1 LE LIEU ET LE LIEN Jacques-Alain Miller Première séance du Cours Mercredi 15

1 LE LIEU ET LE LIEN Jacques-Alain Miller Première séance du Cours Mercredi 15 novembre 2000 Bonjour. Ce que je vais commencer par vous dire n'est pas ce que j'avais prévu de vous dire. Ce que j'avais prévu de vous dire, je l'avais prévu en fonction de ce que j'avais préparé, ânonné tout seul, et ce qui m'est venu, en fonction de mon titre, s'est trouvé déporté, un mot en appelant un autre. Il faut que je vous précise que je n'ai arr6té mon titre que hier au soir, c'est à-dire in extremis. Vous aurez donc pour commencer une bafouille de primesaut, pas tout à fait contrôlée. Cette bafouille m'a enseigné ce qui me préoccupait, soit que je n'arrive pas à faire comme si pas. Je n'arrive pas à faire comme si de rien n'était. Pourtant, ce n'est pas une analyse. Rassurez-vous. Mais, évidemment, étant donné les circonstances que j'étale devant vous, ce n'est pas sans rapport, ce n'est pas sans lien avec une analyse. Cela fera passer, je l'espère, ce que cela peut avoir de pas léché. Ce n'est pas une analyse, mais ce n'est pas sans rapport avec, parce que cela part de ce qui me tracasse à propos de la psychanalyse. Cela met en forme ce qui me tracasse, et dans une forme qui n'est évidemment pas celle d'une analyse, mais une forme qui est celle de l'enseignement. Qu'est-ce que la forme de l'enseignement? Nous y sommes en plein. Pour le dire d'un jeu de mots, l'enseignement, c'est, comme l'éprouvent tous ceux qui enseignent, de l'enseigne-mentir. On devient enseignant quand on a appris à mentir comme il faut. On ne peut pas se défendre de l'idée que, dans la psychanalyse, cela devrait être autre chose. L'enseignement devrait, dans la psychanalyse, coller de plus près aux tracas de chacun. De coller de près aux tracas de celui qui enseigne, cela pourrait peut-être avoir une chance de toucher aux tracas de chacun, de ceux qui reçoivent. C'est un fait. Je me suis aperçu que mon tracas était un tracas pour la psychanalyse. Je vais 2 peut-être vous surprendre, mais c'est nouveau pour moi, parce que, pour moi la psychanalyse c'est, ou c'était, du solide. Je suis établi dans la position d'enseigner dans la psychanalyse sur cette assise-là. J'ai même pu, j'imagine, faire partager cette confiance. Je m'y suis employé. A partir du moment où je me suis convaincu que la psychanalyse c'est du solide, je me suis tracassé pour la diffuser, et spécialement sous les espèces de l'enseignement de Lacan. Si je me retourne, j'ai vraiment été piqué, piqué d'une "louche, pas la fameuse mouche tsé- tsé, mais d'une autre mouche, la mouche tseu-tseu, qui m'a précipité, tous azimuts, pour apporter la bonne nouvelle. Or, on dirait que j'ai été piqué d'une autre mouche, ou plutôt ai-je été mordu par un remord, mordu par une pensée, quelque chose comme “ Eh ! La France, ton café fout le camp”. Le café étant en l'occurrence la psychanalyse. C'est ce qui m'a conduit, à tâtons, il y a peu, dans l'intervalle, à souligner, avec les moyens du bord, la différence de la psychanalyse pure et de la psychanalyse appliquée à la thérapeutique. Cela n'allait évidemment pas aussi loin que ce que je me suis trouvé me sortir à moi-même, à savoir ce péril en la demeure. Il faut dire que ce péril, aucun nombre, aucune affluence, qui est cet après-midi sensible, n'y peut rien. Mon titre, pourtant, je l'ai choisi très loin de ça, parce que je m'étais plutôt convaincu qu'il ne fallait pas trop parler de ça. J'ai donc cherché quelque chose de neutre. Ne pas faire de vague, travailler sérieusement. Le titre sur lequel je me suis arrêté est: Le lieu et le lien. Je le mets au tableau pour que l'ambiguïté sonore “et” soit, par l'écriture, levée. Je me suis dis, et je vous dis, c'est mon titre. Mon titre n'est pas altesse, n'est pas calife, n'est pas hospodar, mikado, pacha. C'est ça mon titre. Voilà ce que je donne comme titre. Pourquoi est-ce que je donne un titre? Je le donne avant tout par politesse, afin de faciliter le classement, puisque pour moi cela se continue sans vraiment de solution de continuité. Cela permet, ce qui est si important, qu'on puisse mettre ça à sa place. La place, certes, a rapport avec le lieu. Elle a un lien avec le lieu. Pourtant, dans l'usage, et spécialement dans la langue française, maniée avec précision par 3 Lacan, place n'est pas