PIERRE MICHEL LES COMBATS D’OCTAVE MIRBEAU Annales Littéraires de l’Université

PIERRE MICHEL LES COMBATS D’OCTAVE MIRBEAU Annales Littéraires de l’Université de Besançon 1995 À Janie AVANT - PROPOS "Le plus grand écrivain français contemporain, et celui qui représente le mieux le génie séculaire de la France." Léon Tolstoï, Mercure de France, 1903 Depuis cinq ans, la connaissance de la vie et de l'œuvre d'Octave Mirbeau a été considérablement transfigurée par une multiplicité de découvertes et de publications. La première et monumentale biographie d'Octave Mirbeau, l'imprécateur au cœur fidèle, qui repose sur une vaste documentation inexplorée, notamment sa Correspondance générale (en cours d'édition) a permis de le libérer de la gangue de ragots malveillants, d'anecdotes controuvées, de jugements à l'emporte-pièce et d'étiquettes réductrices. L'édition critique de nombre de textes inédits, et même d'œuvres complètement insoupçonnées, a fait apparaître qu'on ne connaissait jusqu'alors que la partie émergée de l'iceberg mirbellien, et que les neuf dixièmes de sa production dormaient dans les collections de périodiques de l'époque ou dans une multitude d'archives publiques et privées, ou encore étaient camouflés par des signatures d'emprunt. De cet incroyable ensemble de matériaux nouveaux, une grande partie a déjà été publiée par nos soins (avec la collaboration de Jean-François Nivet pour une quinzaine de volumes) : Contes cruels, Combats politiques, Notes sur l'art, L'Affaire Dreyfus, Dans le ciel, Combats pour l'enfant, Lettres de l'Inde, Paris déshabillé, Sur la statue de Zola, La Mort de Balzac, Sac au dos, Combats esthétiques, Chroniques musicales, Lettres à Alfred Bansard des Bois, Lettres à Emile Zola, Lettres à Alfred Jarry, Correspondance avec Rodin, Correspondance avec Monet, Correspondance avec Pissarro, Correspondance avec Raffaëlli, Correspondance avec Jean Grave, Petits poèmes parisiens, L'Amour de la femme vénale, Chroniques du Diable... Pour chaque volume, des introductions et des notes ont fourni aux lecteurs les informations indispensables et ont proposé diverses analyses de tel ou tel aspect de l'œuvre et de la pensée de Mirbeau, notamment sur son itinéraire politique et ses idées esthétiques et littéraires. Ce travail de publication va se poursuivre, avec l'édition critique d'un certain nombre de romans "nègres", de son Théâtre, non réédité depuis près de soixante ans, de la totalité de son œuvre romanesque signée de son nom, de ses Combats littéraires, des articles de critiques parus sous pseudonyme, de huit volumes de Correspondance générale, ainsi que d'une anthologie de ses chroniques d'ethnographie parisienne. Sera ainsi exaucé le vœu de Lucien Descaves, formulé en 1936 lors de la publication des œuvres de Mirbeau, abusivement qualifiées de "complètes" : "Le jour viendra, j'en suis sûr, où ses œuvres complètes le seront réellement par l'addition d'un certain nombre d'articles choisis pour attester, non seulement sa virulence, mais aussi sa clairvoyance et son aide aux idées, aux œuvres et aux hommes qui ont de la peine à percer" (1). Parallèlement, j'ai organisé sur Octave Mirbeau deux colloques internationaux et pluridisciplinaires qui ont permis la confrontation de chercheurs venus d'horizons différents, mis en lumière son rôle historique, et facilité sa reconnaissance, bien tardive, par sa Normandie natale et par l'université française : l'un au Prieuré Saint-Michel de Crouttes (Orne), en juin 1991, et l'autre dans le cadre de l'Université d'Angers, en septembre 1991. Cinquante-et-une contributions nouvelles, recueillies dans les Actes des deux colloques, sont venues enrichir notre connaissance du grand écrivain trop longtemps méconnu. Une Société Octave Mirbeau s'est constituée en novembre 1993 et va publier des Cahiers Octave Mirbeau et constituer un Fonds Mirbeau à la Bibliothèque Universitaire d'Angers. Enfin, une multitude d'articles et de communications à divers autres colloques m'ont permis de compléter ce tour d'horizon et d'apporter de nouvelles analyses des engagements et de la création littéraire de Mirbeau. Dès lors, on est mieux à même de comprendre l'ampleur et la diversité de son œuvre, la richesse fascinante d'un homme exceptionnel, la cohérence et l'efficacité de ses grands combats, et l'importance, parfois décisive, du rôle qu'il a joué, non seulement dans l'histoire du journalisme, du roman et du théâtre, mais aussi dans l'histoire de l'art et dans l'histoire politique et sociale de la Belle Époque. Malheureusement, ce vaste ensemble de textes (œuvres de Mirbeau, préfaces, articles et communications) se trouve dispersé dans une foule de volumes et de revues qui ne sont pas aisément accessibles au lecteur non spécialisé et qui ne le seront pas avant l'achèvement et l'ouverture du Fonds Mirbeau. Aussi ai-je jugé utile de lui proposer une brève synthèse - qui n'a