Éducation de l’adolescent par Luce Quenette On m’avait chargée d’un cours de La

Éducation de l’adolescent par Luce Quenette On m’avait chargée d’un cours de Latin dans cette école très chic qui réunissait les jeunes gens en convalescence à la montagne. La petite classe de Philosophie était au bout du couloir, elle devait être pleine de soleil, face au Mont Blanc. J’entendais la voix du professeur, haute, distincte, son cours n’était pas fini, j’écoutai donc. Je compris qu’on en était au développement de la personne, à la jeunesse, on résumait, on résumait par Freud – la voix appuyait sur libido, refoulement, le ich et les « moi » superposés, le sexuel omniprésent : les mêmes termes revenaient dans des combinaisons, descriptives, dites d’un ton sans réplique, comme le récit hallucinant d’un spéléologue descendu dans les profondeurs sombres et rapportant vaniteusement ses horreurs. Que se passa-t-il ? Je me représentai les jeunes têtes que l’on bourrait ainsi, les jeunes corps tourmentés auxquels on réduisait leur âme, ce démantèlement de la personne à l’âge vainqueur où elle s’élance… Vous est-il arrivé d’attaquer avant d’avoir résolu d’attaquer ? J’ouvre la porte, je vois deux tout jeunes gens penchés sur leur stylo – je vois la dame agrégée qui dictait libido – je m’entends dire. « Est-ce là, Madame, ce que vous appelez l’éveil de la personne ? parlez-vous à des organes ou à des âmes ? La jeunesse humaine, c’est la raison enfin consciente de l’affirmation du Vrai, l’acte de la jeunesse c’est le jugement, l’âme est maîtresse du corps qu’elle anime. ». Je n’oublierai jamais les trois regards : les yeux des deux gosses encore embués d’ennui, brusquement amusés, luisants de malice vers la dame agrégée, toute rouge, la main sur son Sigmund Freud, palpitante de droit outragé. Je dis : « Je m’excuse, Madame, mais vous comprenez, la jeunesse ce n’est pas cela, vous les désarmez quand ils ont tant de force. » Elle se lève, elle part – les suites furent orageuses, l’épilogue immédiat, gai. « Vous avez bien fait, me dit l’un des garçons, vous savez, de sa libido on en a ras la caisse ! » Alors je médite aujourd’hui sur l’avènement de l’adolescence. Comment la génération des maîtres et des parents reçoivent-ils ce prince nouveau qui entre au palais de la jeunesse. Quatorze ans, quinze ans, seize ans. Comment les recevons-nous pour que de ces années radieuses, leurs souvenirs soient si souvent lourds, impurs, « énervants » (ce terme équivoque de vaincu) ? Cette adolescence, on l’appelle crise, puberté, âge ingrat, âge difficile, années inquiétantes ; et on la nourrit de programmes sans poésie, on l’excite à la « situation », au « débouché », et si le malheureux « travaille en classe » on s’inquiète peu de ses yeux troubles, de ses lectures de hasard, de ses gestes incertains ou on les « comprend » (misérable et fausse charité) comme l’insécurité et le tourment passager d’un malade – d’un vieil enfant chargé de chaînes. « Quand il eut douze ans, ils l’emmenèrent avec eux à Jérusalem… Ils le trouvèrent au milieu des Docteurs, les écoutant et les interrogeant et tous ceux qui l’entendaient étaient dans l’admiration de sa sagesse et de ses réponses. » « Et il leur dit : « Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne savez-vous pas qu’il faut que je sois aux choses de mon Père. » « Ils ne comprirent pas. « Mais sa mère gardait cette parole dans son cœur. « Il vint avec eux et il leur était soumis. » Éducation de l’adolescent, page 2 C’est toute l’adolescence. Rien n’est plus Grâce que l’adolescence. Le Fils de l’homme n’en est- il pas l’exemplaire puisqu’Il a racheté dans sa Grâce charmante et toute-puissante votre enfant à vous. Si vous l’avez gardé pur, ou si, le sachant souillé petit par les camarades (hélas, hélas) vous l’avez rudement mené à la conversion, porté à la confession, redressé dans cet âge adulte de l’enfance, facilement équilibré, qui précède les années décisives, alors vous le verrez entrer comme le jeune David allant au camp voir ses grands frères. Le pied vif, en tunique de berger, il apporte aux soldats les fromages des troupeaux paternels. Mais les frères sont tristes, ils répondent à peine à son salut, David suit leurs regards… tous contemplent le géant Philistin, Goliath, qui défie entre les deux camps, les hommes d’Israël. David voit comme ils ont peur. Il rougit pour eux, son cœur n’est que fierté, que désir de combattre, la Grâce