20 Inaugurer la réfl exion philosophique par la question du « sujet » ou du « je
20 Inaugurer la réfl exion philosophique par la question du « sujet » ou du « je » peut s’imposer quand on comprend qu’il ne peut y avoir de pensée sans un sujet qui pense et dit « je pense », comme il ne peut y avoir de savoir sans un sujet qui sait et dit « je sais ». C’est probablement pour cette raison que le programme et les manuels de philosophie ouvrent le bal par cette thématique et ce, depuis des décennies. En réalité, avec le temps, l’évidence d’un tel commencement a perdu de sa clarté, au point qu’il n’est pas rare que les profes- seurs préfèrent désormais amarrer leur cours sur d’autres rivages, celui de la culture ou celui de la politique en particulier. La raison ? Très certainement la diffi culté à parler du « sujet » ou du « je », quand dans le même temps on se ressent soi-même, en tant que sujet, jeté dans un monde où les repères autour de l’individualité et de son identité sont devenus singulièrement fl ous. S’il est des leçons de philosophie qui se manifestent comme le refl et d’une évolution dans les idées et dans les mœurs, c’est à celles traitant de cette notion de sujet que l’on peut penser en premier lieu. Voyons ensemble de quelle manière cette évolution s’est opérée et pour commencer, faisons le point sur l’étymologie du mot « sujet ». Du latin subjectum qui signifi e « ce qui se tient dessous », le terme de sujet désigne à l’origine l’être qui est soumis à une autorité. On parle dans ce cas, notamment, des sujets du Prince ou des sujets de la Reine. Un sujet dans ces conditions-là, est toujours peu ou prou privé au fi nal de sa liberté de juger par lui-même et en conséquence d’agir de son propre chef. Ses jugements comme ses actions sont soumis à la volonté d’un autre. Tout à fait à l’inverse en revanche, le terme de « sujet » Il ne peut y avoir de pensée sans un sujet qui pense et dit « je pense » Le terme de sujet désigne à l’origine l’être qui est soumis à une autorité Le terme de « sujet » dans une acception moderne désigne un être conscient de lui- même 21 dans une acception moderne désigne un être conscient de lui-même, véritable auteur de ses propres actes, apte à parler de lui à la première personne du singulier. Le sujet « je » pense à lui, pense en son nom, et se découvre capable de désirer, de vouloir, de mener des actions, de penser. Déjà, en partant de ces étymologies, un paradoxe pour ne pas dire une contradiction, s’impose à nous. En effet, la notion de sujet renvoie dans le premier sens à l’idée d’un être soumis à une autorité extérieure à lui-même et renvoie à l’inverse dans le deuxième sens à l’idée d’une personne se caractérisant comme centre décisionnel autonome, en mesure d’inaugurer de nouvelles séries événementielles déterminées par sa volonté libre, en somme créatrice de sa propre histoire. D’une part, est donc « sujet » une chose soumise ou un être « assujetti », subordonné et passif ; d’autre part, est « sujet » également tout individu libre de choisir l’orientation de son existence en fonction de sa volonté. Qu’est-ce qu’un « sujet » si ce n’est un terme étrangement confus ? Je m’arrête un instant dans cette explo- ration de la notion de sujet, d’abord pour signaler au lecteur curieux de savoir ce qu’est la philosophie que dans les lignes qui précèdent, un acte fondamental dans notre discipline et considéré comme essentiel au regard des exigences de l’épreuve du baccalauréat, vient d’être accompli : nous avons posé une problématique. D’apparence contradictoire, la problématique engage la réfl exion sur le terrain de l’analyse des concepts, là où la pensée semble être destinée à rester dans une impasse. Les élèves apprendront bien vite à quel point la problématique est importante et combien elle est attendue dans une copie. En principe, sans problématique et manquant en cela la démarche propre à la discipline philosophique, aucune copie qui ne remplirait cette obligation ne devrait avoir la moyenne. Qu’est-ce qu’un « sujet » si ce n’est un terme étrangement confus ? D’apparence contradictoire, la problématique engage la réfl exion sur le terrain de l’analyse des concepts 22 Aussi, on peut recommander aux parents souhaitant aider leur enfant dans leur scolarité en philosophie, de chercher avec eux des problématiques cachées derrière des