jamais été tentée - de tout ce qui concerne notre héros, en même temps que de faire le point sur l'état actuel de la "mirbeaulogie", science récente, certes, mais qui, au fil des années, et par une succession de découvertes, de mises au point, d'analyses décapantes et d'infléchissements, n'a cessé de s'approfondir et de prendre de l'ampleur. Cette synthèse, je l'intitule Combats d'Octave Mirbeau, parce que, aux yeux d'un lecteur de Darwin comme lui, la lutte, indispensable à toute vie, et sans laquelle il n'y aurait que de la mort, a été le moteur de tous ses engagements et de toute sa création. J'ai donc étudié successivement les combats qu'il a dû mener contre lui-même, les combats douteux d'un prolétaire des lettres obligé de prostituer sa plume, le combat contre le néant d'un révolté métaphysique confronté à ce "crime" qu'est l'univers, les luttes pour la justice sociale, pour un art vivant, pour un roman rénové, pour un théâtre nouveau, et, pour finir, le combat contre les mots. Il va de soi que, pour Mirbeau comme pour Zola, tout est lié, que les batailles politiques, esthétiques et littéraires sont indissociables, et que toutes s'enracinent dans la même vision du monde et des hommes. C'est donc uniquement par souci de clarté que, pour les besoins de leur présentation, nous avons été amené à les étudier séparément, au risque de quelques redites. Il est clair qu'une synthèse aussi rapide n'a ni la présomption d'être exhaustive - il a bien fallu trier dans une matière immense, sous peine d'être submergé - , ni l'outrecuidance de dispenser de la lecture, irremplaçable, de l'œuvre même de Mirbeau, à laquelle au contraire elle invite de façon pressante. Les notes permettront donc aux lecteurs curieux d'en savoir plus de se reporter aux textes cités ; une chronologie facilitera le recadrage des œuvres et des idées évoquées dans la vie de Mirbeau et dans son temps ; enfin une bibliographie est destinée à tous ceux, et notamment aux universitaires, qui souhaiteraient poursuivre leurs investigations. P. M. 1. Lucien Descaves, "Œuvres complètes d'Octave Mirbeau", Le Journal, 4 octobre 1936. INTRODUCTION UN MODERNE : OCTAVE MIRBEAU "Je n'ai pas pris mon parti de la méchanceté et de la laideur des hommes. J'enrage de les voir persévérer dans leurs erreurs monstrueuses, se complaire à leurs cruautés raffinées. Et je le dis." Octave Mirbeau, Comoedia, 25 février 1910 "Il poursuivit également, et avec la même générosité foncière, l'injustice sociale et l'injustice esthétique." Remy de Gourmont, Promenades littéraires, 1904 "C'est parce qu'il était un tendre qu'il fut très vite un révolté". Paul Desanges, "Octave Mirbeau", Clarté, 1913 De tous les grands écrivains français, Octave Mirbeau est certainement l'un de ceux qui ont été, et sont encore aujourd'hui, le plus méconnus, tant par l'université française que par le grand public. Après avoir, de son vivant, joué un rôle éminent dans l'histoire de la presse, de la littérature, du théâtre et des beaux-arts, ainsi que dans les luttes politiques et sociales de la Belle Époque, après avoir suscité l'admiration et la reconnaissance des cœurs artistes et des assoiffés de justice, il a sombré, après sa mort, en février 1917, sinon dans l'oubli - car il a toujours conservé ses fidèles, et plusieurs de ses œuvres n'ont pas cessé d'être rééditées - , du moins dans une espèce d'injuste purgatoire, d'où il commence seulement à émerger. Les raisons en sont multiples, et nous les avons analysées par ailleurs (1) : brouillage de son image par l'ignominieux "faux patriotique" perpétré à l'instigation d'une veuve abusive, soucieuse de se réhabiliter, aux yeux des "bien pensants", par une éclatante trahison posthume (2) ; incompréhension des historiens de la littérature, aveuglés par des étiquetages absurdes, et qui, contre toute évidence, ont prétendu ranger Mirbeau parmi les naturalistes, quittes à préciser, sans se soucier de la contradiction, "tendance frénétique" ; et surtout, vengeance post mortem de tous ceux, et ils sont nombreux, qu'il a fait, pendant plus de trente ans, trembler de sa voix d'imprécateur et de prophète (3), et qui ont tâché de désamorcer son message subversif en crachant leur venin sur un homme et un écrivain qui avait le grand tort à leurs yeux d'avoir exercé un véritable magistère moral et esthétique : - Sur l'homme, en le présentant comme un "excité", un "excessif", un "palinodiste", un "incohérent", quand ce n'est pas un obsédé sexuel et un proxénète vivant des charmes de son épouse, une ancienne horizontale (4). - Sur l'écrivain, en affectant de ne le considérer que comme un auteur de second rayon, en le classant parmi les petits naturalistes aux côtés d'Henri Céard et de Paul Alexis, en ne voyant en lui qu'un "déformateur du uploads/Litterature/ pierre-michel-quot-les-combats-d-x27-octave-mirbeau-quot.pdf

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