lieu. Place apparaît liée à un élément qui s'y inscrit, qui peut s'y inscrire. Quand on va aux courses, quand il y a les chevaux, on accorde beaucoup d'importance de savoir dans quel ordre ils vont arriver et on joue leur place. On joue le cheval gagnant, on joue le cheval placé, et on fait très attention à ce que chacun soit à sa place, on a des moyens perfectionnés pour obtenir la place de chacun. Le lieu, pour prendre cette perspective, c'est plutôt la cohue. Le lieu, c'est ce qui fait sa place à la cohue. On peut donc mettre le un du côté de la place et le multiple du côté du lieu. La place, c'est pris dans des affaires de substitution, ou bien, tranquillement, sous les espèces de la succession, ou de façon plus sthénique, sous les espèces de l'exclusion. Mais ce qui a perdu sa place par exclusion garde toujours un lien avec ce qui s'y substitue. En tout cas, dans la psychanalyse, c'est en termes de place que Lacan a traduit le refoulement. Il a dû dessiner des places pour rendre sensible le refoulement articulé au retour du refoulé. La place, à l'occasion, on se la dispute. Tandis que le lieu, c'est beaucoup plus pacifique, plusieurs y voisinent, et il peut arriver que ces plusieurs soient coordonnés. Voilà le lien qui arrive. Si ces plusieurs sont coordonnés, alors il y a chance que chacun ait sa place. Quand ça se passe au mieux, c'est même susceptible de se présenter comme un système, voire une structure. C'est ainsi que le lieu, bien ordonné, permet de distinguer une multiplicité de places, et c'est là que peut tourner ce que Lacan appelait un discours où s'articulent des places et des éléments. J'ai dit que c'était par politesse que je m'arrêtais sur un titre à vous communiquer. Ce n'est déjà pas tout à fait vrai. Certes, le souci que je peux avoir de vous entre en ligne de compte, mais je compte parfois sur un titre pour m'aider, moi, dans le soin où je suis de ne pas dévier d'une orientation. Ainsi, un titre me donne un point de départ pour une trajectoire, qu'il s'agit ensuite d'enchaîner. C'est ce qui m'a conduit à ce “ Le lieu et le lien”, à partir de ce que l'année dernière j'ai traîné ou gravi sous le titre des Us du laps, et où j'ai entrepris de parler du temps. C'est un programme que je n'ai que très partiellement couvert, comme en témoigne pour moi la masse des notes inutilisées qui me reste. J'ai en particulier laissé sur le bord de la 4 route de développer en quoi le temps est un effet, un effet que l'on devrait pouvoir articuler à une structure qui le détermine. De la même façon, de façon comparable, analogue, à celle qui fait un couple de signifiants déterminer un signifié, l'articulation signifiante étant elle- même un mode de lien, le temps pouvant être signifié au sujet selon des modalités diverses en fonction de la structure signifiante qui le détermine. C'est dans cette optique que fait sens, et même opération, de distinguer le temps épistémique, le temps de savoir, et le temps érotique, celui qui comporte un lien avec ce que Lacan a appelé l'objet petit a. M'étant déchargé de ça surtout au Brésil, où j'étais l'an dernier à Pâques, je me suis trouvé ne pas le développer ici. Ayant au moins effleuré le thème du temps, je me faisais un devoir de dire quelque chose de l'espace. Vous voyez que j'associe là un signifiant à un autre de la façon la plus élémentaire, sauf que, dans la psychanalyse, l'espace n'est pas impliqué comme l'étendue, mais bien comme le lieu. Ce qui en grec se dit, vous ne l'ignorez pas, topos. Ce vecteur, cette indication conduisait tout droit là où Lacan nous a laissé un titre et peu d'autre chose, un titre presque ultime de son enseignement, La topologie et le temps. C'est la version lacanienne du binaire l'espace et le temps. Dans la psychanalyse, ça se corrige de ce que l'espace y est impliqué d'une autre façon qui, au gré de Lacan, oblige à passer par les lieux. Ce qui est resté miroitant, c'est l'instance d'une nouvelle esthétique, au sens propre, d'une nouvelle doctrine de l'espace et du temps liés l'un à l'autre de façon inédite. C'est ainsi donc que le temps m'a conduit au lieu, et j'y ai ajouté le lien. L'assonance, je l'avoue, y uploads/Management/ alain-miller-jacques-le-lieu-et-le-lien-2000.pdf

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  • Publié le Oct 17, 2021
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