Semen Revue de sémio-linguistique des textes et discours 23 | 2007 : Sémiotique

Semen Revue de sémio-linguistique des textes et discours 23 | 2007 : Sémiotique et communication. Etat des lieux et perspectives d'un dialogue Du sens, des sens. Sémiotique, marketing et communication en terrain sensible JEAN-JACQUES BOUTAUD Entrées d'index Mots­clés : Sensoriel, Sensible, Esthésie, Expérience, Consommation Texte intégral On aura deviné, dès le titre, tout ce que cette communication doit à Greimas, l’auteur bien sûr Du Sens et De l’Imperfection, mais aussi à Floch, avec son fameux triptyque Sémiotique, Marketing et Communication. Deux sources d’inspiration majeures au moment où, dans ce périmètre interdisciplinaire, se nouent de nouvelles relations et percent de nouveaux enjeux, théoriques et opérationnels, à la faveur d’un questionnement particulier : savons-nous prendre en compte la part sensible du sens ? Sous quels traits, quelles formes, avec quels effets ? Un terrain sensible, donc, par sa porosité (comment fixer les frontières du sensible ?) et le poids ontologique de sa relation à l’intelligible, dans la tradition philosophique. 1 Dans leur trajectoire vers le sens, vers les processus de signification, marketing et communication ont trouvé, dans la sémiotique, de nombreux points d’appui conceptuels et méthodologiques. Aujourd’hui, cette trajectoire prend une direction de plus en plus marquée vers le sensoriel et le sensible, comme si sémiotique, marketing et communication, allaient chercher de quoi se revitaliser et, pourquoi pas, se mettre en danger sur des terrains encore mal balisés, si l’on ne verse pas directement dans l’esthétique ou, à l’opposé, dans les sciences exactes. 2 Dans ses relations à la communication et au marketing, la sémiotique est-elle simplement vouée à l’opérationnalité, voire à l’instrumentalisation, avec la caution théorique et la prime de signification attendues, ou favorise-t-elle le questionnement sur la complexité du sens et les nouveaux moyens de l’aborder ? Que peut-elle aussi attendre, en retour, de son appariement à la communication et au marketing, dans ce 3 1. L’apport sémiotique au marketing et à la communication champ d’émergence du sensible au niveau du discours, des objets, des dispositifs ou, plus globalement, des relations, des modes relationnels, intersubjectifs, que nos sociétés idéalisent ? Précisément, comment expliquer cet attrait pour le sensoriel et le sensible ? Avec quelles relations de contiguïté entre les deux dimensions ? Alors que le marketing semble avoir pris un temps d’avance, à travers tout un découpage sectoriel ou conceptuel, en marketing non seulement sensoriel, mais, relationnel, expérientiel, que révèle le besoin d’intégrer des compétences sémiotiques ou des problématiques de communication dans cette approche du sensoriel : le besoin, là encore, de le réifier au profit d’une plus grande efficacité ou d’une plus-value marchande face à la concurrence ? Ou, sans se figer sur cette dimension opératoire, un réel renouveau paradigmatique pour questionner, dans toute consommation, les signes et le sens de cette consommation. 4 On se doute que derrière toutes ces questions il ne s’agit pas de trancher en faveur de telle ou telle approche, ou de dichotomiser le monde bienveillant des uns et le monde sournois des autres. Il s’agit, au contraire, de voir comment, au-delà des précautions et des préventions, bien naturelles avant de s’engager ensemble, sémiotique, marketing et communication, malgré leurs intérêts privés, peuvent s’enrichir de leurs relations croisées au carrefour du sensible. 5 Nous nous proposons, d’abord, de mettre en perspective ces relations croisées, établies non sans réserves, ni malentendus, mais, dans le même temps, voulues, souhaitées, pas seulement au plan de la recherche, mais aussi de la formation et du monde professionnel. Nous verrons comment le sensible a concentré le champ d’action entre sémiotique, marketing et communication, à travers des liens explicites ou concrets, ou des correspondances induites par la complémentarité de travaux convergents, au même moment, sur le sensible. Pour conclure, notre propos se voudra plus prospectif sur les objets, les champs et les enjeux d’une telle complicité autour du sensoriel et du sensible. 6 Même si les relations sont désormais établies et convenues, ce qui ne veut pas dire stabilisées, entre sémiotique, marketing et communication, les choses n’ont pas toujours été simples, disions-nous, pour situer les apports respectifs et construire des ponts, au-delà de la simple curiosité à se rapprocher sur des objets et s’accorder sur la mise en circulation des signes dans la société. S’il faut penser avec Sebeok, que sémiotique et marketing se rejoignent sur des problématiques similaires mais dans des « perspectives stratégiques différentes »1, voyons déjà séparément les relations établies, d’une part sur le versant sémiotique et communication, d’autre part sur le versant sémiotique et marketing, pour mieux situer le point de rencontre qu’offre aujourd’hui le sensible. 