Pierre-Henri Hadot Fragments d'un commentaire de Porphyre sur le Parménide In:

Pierre-Henri Hadot Fragments d'un commentaire de Porphyre sur le Parménide In: Revue des Études Grecques, tome 74, fascicule 351-353, Juillet-décembre 1961. pp. 410-438. Résumé Les quatorze pages d'un commentaire sur le Parménide découvertes par Peyron en 1873 dans un palimpseste de Turin (évangéliaire de Bobbio), publiées par W. Kroll en 1892, présentent un grand intérêt dans l'histoire des commentaires sur ce dialogue. Récemment, R. Beutler a voulu attribuer ces pages à Plutarque d'Athènes (seconde moitié du IVe siècle). Mais ses raisons ne sont pas décisives. En fait la doctrine, la méthode, le vocabulaire et le style trahissent la manière de Porphyre. Nous sommes en présence de fragments du commentaire perdu de Porphyre sur le Parménide. Citer ce document / Cite this document : Hadot Pierre-Henri. Fragments d'un commentaire de Porphyre sur le Parménide. In: Revue des Études Grecques, tome 74, fascicule 351-353, Juillet-décembre 1961. pp. 410-438. doi : 10.3406/reg.1961.3671 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reg_0035-2039_1961_num_74_351_3671 FRAGMENTS D'UN COMMENTAIRE DE PORPHYRE SUR LE PARMÉNIDE I Histoire du texte En 1873. B. Peyron (1) avait publié quelques folios palimpsestes retrouvés dans un évangéliaire de Bobbio, conservé à Turin, datant probablement du vie siècle. En s'appuyant sur le vocabulaire de ce texte grec, il pensait être en présence d'un texte philosophique émanant de l'école d'Alexandrie. En 1878, W. Studemund acheva le déchiffrement des pages laissées de côté par Peyron et, comme l'a raconté W. Kroll dans son article sur ce palimpseste (2), il en prépara ensuite l'édition en faisant appel aux conseils de Kruger, Kern. Schanz, Zeller et Baeumker. Le manuscrit de ces travaux fut consulté par W. Kroll à la bibliothèque de Breslau. En 1892, W. Kroll, s'appuyant sur cet ensemble de recherches, publia, dans le Bheinisches Museum, une édition critique de ces feuillets palimpsestes (exactement les folios 64.67.90-94 de l'évan- géliaire). (1) B. Peyron, yotizia d'un anlico evangeliario bobbiese che in alcuni fogli palimpsesli contiene frammenti d'un greco trattato di filosofia, dans Rivisla di filologia, I, 1873. p. 53-71. Cette première édition de B. Peyron est importante, parce qu'elle est plus « naïve » que celle de Kroll. Selon Peyron et Kroll, l'écriture grecque semble dater du ve siècle. (2) W. Kroll, Ein neuplatonischer Parmenidescommentar in einem Turiner Palimpsest, dans Bheinisches Museum, 47, 1892, p. 599-627. FRAGMENTS D'UN COMMENTAIRE DE PORPHYRE 411 Cette publication fut d'autant plus heureuse que le précieux manuscrit a péri dans l'incendie qui a ravagé la bibliothèque de Turin en 1904 (3). II Co nie nu des fragments Ces quatorze pages sont extrêmement intéressantes. Comme l'a bien montré W. Kroll, elles nous conservent de précieux fragments d'un commentaire sur le Parménide. Le premier fragment (4) se rapporte probablement au développe ment du Parménide 136 a-137 c, dans lequel Platon se propose d'étudier les différentes hypothèses possibles au sujet de l'Un. Notre fragment expose à ce sujet les raisons et les limites de cette dénomination d'Un, appliquée à Dieu. Si l'on dit que Dieu est l'Un, cela ne signifie pas que Dieu est une sorte de minimum de petitesse. Cette dénomination sert à éloigner de la notion de Dieu toute multip licité et à faire entendre qu'il est la cause de tout et que sa puissance est infinie. En effet, si l'on supprimait l'Un, la multip licité des êtres aussi serait anéantie. Mais il faut néanmoins savoir dépasser cette dénomination d'Un, parce que Dieu est au-dessus de l'Un et de la monade. En pensant à Dieu, sans rien penser de distinct, il arrivera peut-être que l'on se tienne en repos en la pensée indicible de l'Indicible. Le second fragment (5) semble se rapporter à la première hypo thèse du Parménide et plus spécialement aux lignes dans lesquelles Platon montre que l'Un purement Un n'est ni identique, ni différent, ni semblable, ni dissemblable (Parm. 139 b-140 b). Le commentat eur fait cette objection : « Dieu n'est-il pas dissemblable, par rapport à l'Intelligence (c'est-à-dire à la seconde hypostase, dans la tradition néoplatonicienne) et n'est-il pas différent d'elle? » Et il (3) E. Stampini, Inventario dei Codici superstiti... délia Biblioteca di Torino, dans Bivista di fllologia e d'istruzione classica, 32, 1904, p. 436. (4) I-II. Je cite les fragments selon les numéros d'ordre des folios, tels qu'ils ont été donnés par W. Kroll, dans son édition. Les indications de lignes corre spondront également aux lignes de ces folios. (5) III-IV-V-VI. 412 P.-H. HADOT répond à cette objection en montrant que c'est nous qui pensons à tort que nos relations avec Dieu sont réciproques. Ce n'est pas l'altérité qui distingue Dieu des êtres, ce sont eux qui se distinguent de lui. Dieu est absolument sans relations à autre chose. Ainsi le soleil ne se lève ni ne se couche : c'est nous qui entrons dans l'obscur ité. Ainsi encore ceux qui. du bateau, voient la terre s'éloigner : ce sont eux qui sont en mouvement, et ils s'imaginent que c'est elle qui se meut (6). Nous nous imaginons que Dieu est néant par rapport à nous, mais c'est que nous-mêmes sommes néant par rapport à lui. Dieu n'a donc aucune relation aux êtres qui viennent après lui. Est-ce qu'il ne les connaît pas? Sa connaissance n'est pas celle d'un sujet connaissant, mais elle est connaissance absolue, antérieure à toute distinction entre sujet et objet, elle est connais sance qui est purement connaissance, libérée de la nécessité de correspondre à un objet. Mais, finalement, quand on parle de Dieu, il faut se contenter de dire qu'il est séparé de toutes choses, absolu ment transcendant, et que toutes choses sont néant par rapport à lui. Le troisième fragment (7) contient une page du Parmènide lui- même (141 a-d) tirée, elle aussi, de la première hypothèse, et accom pagnée d'un bref commentaire. Il s'agit du rapport entre le temps et l'Un purement Un. Le quatrième fragment (8) se rapporte aux dernières lignes de la première hypothèse (141 d-142 a). Platon y affirmait que l'Un est indicible et inconnaissable. Le commentateur commence par énu- mérer diverses doctrines qui prétendent dire « quelque chose » au sujet de Dieu. Il cite notamment un oracle chaldaïque (9). Mais il fait remarquer ensuite que cette théologie positive est au fond (6) III 30 : καθάπερ και οι -αρά γήν πλέοντες αυτοί κεινούμενοι αυτήν κεινεΐσθαι οϊονται. La même image chez R. M. Rilke, Das Stundenbuch, dans Gesammelte Werke. t. II, Leipzig, 1927, p. 252 : « Du bist der Dirige tiefer Inbegrifï der... sich den andern immer anders zeigt : dem Schiff als Kiiste und dem Land als Schiff. » (7) VII-VIII. (8) IX-X. (9) Sur cet oracle, cf. W. Kroll, De oraculis chaldaicis, Breslauer philologische Abhandlungen VII 1, Breslau, 1894, p. 12. — H. Lewy, Chaldaean Oracles and Theurgy, Recherches d'Archéologie, de Philologie et d'Histoire, t. XIII, Le Caire 1956, p. 78. n. 45 : p. 79, n. 47 ; p. 81, n. 54 ; p. 112, n. 181. FRAGMENTS D'UN COMMENTAIRE DE PORPHYRE 413 inutile : autant donner à un aveugle la définition de la couleur. Il vaut mieux s'en tenir à la théologie négative puisque, de toute manière, il faudra nier les attributs positifs. L'âme n'a donc aucun moyen de connaître Dieu, sinon son ignorance même. Le cinquième fragment (10) commente très précisément le début de la seconde hypothèse (Parm. 142 b) : « Si l'Un est, se peut-il qu'il soit et ne participe à Vousiat » Le commentateur essaie d'expliquer cette formule, paradoxale, puisqu'elle laisserait supposer que Vousia préexiste à l'Un qui est, si celui-ci y participe. Il essaie une première explication. Cette formule servirait à expliquer la « sub- stantification » de l'Un. Dans le tout : LTn-Être. c'est l'Un qui est et non l'Être qui est Un. Platon a donc été obligé de dire que l'Un participait à Vousia, pour expliquer que l'Un se « substantifiait ». c'est-à-dire formait avec l'ôv une unité qui imite la simplicité de l'Un purement Un. Le commentateur propose ensuite une autre explication. L'ousia en question désigne peut-être d'une manière énigmatique le premier Un, l'Un purement Un. Si en effet le second Un est ov, c'est-à-dire « l'Étant », il faut supposer que le premier Un est, par rapport à ce sujet qui est, une sorte d'Être pur, une activité d'être, parfaitement simple (11), qui n'est ni l'activité de quel qu'un, ni quelque chose. C'est en participant à cet Être pur et infiniment simple que le second Un est en même temps « l'Étant ». Le sixième fragment (12) explique peut-être la formule du Par- ménide (145 b) selon laquelle l'Un de la seconde hypothèse, l'Un qui est, est à la fois en soi et en autre que soi. Selon la tradition néoplatonicienne, « l'Un qui est » est identique à l'Intelligence (13). Le commentateur va donc essayer de montrer comment l'Intell igence peut être « en elle-même ». Pour être en elle-même, elle doit sortir de soi et être alors « en autre que soi ». Le commentateur va donc décrire le mouvement de l'Intelligence qui, primitivement en un état de repos et de pure existence, sort de soi, devient, à cause uploads/Philosophie/ fragments-d-x27-un-commentaire-de-porphyre-sur-le-parmenide.pdf

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