concepts, des mots ou des situations. Vous allez voir, très vite cela peut devenir un jeu aussi divertissant qu’instructif. Ensuite, J’aimerais aussi dépeindre le bref tableau d’une classe muette et désemparée découvrant en début d’année à travers cette première notion du « sujet » et à travers sa probléma- tique, ce que représentera probablement pour cette classe durant toute l’année la philosophie : une matière à torturer l’esprit du « sujet », justement. Tiraillés entre d’un côté le devoir de parachever leur éducation en dernière année de lycée et d’un autre côté un désir contraire les incitant à faire ce que bon semble à leur jeunesse – autrement dit à s’évader – les élèves, bien que respectueux dans leur comportement (après tout, nous n’en sommes, au bout de deux ou trois heures de philosophie depuis la rentrée, seulement encore qu’au commencement du parcours, et le professeur bénéfi cie de cet « état de grâce » que l’on accorde ordinairement à toute nouveauté), n’en restent pas moins perplexes en écoutant la double défi nition de la notion de sujet, expérimentant simultanément ce que pouvoir dire « je » implique sur le plan existentiel : « Mais qu’est-ce que je fais là ? » paraissent dire les regards interrogateurs d’un public qui vient d’entrer de plein fouet dans la démarche philosophique. Et alors, faut-il entendre par « sujet » un être libre ou un être soumis ? Parfois, soit parce qu’il est plus courageux et moins timide que les autres, soit parce qu’il est plus inquiet, un élève ose demander dès le départ des précisions sur l’orientation que s’apprête à prendre la leçon. – Mais ça sera toujours comme ça, la philosophie ? demande-t-il. Interrogé à son tour sur le « sujet » exact de sa question, il reste un instant coi (après Mais ça sera toujours comme ça, la philosophie ? La philosophie : une matière à torturer l’esprit du « sujet » 23 tout, il vient d’entendre un troisième sens du mot « sujet » !), réfl échit, et certai- nement parce qu’il ne se sent pas en mesure de mettre des mots sur ce qu’il éprouve devant l’incroyable nouveauté de l’ouverture que le professeur de philo- sophie est en train de tailler dans ses habitudes de penser, l’élève se contente de cette formule qui à la fois dit beaucoup et ne dit rien : – Parce que c’est un peu bizarre tout ça, quand même. Ce que je suis en tant que « sujet », c’est justement tout ce que « ça » n’est pas. Tandis que « ça » n’est rien d’autre que du bizarre, de l’innommable et du confus indescriptible dont les limites sont indéfi nissables quelles que soient les circons- tances, « je » possède une identité : le sujet a un nom, il est nommé. Par ailleurs, le sujet possède une continuité dans le temps et peuvent lui être ramenées comme lui appartenant toutes ses perceptions, ses émotions et ses idées, mobiles et changeantes quant à elles. Ce sont mes perceptions, mes émotions, mes idées, peut dire le sujet. Et c’est parce que le sujet a les moyens d’affi rmer une telle relation entre lui et ce qui l’affecte de façon variable qu’il se ressent comme identique dans le temps. « Je » est donc en moi tout ce qui ne varie pas quand tout le reste de mon vécu et de ma pensée évolue. Pourtant, ce qui fait de nous des « sujets » se donne-t-il à penser de façon évidente ? Cela n’est pas certain. Je demande aux élèves s’ils ont pensé à se munir des deux photographies datant de leur plus petite enfance, de leur enfance, et d’une troisième plus récente, comme il avait été convenu lors du cours précédent. Ils sortent leurs clichés. J’interroge alors l’un d’entre eux à propos de la représentation d’un nouveau-né. – Qui est sur la photo ? – Moi, me répond l’élève en question. – Comment pouvez-vous en être certain ? – Je sais que c’est moi. – D’accord, mais comment le savez-vous ? – On me l’a dit, continue l’élève. – Vous savez que c’est vous parce qu’on vous l’a dit ! Curieux… Vous ne ressentez donc rien au fond de vous qui vous indique que ce bébé, c’est vous ? Avez-vous besoin qu’on vous le dise pour le savoir ? C’est parce que le sujet a les moyens d’affi rmer une telle relation entre lui et ce qui l’affecte de façon uploads/Philosophie/ extrait 15 .pdf
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- Publié le Sep 18, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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