LE TALMUD DE JÉRUSALEM TRADUIT PAR MOÏSE SCHAWB. PARIS - MAISONNEUVE - 1890 TOM

LE TALMUD DE JÉRUSALEM TRADUIT PAR MOÏSE SCHAWB. PARIS - MAISONNEUVE - 1890 TOME PREMIER. — INTRODUCTION. § 1. — IDÉES POPULAIRES SUR LE TALMUD. § 2. — FORMATION DU TALMUD. § 3. — CONTENU ; ANALYSE. § 4. — PERSÉCUTION ; ÉMANCIPATION. § 5. — MANUSCRITS. ÉDITIONS. § 6. — COMMENTAIRES ET RÉSUMÉS. § 7. — PREMIER PROJET DE TRADUCTION EN FRANCE. § 8. — LANGAGE. § 9. — ÉTENDUE ET PLAN DU PRÉSENT TRAVAIL. § 10. — CONCLUSION. Vers 1867, F. de Saulcy a demandé la traduction d'une page du Talmud, pour son Histoire d'Hérode. Tel a été le point de départ bien secondaire, qui a mené jusqu'à traduire le Talmud entier. Certes, le pas est considérable : il a été franchi, sur les instances de cet orientaliste, qui ne doutait de rien. Le traducteur, alors fort jeune, a sans doute eu le tort de ne pas s'arrêter devant les difficultés de tout ordre, inhérentes à un tel travail. Il s'est témérairement mis à l'œuvre. Pourtant, de prime abord, il n'a cru possible de réaliser un tel projet qu'à la condition d'avoir des collaborateurs, puis — faute d'entente avec eux — il a dût se résigner à continuer seul la voie1, parcourue en une vingtaine d'années. Il a hésité plus d'une fois entre la conviction profonde de son incapacité, et l'assertion de maintes voix autorisées faisant valoir l'intérêt d'une version textuelle du Talmud. — S'il est vrai que le mieux est l'ennemi du bien, devait-on se contenter d'une version imparfaite, plutôt que de ne pas l'avoir du tout ? Puis, y avait-il lieu de donner suite à un premier essai ? Devait-on le continuer par une sorte d'engagement tacite pris en publiant le commencement de l'œuvre ? Etait-ce un bien ou un mal ? Toute la question est là. Le sujet est si vaste, et les points à examiner sont tellement complexes, qu'on ne saurait les traiter tous d'un coup. Pour faire face aux observations qui se présentent en foule, il est indispensable de procéder par méthode, de distinguer dans cet amas de sujets les uns des autres, et d'adopter les divisions suivantes dans le classement des matériaux : 1. Idées populaires et vulgaires, répandues sur le Talmud : 2. Origine historique, formation ; 3. Contenu fondamental, analyse des parties diverses ; 4. Persécutions subies, oppression séculaire ; 5. Manuscrits talmudiques des grandes bibliothèques, Editions ; 6. Commentaires, interprétation, résumés ; 7. Premier projet de traduction en France ; 8. Difficulté du langage ; 9. Plan et Vendue du présent travail ; conclusion. Après l'étude de ces diverses questions traitées une à une, l'on pourra se rendre compte de l'œuvre et de ses périls. 1 On lui a même attribué un collaborateur italien (?), parce qu'à tort il s'est servi aux tomes I-III du terme non académique de sacerdote pour le mot hébreu Cohen, mal traduit par prêtre ; il vaut mieux le reproduire tel quel, sans traduction. § 1. — IDÉES POPULAIRES SUR LE TALMUD. En effet, les obstacles sont multiples, plus embarrassants les uns que les autres, et ont de quoi effrayer l'esprit le plus téméraire. Comment reproduire d'une manière intelligible une conversation décousue, où les idées se suivent sans style ni enchaînement, où l'art de la rhétorique est complètement inconnu ? Mais avant tout, qu'est-ce que le Talmud ? Quelle est la nature de cette étrange production, dont le nom, presque imperceptiblement commence à devenir un des mots qui sont familiers à l'Europe ?1 Nous le rencontrons dans la théologie, dans la science et même dans la littérature générale. Il n'est pas un manuel consacré aux diverses branches de la science biblique, géographie, histoire sainte, chronologie numismatique, qui ne fasse allusion au Talmud. Les défenseurs de toutes les opinions religieuses en appellent à ses maximes. Il y a plus : non seulement tous les lettrés, les érudits du judaïsme et du christianisme, mais encore ceux de l'islamisme et du dogme de Zoroastre y ont recours dans leurs analyses des doctrines, des dogmes, de la légende et de la littérature. Prenons un volume récent de dissertations archéologiques ou philologiques : que ce soit un mémoire sur un autel Phénicien, sur une tablette cunéiforme, sur les poids et mesures de Babylone, ou sur les monnaies des Sassanides, nous sommes sûrs d'y trouver ce mot mystérieux : Le Talmud ! Ce ne sont pas seulement ceux qui ont retrouvé l'alphabet des langues perdues de Chanaan et de l'Assyrie, d'Himyar ou de la Perse de Zoroastre, qui appellent le Talmud à leur aide ; les écoles modernes de