Nicolas de Halleux Aspects de mise en page des manuscrits de l'Egypte pharaoniq

Nicolas de Halleux Aspects de mise en page des manuscrits de l'Egypte pharaonique In: Communication et langages. N°69, 3ème trimestre 1986. pp. 67-91. Résumé La civilisation pharaonique est une de celles où le graphisme a atteint un développement et une perfection qui sont l'apanage des grandes cultures idéographiques. L'absence de frontière précise entre écriture et dessin, le souci permanent de représenter le réel sous une forme schématique dans ce que A. Leroi-Gourhan a appelé des mythogrammes (par exemple l'itinéraire du défunt dans l'au-delà) ont donné naissance à un art de la composition, de la mise en page, qui mérite une attention toute particulière. L'étude de ces techniques graphiques en Ancienne Egypte en est encore à ses débuts. Nicolas de Halleux qui est à la fois éditeur, féru de graphisme — il exerce les fonctions d'administrateur, chargé des publications dans une organisation internationale — et égyptologue a décidé de mettre cette double formation au service de l'étude de la mise en page des papyrus. Citer ce document / Cite this document : de Halleux Nicolas. Aspects de mise en page des manuscrits de l'Egypte pharaonique. In: Communication et langages. N°69, 3ème trimestre 1986. pp. 67-91. doi : 10.3406/colan.1986.1784 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_0336-1500_1986_num_69_1_1784 ASPECTS DE MISE EN PAGE DES MANUSCRITS DE LÉGYPTE PHARAONIQUE par Nicolas de Halleux La civilisation pharaonique est une de celles où le graphisme a atteint un développement et une perfection qui sont l'apanage des grandes cul tures idéographiques. L'absence de frontière précise entre écriture et dessin, le souci permanent de représenter le réel sous une forme sché matique dans ce que A. Leroi-Gourhan a appelé des mythogrammes (par exemple l'itinéraire du défunt dans l'au-delà) ont donné naissance à un art de la composition, de la mise en page, qui mérite une attention toute particulière. L'étude de ces techniques graphiques en Ancienne Egypte en est encore à ses débuts. Nicolas de Halleux qui est à la fois éditeur, féru de graphisme — il exerce les fonctions d'administrateur, chargé des publications dans une organisation internationale — et égyptologue a décidé de mettre cette double formation au service de l'étude de la mise en page des papyrus. Dans cet article, nous parlerons de la mise en page à une épo que où la page n'était pas encore apparue dans l'histoire de l'humanité... L'idée d'assembler des tablettes de cire en polyp- tique. puis des feuillets de parchemin en livre — en codex — voit le jour alors que depuis près de trois millénaires le scribe égyptien a déjà appris, face à un rouleau de papyrus étalé sous ses yeux, à pratiquer ce métier que graphistes et, éditeurs connaissent bien: disposer intelligemment du texte, de l'illu stration sur un support imposé. LA MISE EN PAGE... SANS PAGE Pour ce faire, les premiers scribes ont mis au point, à l'év idence, un système graphique. Or ce système, qui est précis, rigoureux, pratique, ignore le module de départ. — la page — dont la présence nous semble, à nous, à ce point indispensable que nous avons retenu son nom pour désigner le métier qu'elle a fait naître : le metteur en page. Telle est donc la question que nous nous sommes posée en commençant notre recherche: comment pratique-t-on la mise en page sans pages? C'est un peu comme s'il fallait entreprendre l'histoire de la peinture — et ceci est d'ailleurs vrai pour l'Egypte — dans une civilisation qui n'aurait pas connu l'idée de tableau. Graphisme Nous poursuivons cette recherche depuis quelquesannées. sur un échantillonnage toujours plus représentatif de papyrus pharaoniques : livres des morts, textes littéraires, textes de ges tion, documents privés, etc., appartenant aux différentes épo ques de la civilisation égyptienne*. Parallèlement à ce dépouillement, nous affinons et dévelop pons une grille d'analyse des variables de la mise en page, applicable aux volumes égyptiens. La première mise au point de cette grille a déjà été établie au départ d'un papyrus funér aire classique, copié vers 1300 av. J.