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in Berthoud, A-C. & Mondada, L. (eds) (2000)!: Modèles du discours en confrontation, Berne, Peter Lang, 185-203 Reboul & Moeschler Lausanne, 12-14 novembre 1998 1 Pourquoi l’analyse du discours a-t-elle besoin d’une théorie de l’esprit!? Anne Reboul, Institut des Sciences Cognitives, CNRS UPR 9075, 67 Bd Pinel, 69675 Bron cedex, France. Jacques Moeschler, Département de Linguistique, Université de Genève, 2 rue de Candolle, 1204 Genève 11. 1. Introduction Dans la littérature publiée sur le discours dans les trente dernières années, une hypothèse forte s’est fait jour!: celle selon laquelle le discours constitue une nouvelle unité linguistique, au même titre que le phonème, le morphème et la phrase. Il y a deux façons de concevoir cette unité!: soit, à l’image du phonème ou du morphème, comme une unité minimale, en dessous de laquelle on ne peut descendre!; soit, à l’image de la phrase, comme une unité divisible, composée d’éléments de rang inférieur, mais qui a ses règles propres, gouvernant sa bonne formation et son interprétation. Dans deux ouvrages récents (Reboul & Moeschler 1998a et b), nous nous sommes élevés contre cette hypothèse du DISCOURS1 comme une unité linguistique à part entière et nous avons défendu la thèse selon laquelle la production et l’interprétation des discours ne dépendent pas de règles spécifiques mais obéissent aux mêmes principes pragmatiques généraux qui gouvernent l’interprétation des énoncés. Nous avons ainsi développé, dans le cadre théorique de la pragmatique de la pertinence (cf. Sperber & Wilson 1995), une analyse de ce qu’est l’interprétation des discours en partant d’une définition extrêmement réduite de ce qu’est un discours!: Définition du discours Un discours est une suite non-arbitraire d’énoncés. 1 Les majuscules, suivant une convention introduite dans Reboul & Moeschler (1998b), nous permettent de distinguer les notions de l’ANALYSE DE DISCOURS (que nous critiquons) de celles de notre pragmatique du discours qui restent en minuscules. in Berthoud, A-C. & Mondada, L. (eds) (2000)!: Modèles du discours en confrontation, Berne, Peter Lang, 185-203 Reboul & Moeschler Lausanne, 12-14 novembre 1998 2 Cette définition place clairement le discours dans le domaine de la pragmatique (il y est question d’énoncé) plutôt que dans celui de la linguistique (il n’y est pas question de phrase). Dans l’optique de la théorie de la pertinence, le locuteur qui produit un énoncé a deux intentions, une intention informative (l’intention de rendre manifeste ou plus manifeste à son interlocuteur un ensemble d’assomptions) et une intention communicative (l’intention de rendre mutuellement manifeste qu’il a cette intention informative). L’interlocuteur a l’intention de récupérer l’ensemble d’assomptions qui font l’objet de l’intention informative du locuteur. L’ensemble du système repose sur l’idée que la communication dépend de façon cruciale de la capacité à attribuer à autrui des croyances et des intentions. C’est cette capacité que l’on a désignée dans la littérature récente en sciences cognitives par l’expression théorie de l’esprit2. Le modèle d’interprétation des discours que nous avons développé s’appuie sur les notions d’intention informative, d’intention communicative et de théorie de l’esprit. Selon nous, le locuteur d’un discours donné a une intention communicative globale qui vaut pour l’ensemble de son discours et il a, de même, une intention informative globale qui, elle aussi, vaut pour l’ensemble de son discours. Dès lors, la tâche du locuteur d’un discours est de construire son discours de telle façon que, à partir de l’interprétation des énoncés successifs (c’est-à-dire à partir de la récupération des intentions informatives locales successives, pour chaque énoncé), l’interlocuteur arrive à identifier l’intention informative globale du locuteur pour l’ensemble du discours. C’est cette construction du discours qui produit un certain nombre d’illusions quant à l’existence de STRUCTURES DU DISCOURS qui lui seraient propres ou qui seraient propres à certains TYPES DE DISCOURS et quant à la nécessité de notions comme la COHERENCE3. Nous montrons, dans les ouvrages cités plus haut, que l’on peut 2 Sur la théorie de l’esprit, on consultera avec profit Carruthers & Smith (1996) ainsi que Davies & Stone (1995a et1995b). 33 Nous voudrions ici rappeler que, selon nous, la notion de COHERENCE, loin d’être nécessaire, est nocive en ce qu’elle n’est pas susceptible d’une définition non circulaire et parce qu’elle a fait croire que l’on pouvait se dispenser d’analyses précises sur, entre autres, les connecteurs, la coréférence, les temps verbaux ou les ellipses. in Berthoud, A-C. & Mondada, L. (eds) (2000)!: Modèles du discours en confrontation, Berne, Peter Lang, 185-203 Reboul & Moeschler Lausanne, 12-14 novembre 1998 3 arriver à vivre sans illusion. Voilà donc ce qu’il en est de notre conception du discours, de sa production et de son interprétation. Nous défendrons cette conception plus bas à partir de quelques exemples qui constituent, entre autres, notre corpus. 