Le rôle des anaphores dans la mise en place des relations de cohérence dans le
Le rôle des anaphores dans la mise en place des relations de cohérence dans le discours: l’hypothèse de J.R. Hobbs1 FRANCIS CORNISH CLLE-ERSS, UMR 5263, CNRS et Université de Toulouse-Le Mirail ABSTRACT Pour Hobbs (1979), l’interprétation des anaphoriques inter-phrastiques ‘découle’ (‘falls out’) en tant qu’effet secondaire de l’emploi d’une relation de cohérence pour intégrer deux unités de discours. En essayant de mettre au clair la nature des interactions entre relations de cohérence et fonctionnement des anaphores dans la compréhension de textes multi- propositionnels, l’article cherche à démontrer que l’hypothèse de Hobbs n’est valable qu’en partie. D’abord, la référence complète des anaphoriques ne ‘découle’ pas seulement du choix de telle ou telle relation de cohérence pour intégrer deux unités de discours: elle est essentielle pour la mise en œuvre effective de cette relation. Ensuite, elle sert également à sélectionner l’unité de discours avec laquelle l’unité arrivante va s’intégrer, ainsi qu’à articuler le discours en une structure hiérarchique. Enfin l’intégration des unités de discours n’a pas lieu d’un seul coup, mais peut être étalée sur au moins trois étapes distinctes. 1 INTRODUCTION Tout comme les relations de cohérence, les relations anaphoriques inter- phrastiques ont comme raison d’être de faciliter la tâche du lecteur ou de l’auditeur — qui est d’intégrer le contenu et la valeur discursive des énoncés arrivants en une structure interprétative plus globale. Comme le disent Zwaan et Rapp (2006: 726), ‘[c]omprehension requires building connections between [the events being described in the text] and existing representations in memory’. Plus loin (p. 731), les auteurs soutiennent que ‘…coherence is a direct function of the degree to which comprehenders can connect information they are currently processing, with prior information either in the linguistic stimulus or in memory’. Ces deux phénomènes (les relations de cohérence et les liens anaphoriques) servent en effet à établir la continuité référentielle sans laquelle une séquence de propositions et de phrases ne formerait pas un 1 Je remercie Béatrice Boutin, Michel Aurnague et Georges Kleiber, ainsi que trois relecteurs anonymes de la revue, pour leur relecture attentive de versions antérieures de ce texte. texte.2 L’objectif principal de cet article est de déterminer la nature exacte de leurs interactions. Après une section présentant l’hypothèse de Hobbs (1979) sur la relation entre la résolution des anaphoriques et la mise en place des relations de cohérence, hypothèse que je me propose de mettre à l’épreuve (§2), l’article se poursuit en précisant la variété de types d’indices linguistiques qui permettent de reconnaître la pertinence de tel ou tel type de relation de cohérence pour l’intégration de deux unités de discours (§3). La section 4 est consacrée à une élaboration de définitions d’un sous-ensemble de relations de cohérence, dont la plupart ont été proposées à l’origine par Hobbs (1990); et la section 5 analyse deux courts textes en fonction des indices de reconnaissance détaillés dans la section 3 ainsi que des définitions des relations proposées dans la section 4. Ces analyses sont formulées dans la perspective du compreneur traitant les unités du texte à l’œuvre en temps réel. C’est dans ce cadre que nous verrons la contribution des anaphores dans les phrases et propositions successives dans les textes étudiés. Cornish (sous presse) considère cette problématique à travers les faits de l’anglais, et développe beaucoup plus en détail la question. 2 L’HYPOTHESE DE HOBBS (1979) L’article prend pour point de départ l’hypothèse avancée par Hobbs (1979), qui est la suivante: l’interprétation des anaphoriques inter-phrastiques ‘découle’ en tant qu’effet secondaire de l’emploi d’une relation de cohérence pour intégrer deux unités de discours. En d’autres termes, une fois qu’une relation de cohérence aura été sélectionnée pour intégrer les propositions logiques et illocutions associables à deux propositions ou phrases dans un texte (qu’elles soient adjacentes l’une de l’autre ou non), au sens où elle pourra être appliquée de façon satisfaisante à ces unités, alors l’interprétation de la ou des expression(s) anaphorique(s) dans la seconde proposition ou phrase sera de ce fait réalisée. Comme le dit Hobbs (1979: 68): ‘The solutions to many problems of reference and coreference simply “fall out” in the course of recognizing the coherence relations’. On n’aura donc pas besoin de principes spéciaux pour la résolution des anaphores, en plus de ceux nécessités pour l’établissement d’une relation de cohérence donnée afin d’intégrer le contenu des deux unités de discours. 