-C: le papyrus de Ani. exposé au British Museum. Ces premières investigations font déjà voir que certaines formes de mise en page, conçues pour les écritures égyptiennes, seront spontanément adoptées par les scribes et maquettistes pratiquant les écritures que nous utilisons encore de nos jours lorsque, au sein de ce foyer intellectuel de première impor tance que sera l'Egypte hellénistique, puis romaine et chré tienne — en particulier Alexandrie — le papyrus deviendra le support courant des écrits du monde gréco-romain. L'appari tion du codex — comme le montre le Codex Sinaïticus — ne fera au début que confirmer l'appropriation de ces règles de mise en page par les scribes travaillant désormais sur une suite de. feuillets identiques. De plus, via le monachisme chrétien venu d'Egypte, l'influence du graphisme pharaonique se retrou vera même de façon directe dans des documents élaborés aux limites du monde occidental — en Irlande — et qui influence ront ensuite la mise en page pratiquée sur le continent euro péen1. Cependant avant de nous laisser entraîner dans ces hypothèses sur leurs influences en Occident, il faut décrire la manière dont les Egyptiens pratiquaient la mise en page. Et puisque le feuillet rectangulaire propre au codex n'existait pas. il n'est pas superflu de commencer par dire ce que nous enten dons par mise en page, dans une étude historique telle que nous l'avons entreprise. Nous utilisons, pour notre recherche, deux définitions dont § nous espérons qu'elles s'enrichissent mutuellement.- La pre- 2 mière, très ouverte, est. si l'on tient à la classer dans une caté- §> gorie de la philosophie des formes, franchement phénoméno- c1 ' logique: la mise en page c'est ce qui apparaît lorsqu'on regarde f ce qui- est écrit. L'étudier c'est apprendre à voir un texte. La <5 c •2 * Ces travaux sont dirigés par M. Pascal Vernus. directeur d'études à S l'École pratique des hautes études (IVe section). Nous le remercions ici de § ses encouragements et de ses conseils. S 1 . Voir F. Henry éd.. The Book of Kelts, reproductions from the manuscript | in Trinity College. Dublin. Dublin 1 974, p. 1 91. noter la pose osiriaque de ° saint Jean. Mise en page des manuscrits égyptiens 69 pratiquer c'est savoir faire voir un texte. Une surface couverte de signes graphiques, dessinés, calligraphiés ou imprimés peut être prise sous les yeux et contemplée comme un tableau ou un paysage ; sans vraiment la lire. En l'examinant de la sorte on découvre des composantes, des combinaisons, des disposi tions, bref un ordre qui a une logique et un sens. Cette création d'une, harmonie visuelle, sur. une surface déterminée, d'él éments donnés constitue l'« essentiel» de la mise en page... Voilà certes une définition «sensible» mais qui ne nous aide guère à dépouiller un document au cours d'une recherche pra tique. Dès lors, quels critères utiliser pour analyser une mise en page? A quoi faut-il être attentif? Pour un travail philologique et. dans une moindre mesure, iconologique ces critères ont été précisés. On peut, en se référant à l'une ou l'autre étude exemp laire, réutiliser les catégories éprouvées, définies pour établir un texte ou décrire une image. Peut-être parce qu'elle n'appart ient ni vraiment au champ de la philologie ni à celui de l'his toire de l'art, mais qu'elle se situe à l'intersection de ces domaines séparés par une vieille tradition académique, l'étude de la mise en page ne dispose-t-elle encore que d'un petit nombre d'outils d'analyse. Quoi qu'il en soit, cette pauvreté des théories est. pour le grand profit du chercheur, merveilleuse ment compensée par la variété et l'efficacité des outils de tra vail que mettent à sa disposition les métiers graphiques et édi- toriaux. Ce sont donc ces instruments-là, très familiers aux lecteurs de Communication et langages, qui nous ont servis à étudier les papyrus égyptiens. NOTRE DÉMARCHE Partant des éléments les plus simples d'une plage écrite et illus trée pour aller vers les compositions les plus complexes, nous avons d'abord considéré les signes d'écriture — hiéroglyphes, hiératiques — pris isolément. Après cet examen, proche de la paléographie, nous avons voulu voir comment, graphiquement, ces éléments sont combinés par le scribe en unités plus grandes : le quadrat, disposition des signes en carrés dont il sera question plus loin, mais pas le mot. Du quadrat, on passe donc directement à la mise en ligne. Le mot n'apparaît pas. La ligne, elle, peut être verticale ou horizontale et les signes peuvent y être mis de manière à regarder — c'est bien le terme — l'idéogramme pouvant être pourvu d'yeux — dans différentes directions. Et ensuite? Comment sur un rouleau — dont les lignes d'écritures sont parallèles à la tranche — rassemble-t-on un groupe de lignes de manière à leurfaire occuper un espace qui soit, certes économiquement judicieux (le rouleau a un for mat contraignant), ou encore esthétiquement équilibré, mais Graphisme aussi qui, le cas échéant, mette en valeur les subdivisions, les hiérarchies permettant d'appréhender visuellement la logique du contenu du texte? Ces unités, comme on. le lira, ne sont certes ni des pages, ni des chapitres. Mais alors quelles sont- uploads/Litterature/aspects-de-mise-en-page-des-manuscrits-de-l-x27-egyptepharaonique.pdf

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