PREMIERE L, Valéry LARBAUD, Ode (Lecture Analytique) INTRODUCTION Valéry Larbau

PREMIERE L, Valéry LARBAUD, Ode (Lecture Analytique) INTRODUCTION Valéry Larbaud crée avec le personnage de Barnabooth son double littéraire, poète, voyageur, amateur de palaces et de croisières. Dans les années 1910, la poésie fait entrer dans son univers les gares et les trains, et c’est tout naturellement que Larbaud aborde ce thème pour fixer les images de ses propres voyages. [LECTURE]. Pour répondre à votre question, je vais mettre en valeur dans un premier temps un hommage à la beauté magique du train, puis je souhaite montrer que le poète illustre le nouveau défi de la poésie de cette époque. PREMIER AXE : HOMMAGE A LA BEAUTE MAGIQUE DU TRAIN Le titre simple du poème oriente la lecture puisqu’une ode est un poème lyrique qui peut avoir pour fonction la célébration, l’hommage. Nous avons donc sous les yeux une sorte d’ode héroïque qui a pour héros le train lui-même. L’aspect lyrique est marqué par l’implication du poète, notamment à travers le vers 11 (« j’ai senti pour la première fois toute la douceur de vivre »), vers important puisqu’il évoque la primauté de la sensation qui se fait dans un moment unique. Larbaud veut rendre familière la traversée ferroviaire des paysages en entamant un dialogue avec le train. Le lecteur note l’emploi répété des impératifs « prête- moi » qui devient « prêtez-moi » dans les 3e et 4e strophes, et ce passage du tutoiement au vouvoiement renforce l’impression de solennité et de nécessité, comme si les impressions devenaient de plus en plus grandioses au fur et à mesure du voyage. D’ailleurs la première image qu’il donne du voyage utilise le contraste du clair-obscur (« ton glissement nocturne à travers l’Europe illuminée ») qui donne du prestige à ce voyage. On pourrait presque dire que l’Europe illuminée rend hommage au passage du train dans la nuit. Le lyrisme est également marqué par l’utilisation du ô vocatif (aux vers 3, 10, 20) qui montrent à la fois une invocation et une admiration. Ces trois interjections mettent en valeur le train sous trois formes : la première insiste sur le luxe, la seconde sur la musique du train (et par l’emploi de la langue allemande sur l’aspect cosmopolite des voyages à cette époque, c’est-à-dire sur la musique des langues étrangères), la troisième sur la destination : par exemple l’Orient. L’hommage est aussi traduit par l’emploi de deux points d’exclamation (vers 10, vers 19) ce qui renforce la béatitude de celui qui regarde Les images du luxe abondent dans ce poème. Il s’agit dans un premier temps de faire ressentir la beauté des matières comme le cuir doré (vers 4), les portes laquées, le cuivre lourd (vers 5), les wagons jaunes à lettres d’or (vers 26). Puis Larbaud évoque le huis clos du train par des sonorités recherchées. La traversée des couloirs lui donnent l’occasion d’utiliser une allitération en « l » aux vers 4-5-6 qui symbolise la richesse, le bien-être, le confort. On note également une paronomase (laquées/loquets) qui associe le luxe et la sécurité. Cette association se retrouve dans l’évocation du sommeil des millionnaires : ils n’ont rien à craindre, ils forment une communauté de gentlemen... Larbaud se fond dans cette communauté par le passage du « je » au « on » collectif dans la strophe 2. Le train est aussi le moyen magique de parcourir des pays concrets. Les noms de lieux sont nombreux dans le poème : Vienne, Budapest, Wirballen, Pskow, la Sibérie, la Castille, la Serbie, la Bulgarie... Le poète n’utilise d’ailleurs pas l’ordre chronologique pour citer ces lieux, ce qui montre que le poème ne raconte pas un voyage (ce n’est pas un poème narratif) mais qu’il évoque des images de plusieurs voyages confondus, l’un dans le Nord-Express, l’autre dans l’Orient-Express. La sensualité des paysages renforce la beauté : « la mer de Marmara sous une pluie tiède » (vers 19), l’image hyperbolique de la « Bulgarie pleine de roses » (vers 28). Au cœur du poème, Larbaud fait se télescoper le luxe du dedans et la pauvreté du dehors