philologie grecque et latine commencent à tirer parti des matériaux de l'école classique qui y sont épars. Nous considérons toutes sortes de littératures religieuse, légale, ou autre, de tout âge et de tout pays, comme une partie et une portion de l'humanité. Dans un certain sens, nous nous en croyons responsables. Nous cherchons à comprendre la phase de culture intellectuelle qui a donné naissance à ces parcelles de notre héritage, et l'esprit qui les anime. Tout en ensevelissant ce qui est mort en elle, nous recueillons avec joie ce qu'elles ont de vivant. Nous enrichissons le trésor de notre savoir ; leur poésie nous émeut2. Ce sentiment désintéressé peut nous faire exalter le Talmud un peu au delà de ce qu'il mérite. A mesure que les preuves de sa valeur nous apparaissent, nous pouvons en arriver à exagérer son importance pour l'histoire de l'humanité. Cependant, un vieil adage a dit : Avant tout, étudiez ; car quels que soient les motifs qui vous animent d'abord, vous aimerez bientôt l'étude pour elle-même3. Ainsi donc, même une attente exagérée de trésors enfouis dans le Talmud n'en aura pas moins son avantage, si elle nous amine à étudier l'ouvrage lui-même. Car, disons-le de suite, les indices de son existence qui paraissent 1 Quarterly Review d'octobre 1867, article d'Em. Deutsch. 2 Lire, à ce point de vue, les Revues des sciences religieuses par J. Soury, Feuilletons de la République française des 16 Août et 10 Octobre 1872. 3 Talmud B., tr. Pesalim, f. 50 b, et les passages parallèles cités pas le Massoret ha- chass, ibid. dans plusieurs publications nouvelles, ne sont pour la plupart que des feux follets. Tout d'abord, on s'imaginerait qu'il n'y a jamais eu un livre plus populaire, ou qui ait servi plus exclusivement de centre intellectuel aux savants modernes, orientalistes, théologiens, ou jurisconsultes. Et l'intérêt qui s'attache à ce vaste recueil est tel, que bien des littérateurs s'imaginent qu'il a été traduit. Or, quel est l'exacte vérité ? Cela peut sembler paradoxal, mais il n'y a jamais eu de livre plus généralement négligé et dont on ait plus parle. Nous pouvons bien pardonner à Heine, quand nous lisons la brillante description du Talmud contenue dans son Romancero, de n'avoir même jamais vu l'objet de ses poétiques éloges. Comme son compatriote Schiller, qui, soupirant en vain pour la vue des Alpes, en donna la description la plus brillante et la plus fidèle, Heine devina le vrai Talmud, avec l'instinct infaillible du poète, dans des citations partielles. Mais combien parmi ces citations coulent véritablement des sources ? Trop souvent et trop évidemment, pour employer la comparaison rustique de Samson, ce ne sont que des génisses anciennes et fatiguées1, avec toutes leur venimeuse parenté, qui sont une fois de plus attelées à la charrue par quelques savants. Nous disons savants ; car, pour le commun des lecteurs, beaucoup d'entre eux sont encore à croire, comme le capucin Henri de Leyde, que le Talmud n'est pas un livre, mais un nom d'homme : Ut narrat rabbinus Talmud, s'écrie- t-il, et d'un ton de triomphe il pousse son argument2. Or, parmi ceux qui savent que le Talmud n'est pas un rabbin, combien y en a-t-il chez qui il éveille autre chose que l'idée la plus vague ? Qui l'a écrit ? Quelle en est l'étendue ? Quelle en est la date ? Que contient-il ? Ou a-t-il paru ? Un contemporain l'a comparé à un Sphinx, vers lequel tous les hommes fixent les yeux à l'heure qu'il est, les uns avec une vive curiosité les autres avec une vague inquiétude. Mais pourquoi ne pas lui arracher son secret ? Jusqu'à quand allons-nous vivre seulement de citations mille fois reproduites et mille fois mal à propos ? Les meilleurs bibliographes se sont mépris à ce sujet. Ainsi Graesse, dans son Dictionnaire des livres rares (t. II, p. 24), va jusqu'à dire du Talmud (d'après Bartholocci et Wolf) : Il faut savoir que les Juifs ont un double Talmud : le Talmud Babli, recueilli à Tiberias, en Babylonie, et renfermant les lois que les Juifs doivent observer en pays étrangers, et le Talmud Ierouschami, composé en Palestine, et relatif uniquement aux Juifs habitant la Terre-Sainte. Division singulière ! On ne retrouve nulle part ailleurs une semblable appréciation, qui, il va sans dire, repose sur plusieurs erreurs. 1 Par exemple, les Tela ignea Satanœ, l'Abgezogener Schlangenbalg (dépouille de serpent). 2 Encore de nos jours, la plupart des essais uploads/Litterature/ talmud-01.pdf

  • 29
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager