LA PENSEE DE HEGEL L’ABSOLU À VISAGE HUMAIN « Quand vous ouvrez un livre de Heg
LA PENSEE DE HEGEL L’ABSOLU À VISAGE HUMAIN « Quand vous ouvrez un livre de Hegel pour la première fois, non seulement vous ne comprenez rien, mais vous ne savez même pas de quoi il est question ! » Cette mise en garde vaut pour tout nouveau lecteur de Hegel. Mais elle ne doit pas décourager, car il y a une raison simple à cette difficulté, qui n’est d’ailleurs pas insurmontable. Hegel participe à l’une des plus extraordinaires périodes de la création philosophique : l’idéalisme allemand. En quelques années se sont côtoyés, succédés et combattus quelques-uns des plus grands esprits de l’histoire de la pensée. Kant n’est pas mort que commence le règne de son disciple, Fichte, rapidement supplanté par Schelling, à son tour détrôné par Hegel. La philosophie est alors une affaire de famille : qu’on se cajole, qu’on se déteste ou qu’on se déchire, chacun est initié, tous se connaissent et les allusions suffisent à faire savoir de qui et de quoi on parle. Il faut donc décrypter ce que cache cette familiarité. Une philosophie de la réconciliation Dans cette famille philosophique, le grand aîné, à la fois admiré et jalousé, c’est Kant (1724-1804). L’auteur de la Critique de la raison pure (1781) est celui qui, aux yeux de ses contemporains, a « fait époque » : il représente l’apothéose de la pensée des Lumières en même temps que l’entrée dans un nouvel âge de la philosophie. Quelle est sa contribution ? Brièvement énoncée, elle consiste dans la mise en cohérence de l’humanisme. L’homme est un être fini, limité qu’il est dans son savoir (par l’ignorance et l’erreur), dans son pouvoir (par la faiblesse et la faute) et dans son destin (par la souffrance et la mort). Cette finitude essentielle de l’homme, on peut la concevoir, de manière négative, comme le signe d’une imperfection par rapport à un être parfait posé au départ : Dieu, l’Etre omniscient, omnipotent et éternel. On peut pourtant envisager une autre conception de la finitude, et c’est celle à laquelle Kant donnera toute sa portée : poser que la finitude humaine n’est pas une imperfection, un défaut ou un manque, mais la condition première et indépassable de l’homme. Rien n’abolira jamais ni l’ignorance, ni le mal, ni la mort : aussi faut-il plutôt, dit Kant, faire avec … le mieux possible. Tel est le sens profond des fameuses trois questions qui, pour Kant, définissent tout le champ de la philosophie : Que puis-je savoir (en dépit de mon ignorance foncière) ? Que dois-je faire (de cette liberté qui me rend responsable de mes actes) ? Que m’est-il permis d’espérer (malgré la mort inéluctable) ? Et ces trois questions, disait Kant, se résument en une seule : qu’est-ce que l’homme ? Voilà pourquoi la philosophie kantienne est la plus grande fondation de l’humanisme : l’homme y est le tenant et l’aboutissant. Hegel ne va pas contester cette orientation humaniste de la philosophie qu’il va chercher à accomplir : l’esprit humain, la liberté, pour lui aussi, sont la source et l’objet de toute entreprise philosophique ; mais il en dénonce certains des « effets pervers ». Pour fonder son humanisme et identifier la spécificité de l’homme, Kant est en effet obligé de procéder à des distinctions : séparation, d’abord, en l’homme, des différentes facultés de connaissance (le sensible et le rationnel) ; séparation, ensuite entre l’homme (le monde de la liberté) et la nature (le monde de la nécessité) ; séparation, enfin et surtout, entre l’homme (fini) et le divin ou l’absolu (infini). Si l’homme est enfermé dans les chaînes de sa finitude, quel sens donner à son aspiration à l’absolu ? Hegel reprochera à Kant de ne plus savoir réunir ce qu’il a si subtilement distingué et d’humilier l’homme qu’il prétendait glorifier. Au yeux de Hegel, Kant est le grand séparateur — le diable, au sens étymologique — ; lui se verra dans le rôle du grand réconciliateur. La sagesse, c’est se sentir «chez soi» «L’homme doit s’honorer lui-même et s’estimer digne de ce qu’il y a de plus élevé. De la grandeur et de la puissance de l’esprit, il ne peut avoir une trop grande opinion». En prononçant ces mots, lors de l’inauguration de ses cours à l’Université de Berlin en 1818, Hegel entend réaffirmer la pleine confiance dans la pensée humaine capable de tout appréhender. C’est cette réconciliation suprême qu’est censé produire le système hégélien : réconcilier l’homme avec lui-même, avec le monde (qui lui semble extérieur) et surtout avec l’absolu (qui lui paraît transcendant). Par quoi Hegel retrouve la tâche traditionnelle de la philosophie comme quête de la sagesse : être sage, dit Hegel, c’est atteindre le « savoir absolu », mais c’est aussi être libre, c’est-à-dire se sentir « chez soi », aussi bien dans son esprit que dans le monde. Programme à la fois simple et grandiose d’un home sweet home de la vie humaine, mais que, selon Hegel, la plupart des philosophies ont échoué à réaliser, parce qu’elles ont toujours négligé ou nié une dimension de l’expérience humaine. D’un côté, il y a les philosophies dogmatiques qui, souhaitant atteindre la vérité et la sagesse, se fondent sur une critique virulente des illusions «vulgaires» de la vie quotidienne, comme le sentiment d’être libre, la crainte de la mort, la vénération des dieux, etc. ; d’un autre côté, les philosophies sceptiques qui, à l’inverse, défendent que la vérité et la sagesse consistent en un renoncement à toute idée de vérité absolue. Aucune de ces doctrines ne parvient à offrir un espoir plausible de réconciliation : les premières parce qu’elles méprisent les illusions communes de la vie ; les secondes parce qu’elles dénigrent cette aspiration à l’absolu qui est le propre de l’homme. Or, toute l’histoire de la philosophie semble offrir ce spectacle désespérant et vain d’un affrontement incessant entre dogmatisme et scepticisme. Une « science de l’expérience de la conscience » La solution de Hegel pour sortir de ce conflit ancestral est en fait fort simple : elle consiste à montrer que l’absolu, loin d’être un idéal inaccessible, est déjà présent dans l’expérience quotidienne la plus naïve et la plus courante. Simplement nous n’en avons pas conscience. La sagesse ou, comme dit Hegel, le « savoir absolu », but de sa philosophie et moment ultime de la réconciliation, est le trajet de cette prise de conscience. L’histoire de la philosophie n’est elle-même que l’auto-déploiement de cette idée : loin d’être vaine et désespérante, elle est capitale comme voie de réalisation de l’absolu. La sagesse ne consiste ainsi nullement à changer le monde présent au profit d’un idéal désincarné de pures vérités : il ne s’agit ni d’éliminer l’illusion et l’erreur, ni d’abolir le mal, ni d’ignorer la mort, mais de les intégrer comme des moments nécessaires du vrai, du bien et de la vie. «Le vrai, écrit Hegel existe aussi peu que le mal» … C’est cet itinéraire de la conscience naïve se réconciliant avec l’absolu déjà présent en elle que raconte la Phénoménologie de l’Esprit (1807), sans aucun doute le chef d’œuvre de Hegel. Ouvrage étonnant où les expériences les plus communes de la vie quotidienne y sont travaillées par les concepts les plus abstraits. Ce savoir absolu, qui est en nous, ne se gagne pas par une révélation subite, mais tout au long d’un trajet difficile, rempli de doutes, d’illusions et de désespoirs. La Phénoménologie de l’esprit, cette «science de l’expérience de la conscience», s’apparente au projet grandiose d’une autobiographie universelle des individus, des peuples et de l’humanité dans l’esprit de ce que le maître de Hegel, Lessing, avait esquissé (voir encadré). Parcourons-en les grandes thématiques. Qu’est-ce que la dialectique ? La dialectique rythme toute la philosophie de Hegel et, selon Hegel, toute la vie. Elle en est comme la respiration. Le principe de la dialectique est que l’on ne peut se poser qu’en s’opposant. Une métaphore, utilisée par Hegel lui-même, permet de comprendre ce mouvement qui ne définit pas seulement (comme chez Platon ou Aristote) une méthode pour accéder à la science, mais le mouvement même du réel. 1) Le «germe» correspond au premier moment (ce que Hegel appelle « l’en soi ») : il contient «en puissance», mais de manière non déployée, toute la richesse de la réalité à venir ; 2) le germe passe ensuite à « l’existence » (« Dasein ») qui est le développement diversifié des potentialités : c’est le moment de la différence et de l’opposition ; 3) Le troisième moment est le « pour soi » qui marque le retour à l’unité : c’est le fruit, qui est à la fois le produit ultime du développement et le porteur de nouveaux germes. Le « pour soi » à la fois dépasse et conserve les deux moments précédents. Exemple. La lutte pour la reconnaissance : le maître et l’esclave C’est sans doute la plus célèbre « dialectique ». Sa postérité est considérable : Marx l’a reprise pour décrire la relation salariale, Nietzsche pour parler du rapport à la vie, Sartre a développé uploads/Philosophie/ fiche-1-hegel.pdf
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- Publié le Fev 05, 2021
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