1 UNIVERSITE DE POITIERS SCIENCES HUMAINES ET ARTS Master 2 de Philosophie UE1

1 UNIVERSITE DE POITIERS SCIENCES HUMAINES ET ARTS Master 2 de Philosophie UE1 Philosophie allemande 2 : Nietzsche et la question des valeurs Gérard GRIG 19/11/2020 Comment une langue peut-elle promouvoir des valeurs ? Dans La Naissance de la tragédie à partir de l’esprit de la musique, Nietzsche initie une critique de la métaphysique de la représentation, parce qu’elle implique un certain type de culture et un certain mode de vie, que la langue exprime. Nietzsche procède à la symptomatologie d’une crise, qui affecte la logique et la rationalité, et qui a une origine morale. En effet, la langue exprime des valeurs morales, qui sont celles du christianisme, et qui constituent une négation de la vie, y compris lorsque la langue formule des énoncés de vérité. Pourtant, cette critique de la représentation pourrait déboucher sur la proposition d’un nouveau type de représentation, par le biais d’une modification de son expression. Or, pour promouvoir des valeurs de vie, cette recherche des conditions de possibilité d’une nouvelle forme de représentation par le langage semble insuffisante, car elle demeure dans le cadre de la métaphysique. Si une langue exprime une représentation de valeurs morales, une abolition de la représentation dans la langue elle-même entraînerait-elle une véritable inversion de ces valeurs ? Ainsi, selon Nietzsche, la représentation est une illusion qui promeut de fausses valeurs par la langue (I). Or, une modification de l’expression de l’énonciation d’une langue pourrait promouvoir des valeurs d’affirmation de la vie (II). Néanmoins, seule l’abolition de la représentation dans la langue semblerait permettre une réévaluation des valeurs (III). I) Selon Nietzsche, la représentation est une illusion qui promeut de fausses valeurs par la langue. 1) Une théorie perspectiviste du langage participe de la généalogie des valeurs morales. La philosophie de Nietzsche est un naturalisme qui explique les valeurs de l’homme par ses instincts, ses affects et ses pulsions, dans le but de proposer une réévaluation de ses valeurs. Ce naturalisme est méthodologique et hostile au substantialisme matérialiste, car il est en continuité avec les découvertes des sciences de la nature. Il postule que l’homme est un produit de la nature, et que la psycho-physiologie des types de personnes, fondée sur la volonté de puissance, doit remplacer toute métaphysique, d’origine morale ou religieuse, qui attribue une causalité à l’esprit sur le corps. 2 UNIVERSITE DE POITIERS SCIENCES HUMAINES ET ARTS Master 2 de Philosophie UE1 Philosophie allemande 2 : Nietzsche et la question des valeurs Gérard GRIG En réalité, pour assurer la durée de la vie humaine, un mécanisme cérébral de l’intellect joue un rôle mystificateur. En transformant les intensités pures des tendances, qui sont des forces aléatoires, en intentions sensées et orientées, il conserve l’unité fictive de l’esprit et du corps, par laquelle l’individu est constitué. La morale fait alors de cet individu un sujet responsable et un objet de blâme. C’est pour cette raison que la langue possède un sujet grammatical. Ce sujet s’engage dans la promesse par la parole, qui devient la parole donnée, en faisant le don verbal de ce qu’il n’a pas encore. C’est ce que Nietzsche affirme dans la Deuxième dissertation (« La faute, la mauvaise conscience et ce qui leur ressemble »), de la Généalogie de la morale. L’homme libre, souverain et fier donne sa parole, quand il n’a plus rien d’autre à donner. La promesse est la suspension de la fonction vitale d’oubli, quand il est vital de se souvenir. Néanmoins, la responsabilité et la conscience morale sont l’envers de la promesse. D’où la signification de dette qu’a la promesse, qui peut conduire à une forme de surendettement, ce qui lui donne alors le sens religieux de la dette infinie. La dette est toujours liée à la mauvaise conscience, qui signifie « dureté, cruauté et douleur ». Au contraire, la volonté de puissance fait éclater la notion d’unité ou d’identité d’une essence, car elle pousse un être, toujours différent de soi, au-delà de ses limites. Elle structure l’ensemble des forces contradictoires d’un être. En ce sens, la volonté de puissance nous sert d’outil interprétatif pour définir des types de structures. S’il existe une nature humaine, il convient d’écrire son histoire en faisant la généalogie de ses valeurs et de ses croyances, à partir du soubassement du pathos de ses instincts, affects et pulsions, afin de réévaluer les valeurs auxquelles le christianisme avait fait subir une première inversion. Or, celle-ci a eu des prémices dans l’Antiquité. Cette généalogie concerne donc l’ensemble de la culture des valeurs morales et métaphysiques, fondée sur le bien et le vrai, qui est celle du nihilisme dépréciateur de la vie au nom d’arrière-mondes. Le dernier stade de l’humanité malade sera celui du dernier homme, si elle ne réactive pas l’ennoblissement du surhumain, associé à la notion d’éternel retour comme affirmation ultime du tragique de l’existence. À cet égard, Nietzsche oppose la morale des forts à celle des faibles, reposant sur le ressentiment et l’intériorisation de celui-ci, qui est la mauvaise conscience. Cela correspond à la dualité de la souffrance comme stimulant de l’existence, et de la souffrance interprétée par la religion : « M’a-t-on compris ? — Dionysos contre le crucifié... » (Ecce Homo, « Pourquoi je suis une fatalité », § 9). Contre l’universel du Logos, le langage simple et univoque exprime donc la singularité des individus. C’est pourquoi l’éternel retour des existences est une philosophie du simulacre. En ce sens, l’éternel retour n’est pas un retour du Même, mais une répétition différentielle, l’identité du revenir lui-même, et non l’identité de ce qui revient sous la forme d’une existence singulière, ce qui serait impossible. L’existence 3 UNIVERSITE DE POITIERS SCIENCES HUMAINES ET ARTS Master 2 de Philosophie UE1 Philosophie allemande 2 : Nietzsche et la question des valeurs Gérard GRIG singulière qui revient est une ressemblance sans modèle, une imitation qui est inimitable. L’éternel retour est un retour éternel d’un présent pleinement vécu, et non du présent comme un point entre le passé et le futur. Dans ce dernier cas, Nietzsche illustre la mauvaise conception du présent comme instant d’exception, qui engendre la double frustration du passé et de l’avenir, par l’image de « la poterne de l’instant » (Ainsi parlait Zarathoustra, Troisième partie, « De la vision et de l’énigme »). 2) Une théorie du langage conséquente avec elle-même repose sur la rhétorique. Puisque l’éternel retour affirme l’innocence du devenir d’un chaos de forces, les mots du langage arrêtent ou abrègent son mouvement éternel. Ils en font pour nous un cercle vicieux, une fausse prophétie, en nous empêchant de le penser. En réalité, toute connaissance est subjective, car elle dépend du pathos des tendances. Elle est une analogie, sous la forme implicite de la métaphore. Tout énoncé est donc l’expression d’un analogue de ce qui nous est donné dans notre vie la plus intime, lorsque nous sommes affectés par les choses. Nietzsche renoue avec la pensée épicurienne de la métaphore. Dans Le Crépuscule des idoles, « La " raison " dans la philosophie », § 5, Nietzsche attribue même à la raison « une mentalité grossièrement fétichiste », qui a des habitudes grammaticales instinctives. Il semble se référer à Auguste Comte, qui définit le fétichisme comme le premier stade de l’esprit humain. D’ailleurs, d’Humain, trop humain au Gai Savoir, Nietzsche multiplie les références positivistes. Plus tard, à la fin de L’Antéchrist, dans « Loi contre le christianisme », il semble parodier le calendrier positiviste, bien qu’il ne propose pas de religion de remplacement du christianisme dans Ainsi parlait Zarathoustra, et qu’il rejette la religion de la science. Auguste Comte a mis l’affectivité, avec une fonction sociale agissant sur nos pensées, à la base du langage. De son côté, dans ses cours de philologie à l’Université de Bâle, portant sur la rhétorique et le langage, Nietzsche insiste sur la fonction du langage comme expression et reconnaissance d’une âme collective, dans le monologue comme dans le dialogue, par des propositions interrogatives qui se ramènent à : « te reconnais- tu ? » (P. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy, Friedrich Nietzsche : Rhétorique et langage). Ainsi, selon Nietzsche, tout énoncé est une interprétation de la réalité dans un but perspectiviste. On le voit en morale : « « Il n’y a pas de phénomènes moraux, seulement une interprétation morale des phénomènes », Par delà bien et mal, §108. Le sens des mots est donc susceptible de changement, du point de vue moral de l’intériorisation de valeurs. C’est pourquoi il est possible de faire une généalogie de la morale à partir de l’étymologie des mots. 4 UNIVERSITE DE POITIERS SCIENCES HUMAINES ET ARTS Master 2 de Philosophie UE1 Philosophie allemande 2 : Nietzsche et la question des valeurs Gérard GRIG Dans la Première dissertation de la Généalogie de la morale (« Bon et méchant, bon et mauvais. »), Nietzsche étudie alors l’évolution de la signification matérielle de la dualité du « bon » et du « mauvais » vers celle du « bon » et du « méchant ». De même, dans ses Fragments posthumes, Nietzsche mentionne que pour les Grecs uploads/Philosophie/ comment-une-langue-peut-elle-promouvoir-des-valeurs 1 .pdf

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