Revue d'histoire et de philosophie religieuses Le sujet de la croyance. Langage
Revue d'histoire et de philosophie religieuses Le sujet de la croyance. Langage, croyance et institution Gilbert Vincent Citer ce document / Cite this document : Vincent Gilbert. Le sujet de la croyance. Langage, croyance et institution. In: Revue d'histoire et de philosophie religieuses, 65e année n°3, Juillet-septembre 1985. pp. 271-295; doi : https://doi.org/10.3406/rhpr.1985.4825 https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1985_num_65_3_4825 Fichier pdf généré le 23/11/2019 Abstract The academic objectivising process of phenomena of belief frequently goes hand in hand with an objectivising of religious language which deprives it of its symbolic potential and with an emphasis on phenomena due to institutional domination. This approach takes into account statistically majority positions but tends to neglect or seriously underestimate the importance of facts which, although less widespread, lead to a better understanding of the dynamics of past and contemporary evolutions of belief. Heterodoxy should be considered alongside orthodoxy (and not as a by-product) ; both should be explained from the standpoint of a language model which respects both the normal interaction of reflexivity and the precarity of its use. An attempt is then made to explore the possibility of a modified viewpoint which, starting with the process of meaning, discovers a «normal » working of institutional rule-making, and which, in some upheavals of the symbolics order, reveals the beginning of certain institutional phantasms. Résumé L'objectivation savante des phénomènes de croyance s'accompagne fréquemment d'une objectivation du langage religieux qui en évacue les potentialités symboliques et d'une insistance sur les phénomènes d'emprise institutionnelle. Une telle démarche rend compte de faits statistiquement massifs mais conduit à négliger ou à gravement sous-estimer l'importance de faits qui, quoique plus rares, permettent cependant de mieux comprendre la dynamique des transformations historiques et contemporaines du croire. L'hétérodoxie devrait être comprise en même temps que l'orthodoxie (et non à partir d'elle) ; l'une et l'autre devraient être expliquées à partir d'un modèle du langage qui fasse droit et au jeu normal de la réflexivité et à la précarité de son exercice. On s'efforcera dès lors d'explorer la possibilité d'un changement de perspective qui, partant du processus de signifiance, découvre un régime «normal » de régulation institutionnelle et qui, dans certains troubles de l'ordre symbolique, découvre l'amorce de certains fantasmes institutionnels. ?> REVUE d'HISTOIRE et de PHILOSOPHIE RELIGIEUSES Vol. 65. 1985/3 p. 271 à 295 LE SUJET DE LA CROYANCE LANGAGE, CROYANCE ET INSTITUTION RÉSUMÉ L'objectivation savante des phénomènes de croyance s'accompagne fréquemment d'une objectivation du langage religieux qui en évacue les potentialités symboliques et d'une insistance sur les phénomènes d'emprise institutionnelle. Une telle démarche rend compte de faits statistiquement massifs mais conduit à négliger ou à gravement sous-estimer l'importance de faits qui, quoique plus rares, permettent cependant de mieux compren¬ dre la dynamique des transformations historiques et contemporaines du croire. L'hétérodoxie devrait être comprise en même temps que l'orthodoxie (et non à partir d'elle) ; l'une et l'autre devraient être expliquées à partir d'un modèle du langage qui fasse droit et au jeu normal de la réflexivité et à la précarité de son exercice. On s'efforcera dès lors d'explorer la possibilité d'un changement de perspective qui, partant du processus de signifiance, découvre un régime « normal » de régulation institutionnelle et qui, dans certains troubles de l'ordre symbolique, découvre l'amorce de certains fan¬ tasmes institutionnels. I Dans le terme de croyance sont sédimentés des usages fort différents 1 ; leur nombre, à ne retenir que les élaborations les plus savan¬ tes, serait de nature à empêcher de donner à ce terme le statut d'un concept. Le seul dénominateur commun des usages les plus traditionnels semble la connotation négative qui s'y attache ; par ce terme, chaque utilisateur paraît désigner l'ombre de ce qu'il tient pour le vrai. Il est en effet générale¬ ment admis qu'on ne saurait que croire là où fait défaut la connaissance. Certes, d'un auteur à l'autre, le domaine de la croyance est susceptible de 1. Paul Ricœur : la croyance, in Encyplopaedia Universalis, Vol V, 1971, p. 171ss. 272 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES variations ; c'est que celles-ci dépendent de ce que chacun tient pour c naissable et des capacités épistémiques qu'il reconnaît aux individus. dépit de telles variations, l'impression domine que, qu'on parle d'opini d'illusion, de présomption, de précipitation ou de superstition, on a aff à un même monnayage terminologique d'une quasi décision de faire d croyance le négatif du savoir. La terminologie n'aurait pour fondem