TSEDEK, UNE APPROCHE PHILOSOPHIQUE Zeev Maoz In Press | « Pardès » 2013/2 N° 54
TSEDEK, UNE APPROCHE PHILOSOPHIQUE Zeev Maoz In Press | « Pardès » 2013/2 N° 54 | pages 107 à 119 ISSN 0295-5652 ISBN 9782848352800 DOI 10.3917/parde.054.0107 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-pardes-2013-2-page-107.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour In Press. © In Press. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Si cette démarche se base sur la confrontation des idées, afin d’identifier celles qui décrivent le mieux les phénomènes, ce type de débat n’est en effet que peu présent dans la Bible (exceptées deux notables exceptions : le livre de Kohelet (Ecclésiaste) 1 et le livre de Job, dans lequel le débat d’idées adopte une forme poétique 2). Comme le décrit S. Trigano 3, les tentatives juives de lecture philosophique (grecque) de la Bible, depuis Philon d’ Alexandrie (– 20 à 40), jusqu’au Gaon Saadia (882-942), en passant par le mouvement Karaïte (fondé par Anan ben David (715‑795 ou 811)) et culminant chez Maïmonide (1135-1204), ont toutes dû se confronter à des incompatibilités majeures découlant de la différence entre une approche biblique particulariste (centrée sur des personnages, des familles, un peuple) et l’universalisme de la philosophie grecque, fondée sur l’existence d’hypothèses et d’antinomies préalables. L’étude philosophique vise à mettre en lumière des constructions cohé- rentes, formulées de manière démonstrative tandis que la Bible semble indifférente à ces consignes. Les pensées qui sous-tendent les textes bibliques ne se manifestent pas sous la forme d’une construction continue, linéaire et figée. Elles évoluent, se métamorphosent sans cesse, se muent comme si elles étaient vivantes. Cette plasticité rend leur organisation dans des systèmes de pensée aussi passionnante que complexe. Le récit biblique comporte de multiples couches qu’expriment diffé- rentes formes littéraires, du récit historique à la poésie, des instructions religieuses aux lois juridiques. Entre ces strates se tisse un délicat va-et- vient qui recèle des idées exprimant une vision théorique et pragmatique du monde. Pour donner une forme à ces idées il est nécessaire de discerner les problématiques, questionnements, interrogations, souvent voilés sous le décor littéraire. Les pensées explicites dans les textes ne représentent que la partie visible de l’iceberg ou plutôt de nombreux icebergs, expressions perceptibles des courants qui émergent occasionnellement à la surface, © In Press | Téléchargé le 18/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.238.125.82) © In Press | Téléchargé le 18/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.238.125.82) 108 PARDÈS N° 54 Zeev Maoz reflétant les débats qui bouillonnent en dessous. Ce sont les ambiguïtés, les difficultés linguistiques et les paradoxes logiques qui sont parfois les témoins de la richesse de la pensée biblique. Ces mystères implantés dans le texte ne sont point le fruit du hasard, ils indiquent un questionnement dépassant le sens explicite du récit, appelant le lecteur à s’arrêter, lui proposant de s’enrichir à travers le texte, lui imposant une deuxième ou troisième relecture d’un récit paraissant parfois (trop) simpliste. Le concept de Tsedek est un des concepts fondamentaux de la pensée juive. Notion vraisemblablement juridique et morale, elle masque néan- moins un ensemble complexe impliquant la place de l’Homme dans un monde de création : une place parmi les siens, donc dans une société qui le regarde et juge ses actions, et sa place dans un cosmos de création jamais immobile, donc face à son créateur. À travers ce concept s’exprime ainsi la perception du monde et le choix d’actions qu’elle impulse. À travers une enquête au fil de certaines évocations de la notion Tsedek dans la Bible et de son pendant Emet, vérité, nous espérons identifier quelques-unes des expressions des questionnements bibliques et esquisser l’envergure et la complexité de la pensée biblique-philosophique. LA FIGURE D’ABRAHAM Les premières évocations du Tsedek dans la Bible sont en lien avec Abraham4 (encore Abram sans le H). Tsedek apparaît deux fois dans la parasha de « Lekh lekha / Va t’en », (Genèse 14, 18-19, et à Genèse 15, 6) à chaque fois avec une caractéristique énigmatique. Dans la première, Tsedek se déguise en roi (Genèse 14, 18-19) : « et Malki Tsedek, roi de Shalem, a fait sortir du pain et du vin, et il est prêtre du dieu suprême », vemalki-tsedek melekh shalem hotsi