André Ourednik La Notion de Pulsion chez Nietzsche et Freud La notion de pulsio
André Ourednik La Notion de Pulsion chez Nietzsche et Freud La notion de pulsion freudienne est fortement influencée par la philosophie de la volonté de Nietzsche. Le présent texte analyse cet héritage, et propose un éclairage en miroir de la pensée des deux auteurs. Elle aboutit sur une réflexion sur le statut du vivant. Séminaire d’attestation de Master, branche secondaire pour la chaire de Philosophie Générale et Systématique de l’Université de Lausanne Décembre 2003, à l’attention du Prof. Raphaël Célis Du même auteur Wikitractatus – pour une philosophie de l’itinéraire, Hélice Hélas, Vevey, 2014. Contes suisses, Encre Fraîche, Genève, 2013. Chants dilettantes, L’Âge d’Homme, Lausanne, 2002 Contact http://ourednik.info Table des matières: Introduction ................................................................................................................................ 5 Point de départ ....................................................................................................................... 5 La nécessité d’un rapprochement ....................................................................................... 5 Le plan ..................................................................................................................................... 6 1. La notion de Trieb dans la philosophie occidentale et les traductions françaises du terme ............................................................................................................................................ 7 1.1 Der Trieb ....................................................................................................................... 7 1.2 La pulsion ...................................................................................................................... 9 2. La pulsion chez Freud et Nietzsche..................................................................................... 10 2.1. Le concept de pulsion ................................................................................................... 10 2.1.1 Les spécificités du concept chez Nietzsche ........................................................ 10 2.1.2 Les spécificités du concept chez Freud ............................................................... 14 2.1.3 Le principe plaisir ................................................................................................... 18 2.2. Les pulsions fondamentales ........................................................................................ 21 2.2.1 Eros et Thanatos ..................................................................................................... 21 2.2.2 La Volonté de Puissance ........................................................................................ 24 2.3. Point sur les rapprochements et les divergences .................................................... 27 3. Les pulsions et le vivant ...................................................................................................... 29 3.3.1 Le statut ontologique du vivant ........................................................................... 29 3.3.2 L’évolution ............................................................................................................... 33 3.3.3 La Mort ..................................................................................................................... 39 4. Critiques et perspectives ..................................................................................................... 40 Bibliographie ............................................................................................................................. 43 Raccourcis des notes de bas de page pour les ouvrages les plus cités: ........................ 44 O ihr, die aus Himmel und Hölle vertrieben Ihr Mörder, denen viel Leides geschah Warum seid ihr nicht im Schoss eurer Mütter geblieben Wo es stille war und man schlief und war da? - Bertold Brecht 5 Introduction Point de départ La notion de pulsion a retenu notre attention à l’occasion du cours-séminaire interdisciplinaire « Was heisst Leben », donné au cours du premier semestre de l’année académique 2002-2003 de l’Université de Lausanne. Le séminaire avait pour but de dégager, au travers d’analyses de textes philosophiques et littéraires, une notion du vivant et de la vie. Parmi les textes traités figurèrent plusieurs essais métapsychologiques de Freud, lors de l’exposé desquels il nous sembla entendre d’étonnants échos à la philosophie de Nietzsche, qui éveillèrent notre curiosité. Nous fûmes particulièrement intrigués par la notion de pulsion, aveugle, indifférente, destructrice et créatrice à la fois, qui s’inscrivait dans ce que nous connaissions de la Volonté de Puissance et des forces profondes et indomptables qui animent, chez Nietzsche, l’âme et les actes humains. Suivant un désir d’investiguer plus en profondeur la relation entre les deux auteurs relativement à cette notion, nous avons entamé une recherche qui a abouti dans le travail qui suit. Avant de commencer sa présentation, remarquons encore qu’au cours de l’avancement de notre recherche, nous avons été amenés à nous éloigner quelque peu du questionnement premier du séminaire qui constitue son point de départ. Nous avons cependant pris le soin consacrer un chapitre particulier de notre travail à une réflexion sur le statut du vivant qui dérive de la notion de pulsion et de la vision du monde qu’elle implique. La nécessité d’un rapprochement Il faut d’emblée admettre que comparer Nietzsche et Freud répond à un désir qui dépasse toute intention académique. Ce désir peut, d’abord, être comparé à celui de voir deux sommités de l’art dramatique se rejoindre dans l’interprétation d’une