7 Sémiotique et communication, d’abord. S’il nous est permis de le rappeler, nous avons souvent travaillé cette question2, en nous demandant pourquoi le partage des compétences a tardé à se manifester ou à trouver sa voie. Aujourd’hui encore, la communication accepte mal un principe d’immanence et un métalangage qui coupent la sémiotique des contextes d’énonciation et de leur ancrage pragmatique ; à l’inverse, la sémiotique voit mal comment la communication peut toucher en profondeur la signification, alors même qu’elle se définit, bien souvent, dans la publicité, les médias, toute forme de persuasion, par des visées intentionnelles et la nécessité de transmettre un message, dont de l’instrumentaliser. Ces réserves ont leur 8 justification, mais il a fallu les dépasser et sortir, de part et d’autre, de ce prisme déformant, pour mieux entrevoir les relations de solidarité entre sémiotique et communication, même si du chemin reste à parcourir. Ainsi, dans la direction qui est la nôtre, à l’orée du sensible, la communication n’a pu se contenter de voir, dans la sémiotique, un outil de décryptage des signes et des codes, des images et des connotations, qui ont fait de la publicité un modèle d’application par excellence. Le caractère multimodal de la communication, sa dimension symbolique, avec tous les processus mis en jeu, en termes d’identité, de sens, de relation, tous ces facteurs ont étendu le champ d’intervention sémiotique en communication. En retour, la sémiotique s’est nourrie des supports de communication et des problématiques sous-jacentes à leur utilisation (discours médias, nouvelles technologies de l’information et de la communication, objets de consommation) pour tracer de nouvelles voies dites sémiopragmatiques ou sociosémiotiques (Semprini, Landowski, Fiske), non soumises à la composante linguistique de la communication. Même idéalement construit, le signe apparaît bien comme un élément de vie, de la vie sociale, dans l’étendue de ses modes de manifestation et de communication (verbale, non verbale, sensorielle, spatiale, etc.). 9 Les relations sémiotique et marketing n’ont pas davantage suivi, à l’origine, le cours d’un fleuve tranquille. A titre d’exemple, dans sa lecture de Marketing and Semiotics (Sebeok, 1987), Schroder s’inquiète de voir que « le recueil ne propose aucune réflexion véritable sur les différences entre marketing et recherche sémiotique. Les divergences méthodologiques –approche quantitative dans un cas, qualitative, dans l’autre- sont passées sous silence. Il n’est pas non plus question de filiations théoriques ou politiques ». Et d’ajouter : « Deux traditions aussi clairement antagonistes ne peuvent être fondues sans que l’on réfléchisse à leurs histoires respectives ; à la façon dont ces histoires déterminent les questions posées, et les limites du questionnement. Sans cette clarification préliminaire, il semble difficile de mettre en place des objectifs communs »3 . Depuis, les choses ont évolué, se sont précisément clarifiées. 10 On peut penser que Jean-Marie Floch a joué un rôle catalyseur important. Les différentes synthèses consacrées aux relations sémiotique et marketing4 font systématiquement référence à ses travaux. Dans leur article, en forme d’hommage, Heilbrunn et Hetzel (2003) soulignent le mérite de Jean-Marie Floch d’avoir apporté « dans un champ déjà relativement sémiologisé la fraîcheur d’un regard sachant allier une lecture sensible du monde à l’exigence méthodologique que requiert l’approche structurale »5. Une lecture sensible, sur de multiples plans : épistémologique, car Floch voit principalement, dans la sémiotique, un geste anthropologique, avec des dimensions esthétiques et herméneutiques ; méthodologique, car Floch revendique une « pensée bricoleuse », dans l’acception donnée par Lévi-Strauss, avec toute la liberté nécessaire pour établir des relations et des oppositions signifiantes prenant forme et force de système ; sur le plan thématique, enfin, où Floch passe librement d’un sujet à l’autre, sans jamais perdre de vue ces « petites mythologies de l’œil et de l’esprit »6 qui l’entraînent d’objets en lieux, de lieux en discours, de discours en identités ou expression d’une philosophie de vie. 11 A suivre Heilbrunn et Hetzel (2003), les marketers vont donc trouver, chez Floch, à la fois un état d’esprit, sensible au « bonheur des signes » et une méthode de sémiotique appliquée. La méthode d’abord. Sémiotique, Marketing et Commnunication (1990) la rend accessible par des procédures de débrayage entre la théorie et son application. En quelque sorte une défense et illustration du parcours génératif dont les différents niveaux fournissent ce qu’il est convenu d’appeler des outils, comme le carré sémiotique ou le schéma narratif. Au-delà de la méthode, il faut penser, avec Heilbrunn et Hetzel (2003), que la lecture de Floch insuffle au 12 9 (extraction culturelle > transferts de signification dans différents supports > appropriation par les consommateurs) en un uploads/Management/ boutaud-jean-jacques-du-sens-des-sens.pdf

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  • Publié le Aoû 23, 2022
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