lekhem veyayin vehou kohen leel elyon. Cette évocation de Malki-Tsedek est chargée de sens, reliant plusieurs notions fondamentales : Tsedek ; Melekh, le roi, représentation du pouvoir ; Shalem, la plénitude, racine également du Shalom, la paix et de Jérusalem ; Kehouna, la prêtrise ; El, dieu ou divinité et Elyon, la suprématie, la hauteur. La rencontre entre Abraham et Malki-Tsedek a lieu à la suite de la victoire d’Abraham dans une guerre qui n’est pas la sienne. Malki-Tsedek prend mystérieusement sa place dans le récit du roi de Sodome (dont le rôle maléfique ultérieur n’échappera pas au lecteur) et le récit maintient une confusion entre les deux personnages. Le texte continue à entretenir © In Press | Téléchargé le 18/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.238.125.82) © In Press | Téléchargé le 18/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.238.125.82) PARDÈS N° 54 109 Tsedek, une approche philosophique l’ambiguïté dans l’histoire, lorsqu’il décrit ensuite l’octroi d’une « dîme de tout », sans préciser qui, de Malki-Tsedek ou d’Abraham, est le donneur et qui est le receveur. Si l’on considère ce choix de la confusion entre les personnages dans le récit comme intentionnel, ces ambiguïtés peuvent se révéler porteuses de sens dans l’histoire d’Abraham. L’image de Malki-Tsedek engloberait alors différentes facettes d’Abraham, reflétant ses rôles dans l’Histoire et dans le temps : sa personne au présent, ses actions dans le passé et ses rôles dans le futur (incluant également ceux de sa postériorité). Les actes de Malki-Tsedek invoquent ces images, le vin et le pain étant symboles du monde du travail et du cérémonial, des besoins vitaux (la nourriture) face aux appétits spirituels/psychologiques, du monde terrestre face au monde céleste. El-Elyon évoque aussi cette dualité. Sans la lettre Hé qui est présente dans le nom Elohim, El reste une interprétation élémentaire du sens de dieu, une représentation simpliste, « terrestre », de la divinité (qui peut alors être païenne). Elyon, en revanche, désigne le supérieur, l’aspiration vers le haut, vers le ciel, vers une représentation plus élevée de dieu. Nous ne nous attarderons pas ici davantage sur les nombreux symboles que recèle cette rencontre, notons néanmoins que la prêtrise de Malki-Tsedek pour El-Elyon suggère une médiation entre terrestre et céleste. Le prêtre par ses gestes rituels, autant humains que mystérieux, agit pour les uns (pour les humains) comme pour l’autre (le ciel), visant par ces actions à établir un lien entre les deux, à dresser un pont entre eux. La deuxième évocation du Tsedek dans le récit recèle également une énigme (Genèse 15,6) : « et il eut foi (crut) en YHVH et il le lui pensa tsedaka », vhaamen be YHVH vayakhsheva lo tsedaka. Ce texte, qui apparaît après la promesse faite à Abraham concernant sa postérité, interrompt le flux de la lecture et pose question. Composée de deux parties, cette courte phrase mène droit à un piège logique et linguistique. Alors que sa première partie, « Il crut en YHVH » est cohérente avec le récit, la suite « et il le lui pensa Tsedaka », même si elle est linguistiquement correcte, semble mal placée, illogique, incohérente. La logique grammaticale veut qu’ Abraham soit le sujet acteur de la phrase, or cela signifierait qu’Abraham considère l’action divine comme « juste ». Tsedek porte ici sa forme féminine, la Tsedaka, désignant habituellement un acte social, humain, acte de bienveillance accompli entre humains. L’attribut Tsadik, juste, issu de cette racine, désigne le mérite accordé par la société à celui qui agit avec Tsedaka. Ces questions sont le produit de la réelle ambiguïté du texte, rendant plausible sa double interprétation. © In Press | Téléchargé le 18/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.238.125.82) © In Press | Téléchargé le 18/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.238.125.82) 110 PARDÈS N° 54 Zeev Maoz La difficulté gravée dans cette phrase n’a évidemment pas échappé aux sages rabbiniques, qui l’ont examinée de près, munis des lunettes logiques ou symboliques. Ils cherchent à concilier le paradoxe à travers des explications ou des compléments au récit (les midrashim) et tendent (à l’instar de Rashi) plutôt à considérer uploads/Litterature/ parde-054-0107.pdf
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Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jan 19, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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