácilmente para convertirse en remedio benéfico o veneno maléfico. De remedio universal en la triaca, la polifarmacia a base de opio que funcionará hasta el siglo XVIII, pasando por los jarabes contra la tos para los niños, el valor medici nal del opio será el objeto, en primer lugar, de las representaciones visuales, para caer luego en un universo onírico en el que el opio deviene el remedio para la melancolía. Del exotismo al erotismo, los sueños opiáceos de los fumadores representan un Oriente fantaseado que los artistas tendrán el placer de figurar. De la concepción del envenenamiento exquisito al remedio pernicioso, el motivo del opio en la pintura marca una fascinación por esta droga y brinda pretextos a los artistas para elaborar dispositivos formales complejos destinados a implicar al espectador y sugerirle las expe riencias sensoriales del fumador. Nuestra contribución tiene como objeto las imágenes y los motivos figurativos privilegiados por los artistas para representar el opio, los fumadores y los fumaderos de opio. Se trata de interrogar los temas tratados, entre otros, los lugares del mundo del opio y también la atmósfera de ensoñación, de languidez que expone la representación del fumador, arrimado a su pipa, como un viajero en un paraíso ilícito. A través de diversos medios gráficos y pictóricos, provenientes tanto de la historia de la medicina como de la ilustración popular, pasando por las obras orientalistas del siglo XIX, nues tro análisis trata de comprender las estrategias figurativas aplicadas por los artistas para captar mejor las implicaciones socioculturales asociadas con el opio. Palabras clave: artes visuales, opio, triaca, morfina, dispositivos formales Tous droits réservés © Drogues, santé et société, vol. 11, no 1, juin 2012 72 Les volutes de la peinture : l’opium au défi des images À la mémoire d’Emmanuelle En Europe, l’histoire de la représentation de l’opium est celle d’une fascination d’un art de fumer qui va de l’exotisme à l’érotisme tout en versant, à partir du XXe siècle, dans la réprobation d’une drogue jugée dangereuse. Les artistes inventent des dispositifs formels dans lesquels la repré sentation des effets de l’opium sur le corps paraît être l’enjeu primordial de l’oeuvre d’art. De la tentative de faire sentir les rêveries en passant par le désir de faire vivre les expériences sensitives de l’opiomane, les peintres élaborent des scènes de genre traversées de nudités, à l’atmosphère enfumée et voluptueuse. Avant de devenir la cristallisation d’un art de fumer et une dérobade au spleen de l’individu du XIXe siècle, la représentation de l’opium se diffuse antérieurement à tra vers un rôle médicinal. Notre analyse se présente sous l’angle d’une étude transhistorique de la représentation de l’opium. Dans les termes arts visuels, nous n’entendons pas une hiérarchie des arts où les « Beaux-Arts », la peinture et la sculpture tiendraient le haut de l’affiche. Il s’agit plutôt d’ouvrir l’étude au monde des images, de la publicité en passant par la bande dessinée. Dans le sillage de Louis Marin, Hubert Damisch et Georges Didi-Huberman, qui ont accordé une véritable attention à la matérialité de l’image, nous portons notre intérêt sur les dispositifs de l’image (Didi- Huberman, 2002). Ce qui apparaît intéressant dans cette analyse de la représentation de l’opium, ce sont les strates des contextes culturels qui viennent se greffer aux descriptions picturales et graphiques, par exemple, le prétexte colonialiste et la conception des artistes orientalistes. En effet, il s’agit de mettre en évidence le défi porté par ce type de représentations, à savoir, créer des dispositifs figuratifs pour un thème pictural multisensoriel et façonner des images picturales, graphiques, publicitaires, etc. qui ne s’adressent pas uniquement au regard. L’autre enjeu soulevé par la représentation de l’opium se manifeste dans la capacité de l’image visuelle à représenter les hallucinations du fumeur. De la première description informative et botanique aux nombreuses représentations picturales du XIXe siècle, le motif de l’opium devient une forme en mouvement qui, d’une forme figurative ressemblante va établir, par un détour pictural, un détournement de la ressemblance. Afin d’aborder un large échantillon de la représentation de l’opium, il nous a semblé préférable de choisir plusieurs types d’images afin de créer un enchaînement visuel[1]. Notre champ d’étude se limite toutefois à des images fixes, mais il serait tout aussi pertinent de voir comment l’opium trouve sa place au cinéma. L’opium et la polypharmacie L’histoire de la représentation de l’opium en peinture débute dans les traités de botanique et de pharmacie. Les premières images se rencontrent dans les dessins de fleurs de pavot et, notam ment, dans un traité arabe intitulé le Livre des antidotes composé par le Pseudo-Galien, connu aussi sous le nom de Kitâb al-Diryâq, au XIIe siècle[2]. L’ouvrage présente les plantes nécessaires à l’élaboration d’une « thériaque », à l’origine, un contrepoison aux morsures de serpent composé de très nombreux ingrédients, notamment de chair de vipère. Le terme de thériaque, tiré du grec thêrion – bêtes féroces – renvoie à sa fonction première d’antidote aux morsures de serpents. Si l’auteur nous est inconnu, il place son écrit sous l’autorité de Galien, médecin grec du IIe siècle après J.-C. et raconte uploads/Litterature/ les-volutes-de-peintures-l-x27-opium-au-defi-des-images.pdf
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- Publié le Jan 21, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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