l’inspire, il va trouver le Roi : « Si vous voulez, dit-il, j’irai et je le tuerai, et je délivrerai mes frères. » Avant d’être jaloux, on a pitié. Cet âge ingrat est bien hardi, cet inexpérimenté est bien insouciant. Le Roi lui fait endosser sa belle armure, l’enfant sourit, il dit merci et prestement, derrière une haie, il dégrafe et laisse tomber la lourde protection du monde. Regardez-le, pieds nus dans le torrent, sagace, avisé, triant quelques cailloux ronds pour sa jeune victoire. Voilà l’éveil du jeune homme et sa puissance. Avant que de les nourrir de ces belles apparitions, estimez vous-mêmes la valeur unique de ces années rapides. Je suppose que vous n’avez pas ri de sa timidité, que vous n’avez pas dit, méprisant, devant lui : « Il n’aime pas sortir, il n’est guère sociable, j’en vois de si dégourdis à son âge, il a horreur des filles, je voudrais tant qu’il cherche un peu à plaire » ; et enfin, pour résumer : « Il n’a pas confiance en lui-même ! » Si vous dites toutes ces bêtises, vous ternirez la Grâce. Cette réserve un peu sauvage et rarissime, ne la troublez pas, respectez-la. Cette crainte de soi-même, c’est la pudeur, faites-la vite consacrer à la Sainte Vierge, donnez l’arme si commode et rustique du chapelet, et surtout ne demandez, pas qu’il soit de plain-pied avec ce que les adultes appellent la vie, et qui n’est que plaisir et galette. Ne lui demandez pas « d’avoir confiance en soi », non-sens pour un chrétien, vieillissement du cœur. On vous dit : parlez-lui de son corps, avertissez-le, munissez sa curiosité. Assurément. Il faut bien. Hélas, pour le préserver de l’immonde « initiation », pour l’arracher à la saleté technique scolaire. Vous aurez de la peine. Mais je vous donne l’infaillible moyen : estimez la beauté de l’adolescence. Parlez-lui de cette aurore de la raison. « Estimez la raison. » On leur parle sentiment, on ne leur dit pas que la raison, étincelle divine, image et ressemblance, « marque de l’ouvrier sur son ouvrage », signe sur nous du Visage de Dieu, signatum super nos vultus tui, est la base et la lumière sans quoi rien n’est possible. Faculté du Vrai, nourrie du Vrai, à la recherche de son évidence, elle chante en toutes ses œuvres : Dieu est. Celui qui critique la raison, celui qui lui oppose le sentiment, un je ne sais quoi émotif irrationnel, croit échapper au rationalisme. Il n’en est rien. Le rationalisme, c’est l’usage de la raison contre Dieu. Ce qui est contre la nature même de la raison, laquelle nous dit : Dieu est infini, il m’est donc raisonnable de le proclamer incompréhensible, infiniment au-dessus de ma raison. La soumission à l’Infini, c’est la plus belle « démarche » de la raison, et l’adolescent formé à cette école goûte et comprend que « cette humiliation de la raison est la plus conforme à la raison ». Depuis sa petite enfance, il a l’habitude du vrai – mais maintenant, avec ses 14 ans, sa raison a grandi, elle est puissance d’analyse et surtout de synthèse, – d’abstraction. Éducation de l’adolescent, page 3 Tout est reflet de Dieu, tu le sais bien, mon cher enfant, depuis que tu pries et tu pries depuis tes premiers mois ; mais cette idée de Dieu, contenu de ta raison, va s’éclairant, maintenant tu sais abstraire du sensible l’intelligible, nourriture de pensée et précision (petite) sur Dieu infini. Toute ta dignité est dans la pensée. Un pouvoir naturel immense t’est donné contre la chair c’est-à-dire contre les tentations de la concupiscence et du monde. Sur cette belle raison, Dieu a enté sa belle Grâce. Et quand vient l’adolescence, si la raison est nourrie du Vrai, la Grâce éclate et grandit. C’est le moment, petit soldat de Jésus-Christ, d’entrer résolument dans le combat et de t’occuper des choses de ton Père – car tu ne nous appartiens pas, tu es à Dieu et sa voix va se faire entendre à mon cher Samuel. Tu répondras : « Seigneur, votre serviteur écoute. » La poésie, l’immense beauté de l’art va se précipiter dans ton cœur, attention, tu vas croire que tout pour toi se change en amour. Mais tu n’es rien sans la volonté. Ta volonté, c’est cela ton amour. La nourriture de ta volonté, c’est le Bien. La sagesse éclairée par la Foi nous l’apprend : vouloir c’est aimer ; aimer c’est vouloir le Bien. Nous ne sommes libres que pour servir le Dieu parfait. Parents, réfléchissez : vous êtes arrivés, par uploads/Philosophie/ adolescent.pdf

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