2. La définition et les critères de découpage des unités significatives 2.1. L’hypothèse de l’ANALYSE DE DISCOURS On pourrait s’inquiêter de l’unité ou des unités sur lesquelles nous basons notre analyse de l’interprétation des discours, étant donné que nous rejetons le DISCOURS comme unité. Dès lors, sur quelle(s) unité(s) travaillons-nous!? Dans les ouvrages cités plus haut, nous avons défendu une approche épistémologique du problème de la délimitation des unités en prêchant pour une approche tout à la fois réductionniste et contextualiste des problèmes de discours. C’est le propos réductionniste qui nous intéressera dans ce paragraphe. Le réductionnisme est une méthodologie générale dans le domaine scientifique. Il y en a deux versions!: celle dans laquelle on propose de traduire toutes les propositions scientifiques d’une discipline donnée (la biologie moléculaire par exemple) dans les termes des propositions scientifiques d’une autre discipline (la physique par exemple)!; celle dans laquelle on cherche à expliquer un phénomène donné en termes des éléments qui le composent et des interactions causales entre ces éléments. C’est à cette dernière version que nous allons maintenant nous intéresser. Pourquoi rejetons-nous l’hypothèse selon laquelle le discours constitue une unité!? En quoi le phonème, le morphème ou la phrase sont-ils de meilleurs candidats au statut d’unités linguistiques!? Le phonème n’est pas réductible aux éléments qui le composent pour la simple raison qu’il n’est pas formé d’éléments linguistiques4. Le morphème est composé de phonèmes, mais il n’est pas réductible aux phonèmes qui le composent parce que l’on ne peut 4 Les traits phonologiques ne sont en effet pas des éléments du phonème dans la mesure où ils ne permettent pas en eux-mêmes la réalisation d’une unité linguistique. in Berthoud, A-C. & Mondada, L. (eds) (2000)!: Modèles du discours en confrontation, Berne, Peter Lang, 185-203 Reboul & Moeschler Lausanne, 12-14 novembre 1998 4 expliquer le sens d’un morphème par sa composition phonologique et par l’interaction entre ses éléments phonologiques. Quant à la phrase, elle est composée de morphèmes, mais sa bonne formation et son interprétation dépendent de règles qui lui sont propres et qui ne s’expliquent ni par les morphèmes eux-mêmes ni par leur interaction. Que dire, dès lors, du DISCOURS!? Quels seraient les arguments pour ou contre son statut d’unité linguistique!? Il faut d’abord remarquer une chose!: si le DISCOURS était, comme le veulent les ANALYSTES DE DISCOURS, une unité à part entière, il ne serait pas, comme le phonème, une unité indivisible. Il serait plutôt, comme la phrase, une unité divisible, mais qui a ses règles propres et qui ne s’explique pas par sa composition ni par l’interaction de ses composants. Dès lors, la question qui se pose est celle de la nature des composants du discours!: quels sont les éléments qui composent un DISCOURS et sur lesquels devraient jouer les règles propres au DISCOURS, s’il y en a!? Dans la mesure où le DISCOURS, dans l’esprit des ANALYSTES DE DISCOURS, est conçu comme une unité linguistique, il est permis de penser que l’unité hypothétique que serait le DISCOURS est composée de l’unité linguistique de rang immédiatement inférieur qu’est la phrase. Le DISCOURS, dans cette optique, serait donc composé de phrases. Il ne serait cependant pas réductible aux phrases qui le composent parce qu’on ne pourrait en rendre compte sur la simple base des phrases en question et de leur interaction causale. Il y aurait donc un niveau de REGLES PROPRES AU DISCOURS, que l’on peut diversement appeler MACRO-SYNTAXE, SYNTAXE DU DISCOURS, ORGANISATION DU DISCOURS OU GRAMMAIRE DE TEXTE. On remarquera qu’il n’y aurait aucune légitimité à supposer ce niveau de règles si le DISCOURS n’est pas compositionnel, c’est-à-dire s’il n’y a pas d’éléments sur quoi portent les règles en question. L’hypothèse de l’existence d’une MACRO-SYNTAXE ne fait pas sens si elle ne s’accompagne pas d’une hypothèse concomittante de compositionnalité qui dise clairement sur quelles unités portent les règles. La MACRO-SYNTAXE, cependant, n’a, à notre connaissance, jamais réussi à dégager aucune des règles propres au DISCOURS qu’elle postule, ce qui en fait un programme de recherche immobile, où il semble qu’aucun progrès n’a été accompli depuis son apparition sur la scène scientifique. Pour cette raison, au in Berthoud, A-C. & Mondada, L. (eds) (2000)!: Modèles du discours en confrontation, Berne, Peter Lang, 185-203 Reboul & Moeschler Lausanne, 12-14 novembre 1998 5 moins, il nous semble qu’il est temps d’en introduire un nouveau, basé sur des prémisses différentes et peut-être susceptibles de davantage de uploads/Philosophie/ anne-reboul.pdf
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- Publié le Jui 10, 2021
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