2 Bien entendu, comme me le fait remarquer l’un des relecteurs anonymes, cela ne constitue qu’une condition nécessaire, mais non suffisante, de la cohérence d’un texte. Il faut aussi que les unités discursives créées par intégration successive grâce à une ou plusieurs relation(s) de cohérence locale(s) puissent conjointement satisfaire à la condition (suffisante) de cohérence globale, ou macro- cohérence. Celle-ci se reflète dans la possibilité qu’auront ces unités d’être subsumées sous un macro- topique quelconque. Voir à cet égard les analyses de textes à première vue incohérents proposées par Charolles (2005). Voir également Albrecht et O’Brien (1993) pour des indications expérimentales qui montrent que cette double exigence correspond à une réalité psychologique dans la lecture de textes en temps réel par des sujets anglophones. En guise d’illustration, commençons par ré-analyser l’exemple phare de Hobbs (1979: 78, ex. (3)): (1) John can open Bill’s safe. He knows the combination. Dans (1), l’un comme l’autre des deux référents humains mâles évoqués dans la phrase initiale pourra en principe être repris via le pronom sujet masculin au singulier he dans la seconde; de plus, la propriété qui en est prédiquée consistant à ‘connaître le chiffre de combinaison de la serrure d’un coffre-fort particulier’ pourra s’appliquer de façon plausible à chacun des référents à l’œuvre (à ‘Bill’, puisque le coffre-fort en question lui appartient, et à ‘John’, puisque c’est ce qu’affirme la phrase initiale). Pourtant, c’est seulement lorsque le pronom he dans la seconde phrase est compris comme renvoyant à ‘John’ que la proposition logique qu’elle exprime pourra être interprétée comme fournissant un Indice ou une Preuve (‘Evidence’) étayant l’Assertion (‘Claim’) faite à propos de John via la première. La phrase initiale en tant qu’énoncé peut s’analyser comme exprimant une structure informationnelle thétique (où l’information qu’elle véhicule est présentée comme ‘toute nouvelle’), et la seconde comme articulation ‘catégorique’ (à topique-commentaire), reprenant comme topique le référent le plus proéminent évoqué via la première (‘John’). Le fait d’interpréter he comme renvoyant à ‘Bill’ dans (1) ne permettrait pas à la proposition logique ainsi créée de fournir une information supplémentaire à propos de ‘John’. De plus, comme les pronoms de 3ème personne inaccentués sont spécialisés dans la reprise de référents hautement topicaux et présupposés, l’interprétation de he ici en fonction du référent du SN génitif Bill’s, déterminant nominal possessif —donc en position périphérique dans la phrase initiale—, serait de toute façon difficile. Du coup, la continuité de la situation évoquée via l’assertion de la phrase initiale ne serait pas assurée.3 A proprement parler, plutôt que de dire que la résolution du pronom he ‘découle’ simplement de la mise en place d’une relation de cohérence intégrant les deux unités, comme le soutient Hobbs (1979), cela est en fait un pré-requis pour la mise en œuvre d’une relation appropriée; mais il est clair que les deux procédures fonctionnent en symbiose l’une avec l’autre (cf. Cornish (sous presse)). Hobbs, pour sa part, analyse la seconde phrase de (1) comme étant dans une relation d’Élaboration par rapport à la proposition évoquée via la première (au sens où c’est la même proposition qui est inférée dans chaque cas, moyennant l’emploi de mots différents):4 car si X sait ouvrir Y, où Y 3 Le discours construit ainsi serait de ce fait singulièrement peu informatif, de toute façon. 4 Voir la contribution de Kleiber et Vassiliadou (ce numéro) pour un examen approfondi de cette relation, notamment en ce qui concerne sa conception chez Hobbs. est un coffre-fort, alors X connaît le numéro de combinaison qui permet d’ouvrir Y (les coffres-fort étant habituellement sécurisés de cette façon). Dit autrement, cette proposition est impliquée à la fois par la phrase initiale et par la seconde. Cela est clairement le cas ici; mais cette relation plus fondamentale reliant les deux propositions peut (en fait, doit) être renforcée en interprétant la phrase initiale comme effectuant une Assertion particulière (la présence de l’auxiliaire modal can sert à motiver cette interprétation), et en interprétant la seconde comme fournissant à l’allocutaire ou au lecteur une raison de croire à cette Assertion. Si tout ce qui était en jeu dans la compréhension du texte (1) revenait à une simple paraphrase par la seconde phrase de la première, alors cela enfreindrait un principe fondamental de la communication: ‘Ne dites pas à votre allocutaire ce qu’il sait déjà – à moins qu’il existe une bonne raison de le faire’ (ce serait le cas ici si la seconde phrase était comprise comme fournissant une preuve de l’assertion effectuée via la première – le locuteur/scripteur ressentant le besoin de persuader l’allocutaire/lecteur de la plausibilité de son assertion via la première). Un argument supplémentaire en faveur de la pertinence de la relation Assertion-Indice plutôt qu’une simple ‘Élaboration’ dans le cas de (1), uploads/Management/ le-role-des-anaphores-dans-la-mise-en-place-des-relations-de-coherence-dans-le-discours-l-x27-hypothese-de-j-r-hobbs.pdf
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- Publié le Apv 12, 2021
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