pièce. Il est d’autant plus fort que les deux personnages en question apparaissent à première vue diamétralement opposés. D’un côté Nietzsche, philologue, poète maudit, maître de la langue allemande et philosophe au marteau, qui tente de renverser brutalement la philosophie occidentale dans un mouvement extatique, faisant fi de toute contradiction ou excès. De l’autre côté, Freud, médecin, scientifique consciencieux et précis, qui, au travers d’un cheminement dialectique patient et attentif, esquisse la structure de l’insaisissable humain. Plus profondément encore, les deux personnages fascinent par une proximité qui dépasse leur vie, leur époque et même la thématique de leurs écrits. En effet, Freud et Nietzsche apparaissent ensemble tels de grands guérisseurs du rapport qu’entretient l’homme et sa civilisation avec l’immanence du monde. Freud, qui restaure le rapport 6 entre le sujet pensant et son corps – entre lui-même et ce qui, en lui, est enfui et inexprimé. Nietzsche, qui élève la philosophie au rang d’une thérapie de la civilisation – au rang d’une « autopsie morale » à laquelle il se soumet en premier rang lui-même mais qui lui permet « de rencontrer des phantasmes collectifs »1. Bien qu’employant des manières très divergentes, les deux auteurs se donnent, au fond, pour but de remédier à ce qu’une métaphysique abstraite et d’autres types de refoulement ont de dangereusement schizophrène2. Leur projet se rejoint: ils tentent de trouver un chemin nous permettant d’exorciser ce qui en nous ou dans notre philosophie est d’aliénant et de non authentique, d’offrir à leurs patients – nous y compris – une voie pour devenir ce qu’ils sont, pour retrouver un langage et un récit de soi sans laisser de lacunes qui risquerait de les engloutir. Au-delà des détails théoriques, la similarité de Nietzsche et Freud se révèle ainsi au travers de leur rôle d’affirmateurs de vie, malgré leur perception proclamée du non-sens de cette dernière. De par ces similitudes de buts, la comparaison des deux auteurs promet d’assimiler de manière parallèle, de comprendre au mieux, des propositions et des réflexions qui représentent à la fois un espoir indispensable et un grand danger pour nous-mêmes et notre civilisation. Leur rapprochement nous permet d’explorer des tensions vitales entre pulsions et raison, conscient et inconscient, rationnel et irrationnel, apparence et réalité, mensonge et vérité – autant de brèches, de lézardes périlleuses, peut-être, dans la pensée actuelle et ses immenses interrogations. Le plan Pour présenter la notion de pulsion chez les deux auteurs germanophones, nous voulons d’abord courtement explorer la notion du Trieb, telle qu’elle apparaît dans la philosophie de langue allemande, et montrer en quoi la traduction française de ce terme dont nous ferons usage dans notre travail nous paraît adéquate. Nous procèderons ensuite à l’analyse du concept de pulsion chez les auteurs eux-mêmes, accordant une attention particulière à ce que Freud dénomme explicitement "pulsions fondamentales’. L’analyse nous permettra d’établir en quoi les deux auteurs ses rencontrent et en quoi ils divergent dans la totalité de leur pensée et particulièrement dans leur rapport à la notion de pulsion. Dans un dernier chapitre, nous nous proposons d’explorer, comme annoncé, les implications de la notion de pulsion sur celle du vivant. 1 Vartzbed, 10 2 L’au-delà, la chose en soi, la vérité et d’autres dédoublements de notre existence. 7 1. La notion de Trieb dans la philosophie occidentale et les traductions françaises du terme 1.1 Der Trieb Le substantif « trieb » et le verbe « treiben » s’emploient depuis longtemps dans des contextes très divers tels l’agriculture (das Treiben von Vieh), la chasse ou la physique (signifiant Strom ou propulsus)3. Ce n’est qu’à la fin du 17e siècle4 que le Trieb devient une notion technique de la philosophique, émergeant dans le contexte d’une anthropologie pré-kantienne à laquelle il permet de thématiser les origines et fondements des actes humains. On trouve l’une des premières traces de sa définition dans le dictionnaire philosophique de Walch (1733) : „Ein Trieb überhaupt wird ein Grund genennet, welcher zum handeln reizt oder antreibt“5 Comme on peut s’imaginer, le contenu sémantique d’un pareil terme est, dès son établissement, aussi riche que les discussions concernant les questions qu’il thématise. En effet, dans le mouvement de germanisation du langage philosophique en Allemagne, il est utilisé pour reprendre des notions latines aussi diverses que « appetitus », « nisus », « impetus », « instinctus », « conatus », « prima naturalia », « libido » etc. Il sert également à traduire les termes grecs « όρμή » et « έπιθυμία ». Il est vrai que la notion du pulsionnel remonte aux premiers âges de la philosophie occidentale. On en trouve, par exemple, des traces – importantes dans le contexte qui est le nôtre – chez Empédocle6, c’est à dire entre 490-435 av. J.C. Le « Trieb » ne porte évidemment pas chez lui le nom que lui donnera la philosophie allemande. Empédocle ne parle pas de pulsion mais de force et de principe. Comme d’autres présocratiques, Empédocle considérait qu’il n’y a pas de création ni de disparition dans la mort d’êtres vivants, que seuls existent un mélange et une dissociation de ce qui a été mélangé. Ces modifications interviennent au sein d’une quantité constante de matière composée des quatre éléments "racines": eau, air, terre et feu. L’apparition et la disparition du mélange constitutif du vivant dans cette matière se fait selon les règles du "destin" qui décide de la prédominance de tel ou tel élément dans un cycle, au sein duquel les éléments se dissolvent les uns dans les autres. 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- Publié le Nov 27, 2021
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