dans l’image du train qui traverse un paysage pastoral. Les « peaux de moutons crues et sales » sont l’antithèse, on s’en doute, des vêtements confortables des millionnaires (le train est une sorte de refuge). Dans le rythme qu’il utilise ici, il semble s’arrêter sur le pittoresque de la scène par les points de suspension en fin de vers 15. Puis il met entre parenthèses une vision somptueuse et feutrée, celle de la « belle cantatrice aux yeux violets » qui chante, et ces parenthèses évoquent un moment privilégié, un moment de délectation unique, un plaisir d’esthète, qui s’accompagne d’une atmosphère particulière régie par le lieu et le temps (« Huit heures du matin en automne »). Enfin l’hommage à la beauté du train est signalé par une personnification. Les locomotives « hautes et minces, aux mouvements si aisés» (vers 24-25) ainsi que la « grande allure si douce » du vers 1, la « respiration légère et facile » du vers 23 renvoient à la femme, non pas la femme amoureuse ou aguicheuse, mais à la femme du monde, belle et discrète. On remarque aussi au vers 26 l’expression « sans effort » qui accentue la personnification. DEUXIEME AXE : LE POETE ET LE DEFI DE LA POESIE Le genre poétique est associé à la musique et Larbaud utilise le champ lexical des bruits et des musiques abondamment. L’assonance « bruit/cuir/cuivres » évoque le crissement des rails. La multitude des sons entendus forment des contrastes comme celui des vers 21 et 22 entre les « miraculeux bruits sourds » et les « vibrantes voix de chanterelles » (opposition bruits graves/bruits aigus), la chanterelle étant la corde la plus aiguë d’un instrument à cordes. Le parcours du train fait aussi naître une certaine monotonie, un bercement homogène et toujours identique comme le montre l’adjectif « angoissante » associé à la musique dans le vers 3. Pour intensifier cette monotonie, et malgré l’emploi du vers libre, Larbaud crée des alexandrins (vers 4, vers 8), rendant hommage à la poésie classique. Les voix humaines sont amplifiées dans leur diversité, et le poète exprime la petitesse de sa présence dans l’idée que sa voix participe à un grand échange verbal (« mêlant ma voix à tes cent mille voix »). L’expression « Harmonika-Zug » (le train harmonica) est intéressante parce qu’elle est à la fois auditive et visuelle. L’harmonica est un instrument qui utilise les sifflements, les lames de métal créent des variations sonores, mais il est aussi visuellement très proche d’un wagon de chemin de fer. L’idée du mouvement est sans cesse au cœur de cette ode. Le champ lexical est riche : glissement, glissait, je parcours, je suis, passer, précédant. La volonté du poète est donc d’associer la musicalité et le mouvement. Mais il s’agit pour lui d’un défi littéraire neuf, comme si participer à l’aventure technique des voyages en chemin de fer lui proposait de nouveaux enjeux. Toute la dernière strophe illustre la notion de défi. Elle débute par une exclamation qui est à la fois un soupir de tristesse et une marque de volonté : « Ah, il faut que… » propose un Art Poétique (c’est-à-dire une définition personnelle de son art). On note le lyrisme du vers 31 qui s’ouvre sur une rêverie. Le rythme du train et sa musique deviennent peu à peu ceux du poème qui s’écrit sous nos yeux. On appelle cette forme moderne d’écriture le « work in progress » (l’œuvre en train de se créer). Le verbe symbolique de ce travail poétique en devenir est bien entendu le verbe « espérer» . On sent que le poète a trouvé le moyen de traduire la modernité dans ses poèmes (peut-être influencé par les images qui défilent, comme au cinéma), mais que c’est encore une gageure. CONCLUSION : Larbaud prend le train et le voyage comme prétextes à se situer dans un monde qui bouge et qui crée de nouvelles images. Elles ne sont pas comme chez Cendrars une vision déstructurée de la vie moderne mais un moyen de suivre, comme dans un train de luxe, un chemin vers de nouveaux horizons. uploads/Litterature/ ode-de-larbaud-lecture-analytique.pdf

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