Adolfo BIOY CASARES Tzvetan TODOROV , Introduction à la littérature fantastique

Adolfo BIOY CASARES Tzvetan TODOROV , Introduction à la littérature fantastique, Paris, 1970 : Soucieux, tout d'abord de délimiter son domaine et de le définir par rapport aux genres limitrophes que sont l'étrange et le merveilleux, ou la poésie et l'allégorie, l'auteur définit l'univers fantastique, comme celui où une hésitation doit naître entre une explication naturelle, et une explication surnaturelle des événements relatés. On conçoit donc que dans un dernier chapitre, intitulé précisément Littérature et fantastique, Todorov puisse revenir sur l'une de ses intuitions maîtresses, selon laquelle le langage littéraire ne saurait renvoyer à rien de réel, et qu'il puisse, dans cette perspective, présenter la littérature fantastique à la fois comme « la quintessence de la littérature », dans la mesure où elle fait de cette hésitation entre réel et irréel, « son centre explicite », et comme « une propédeutique à la littérature », parce qu'elle privilégierait paradoxalement dans le même temps, à l'imaginaire, une certaine référence, ou illusion de référence, à la réalité. Ce n'est que lorsqu'il a déterminé la nature des rapports du fantastique avec le surnaturel d'une part, et avec la représentativité du langage littéraire d'autre part, que Todorov poursuit son analyse, selon les trois catégories qu'il distingue dans le phénomène littéraire et qui sont : son aspect verbal, son aspect syntaxique et son aspect sémantique. Il passe assez vite sur les deux premiers, non sans se donner le loisir cependant, d'analyser de façon convaincante ce qui fait l'ambiguïté, et donc l'efficacité de telle page d'Aurélia, ou encore de déterminer très précisément la fonction du personnage-narrateur dans le conte, mais c'est pour consacrer deux longs chapitres à l'aspect sémantique du fantastique, c'est-à-dire à ses thèmes. Ici, il faut reconnaître que le lecteur n'est pas fâché de voir l'auteur se mesurer avec ce qui fut le terrain de prédilection de ses prédécesseurs, et que, loin de décevoir cette attente, Todorov apparaît sur ce point encore comme un théoricien. La répartition des thèmes fantastiques et plus généralement comme il le suggère, de tous les thèmes littéraires, en « thèmes du je », ou thèmes du regard, c'est-à-dire en thèmes se rattachant aux rapports de l'être et du monde, et en « thèmes du tu », thèmes du discours, et donc thèmes du désir, de l'amour et de la relation à autrui, ne va pas sans contradictions. Pourquoi, tout d'abord choisir tous les exemples, ou presque, dans le conte merveilleux, après avoir tant insisté sur la primauté de la réaction du personnage et du lecteur dans le conte fantastique ? Pourquoi encore, et, ici, le doute est peut-être plus grave, prétendre classer des thèmes et des images sans les interpréter ? Todorov, certes, s'en explique, et l'on sent bien avec lui, que le critère qu'il propose, de compatibilité ou d'incompatibilité des thèmes offre de quoi retenir l'attention, mais, comme il arrive plus d'une fois dans ces pages, la démonstration demeure trop hâtive pour être convaincante. Il n'en demeure pas moins que telle qu'elle se présente, cette classification a un niveau de généralité satisfaisant, sans jamais tomber dans l'arbitraire. Todorov accompagne, en outre, sa répartition d'un commentaire, où les idées et les rapprochements suggestifs abondent. Qu'il s'agisse, en effet, du jour qu'il projette sur la « transgression » opérée par le fantastique, de son rapprochement entre la psychose, l'effet de certaines drogues et l'univers de la littérature fantastique, où règne, du fait de l'abolition de la cloison qui sépare ordinairement le physique et le mental, ou la matière et l'esprit, ce qu'il appelle le « pan-déterminisme > ou la « pan-signification », il y a là autant de remarques dont la fécondité ne fait pas de doute et qu'on aimerait voir, un jour quelque peu développées. Mais l'auteur passe vite, comme il passe aussi très vite sur les rapports de la nouvelle et du fantastique, du surnaturel et de la rapidité du récit, du désir et du diable, ou même sur les raisons de l'établissement de sa deuxième catégorie de thèmes, et, malgré la profusion et l'excellence de ce qui est dit, il arrive qu'on le regrette. Pour finir, Todorov tente enfin une brève incursion hors de son domaine et de son système, pour se livrer à quelques considérations historiques sur le genre fantastique. Son propos demeure, cette fois, plus vague, et malgré quelques pages brillantes sur le « fantastique généralisé » de Kafka, sa conclusion s'en ressent et demeure imprécise. Tel qu'il se présente, cet ouvrage n'est donc pas, tant du point de vue d'une critique interne que de celui d'une critique externe, au-dessus de toute attaque. Mais ces quelques défaillances et ces contradictions ne parviennent pas à gâter l'impression de clarté, de rigueur et de force, qui se dégage de l'ensemble, et l'on ne saurait, de surcroît, être trop sensible à l'alliance difficile qui s'y trouve réalisée, du sérieux du raisonnement et de la hardiesse de l'intuition. Cette Introduction à la littérature fantastique, plus ambitieuse que n'eût pu le faire soupçonner son titre, apporte les éléments d'une vaste réflexion, qui couvre, non seulement le domaine propre au fantastique, mais aussi celui de la critique, et la littérature elle-même. Colette ASTIER Université de Paris-Nanterre uploads/Litterature/ todorov-literatura-fantastica.pdf

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