que la diversité des manières de rater le vrai, rare et difficile conjonct d'un intellect bien formé et discipliné et des choses relevant du connaît Une telle topique implique une définition du sujet de la croyance : le gr nombre, auquel s'oppose, ou plutôt duquel se retranche, par ascèse b conduite, le petit nombre des aspirants à la connaissance ou celui de élus. Du grand nombre, la seule caractéristique serait de ne pas s'appar nir ; chez la plupart des humains il n'y aurait qu'une habitude, un déf d'aptitude en réalité : l'habitude de se laisser séduire et emporter, tan par l'opinion des plus persuasifs, tantôt par des inclinations passionnel Alors que le positivisme ambiant suggère l'urgence de relever la ph sophie des fonctions qu'elle s'assignait, de gardienne et de juge des dém ches légitimes dans l'ordre de la connaissance ; alors que les scien humaines et sociales se proposent de relayer la philosophie dans l'exerc de telles fonctions, l'espoir existe-t-il de sortir de la confusion sémanti du terme de croyance, ou bien par une circonscription convaincante de réfèrent, ou bien, si ce devait être impossible, par élimination du mot h du lexique savant ? A vrai dire, la situation qu'on vient d'évoquer, où un terme paraît vir avant tout d'instrument de disqualification, serait assez simple s'il fallait compter avec une complication spécifique, conséquence du réam nagement du code lexical disponible entraîné par l'expansion du chris nisme et par la désignation comme « foi » de la voie qu'il prétend sien L'usage de « foi », en contexte chrétien, a provoqué un redoublem polémique puisque, à l'usage premier, plutôt philosophique, du terme croyance par une élite s'estimant promise à la connaissance, s'est ajouté usage nouveau, théologique ou ecclésial ; pour acquérir droit de c l'emploi positif de « foi » devait certes aller avec le déclassement l'opposition première du savoir et de l'ignorance ; néanmoins, la tradit théologique a largement contribué, à son tour, à fixer l'évaluation péjo tive immanente à l'emploi du terme de croyance pour désigner l'attit des autres, alors même qu'elle dénonçait la prétention philosophiqu détenir les critères du vrai. La foi, cependant, (pratiques et institutions ecclésiales, dogmes organisation du vécu croyant etc.) est elle-même devenue objet d'anal pour les sciences humaines. Allait-on donc en finir avec un terme qui, d h l h hé l d d G. VINCENT, LE SUJET DE LA CROYANCE 273 fait illusion pour les autres (sous-entendu fréquent : pas pour soi), comme ce qui les captive ou les capture, l'objectivation de la tradition entraîne-t elle une rupture dans l'usage du terme ? L'hypothèse qu'on aimerait explorer est la suivante : chez nombre de partisans résolus de la coupure ou distance épistémologique on découvre maintes traces d'un emploi traditionnel du terme de croyance ; que, sous des termes moins infâmants, se répète Y ostracisation du vécu de l'autre ; qu'une perspective savante, guidée - explicitement ou non - par des caté¬ gories comme celles d'idéologie ou d'institution, adhère encore manifeste¬ ment à un projet dont on peut dire que, cherchant à remettre le sujet à sa place (en quelque sens qu'on entende cette place, y compris au sens de place sociale), il aboutit à méconnaître la position ou la figure du sujet qui prend forme et sens à travers certaines croyances, en particulier à travers le chris¬ tianisme. L'hypothèse ne vise aucunement à invalider le principe de tout projet de connaissance de la croyance religieuse, ni à se donner la satisfaction de distribuer bons et mauvais points. On voudrait au contraire contribuer à l'effort de connaissance en mesurant mieux les présupposés et les limites attachés à l'emploi de certaines catégories et à la mise en œuvre de procédu¬ res d'enquête et d'investigation que ces catégories inspirent. Il ne s'agit pas, dans notre intention, d'une entreprise de sauvetage « idéologique » du sujet individuel, en une matière où, selon d'aucuns, il en irait d'une invinci¬ ble sujétion institutionnelle ou idéologique. Notre propos est de nature épistémologique. A ce titre, il nous importe de souligner que, pour apparte¬ nir à l'ordre de la signifiance commune, des catégories comme celles d'ins¬ titution ou d'idéologie, qu'on met souvent en avant pour expliquer la croyance, doivent avoir une extension limitée. Ou bien ces catégories sont des doublets épistémologiquement inféconds du terme de croyance ; ou bien, pour servir à la compréhension du phénomène de la croyance, elles doivent être impérativement articulées à d'autres catégories d'analyse, parmi lesquelles les catégories de sujet et surtout de langage. L'enjeu de cette réflexion n'est pas épistémologique seulement. Il faut en effet, toujours à nouveau, « sauver les phénomènes », pierre de touche de la uploads/Philosophie/ gilbert-vincent-1985-le-sujet-de-la-croyance-langage-croyance-et-institution.pdf
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- Publié le Jui 02, 2021
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