LE PROBLÈME DE L'ÊTRE ET LA QUESTION DE L'HOMME Sur la polémique Cassirer - Hei

LE PROBLÈME DE L'ÊTRE ET LA QUESTION DE L'HOMME Sur la polémique Cassirer - Heidegger Nicolas Poirier Vrin | « Le Philosophoire » 1999/3 n° 9 | pages 139 à 149 ISSN 1283-7091 DOI 10.3917/phoir.009.0139 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-1999-3-page-139.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Vrin. © Vrin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Vrin | Téléchargé le 28/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 77.135.157.180) © Vrin | Téléchargé le 28/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 77.135.157.180) Le Philosophoire, n° 9bis, 2006, p. 139-149 Le problème de l’être et la question de l’homme Sur la polémique Cassirer - Heidegger Nicolas Poirier Les enjeux d’une polémique  fin de bien comprendre l’enjeu de l’interprétation heideggerienne de Kant vers 1930, il convient de se replacer dans le contexte de la rencontre entre Cassirer et Heidegger qui eut lieu en 1929 à Davos. Ernst Cassirer, alors professeur à l’université de Marbourg où il avait succédé à Herman Cohen, était le plus éminent représentant de l’école néo- kantienne allemande (dite « école de Marbourg »). Rappelons que dans l’allemagne weimarienne, les néo-kantiens regroupés autour de Cohen d’abord, de Cassirer ensuite, formaient le pôle institutionnel dominant au sein de l’université. Le principal apport de ce courant de pensée a été d’interpréter la Critique de la raison pure dans le sens d’une théorie de la connaissance (ou épistémologie) qui fournirait les conditions de possibilité de la connaissance physique et mathématique de la nature ; l’œuvre maîtresse de Kant présenterait pour les néo-kantiens un intérêt d’abord et avant tout épistémologique : en déterminant la structure a priori de l’esprit humain comme condition de toute objectivité possible, Kant aurait permis de légitimer les prétentions de la science physique à la connaissance exacte de la nature. Pour Heidegger, cette position était intenable, puisqu’elle justifiait a posteriori la domination du positivisme sur la philosophie réduite à n’être qu’une simple vision du monde parmi d’autres et la propension du scientisme moderne à s’annexer tous les domaines de la réalité, y compris le champ de la psychologie et celui de l’histoire des sociétés humaines ; s’il ne subsiste que de simples faits (des « étants objectivés » dirait Heidegger), quel sens y a-t-il à se poser encore des A © Vrin | Téléchargé le 28/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 77.135.157.180) © Vrin | Téléchargé le 28/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 77.135.157.180) La Métaphysique 140 questions métaphysiques dès lors que l’être s’est vu réduit à un simple vocable et sa signification assimilée à une vapeur qui s’évapore1 ? La philosophie n’aurait donc plus d’objet qui lui soit propre ; sa seule fonction consisterait à réfléchir après-coup sur ce que les sciences ont déjà pensé – l’étant considéré comme objet d’investigation et de manipulation expérimentale. L’objectivation ontique de la nature et du réel poursuivie par les sciences de la nature entraînerait immanquablement le recouvrement de la question de l’être, interrogation fondatrice selon Heidegger de la philosophie occidentale2. L’autre protagoniste de cette rencontre, Martin Heidegger, venait d’être nommé professeur à l’université de Fribourg et avait fait paraître en 1927 (soit deux ans auparavant) son œuvre majeure Être et Temps. Cet ouvrage s’inscrivait certes dans la lignée du mouvement phénoménologique institué par Husserl (dont Heidegger fût l’élève et auquel Être et Temps est d’ailleurs dédié) ; mais par la radicalité de son questionnement et le caractère inédit de la langue qui y était développé, il repensait sur des bases entièrement nouvelles la problématique husserlienne d’un retour aux choses concrètes du monde de la vie. Dans Être et Temps, il s’agissait au fond pour Heidegger de reposer la question du sens de l’être, dans la mesure où celle-ci était, depuis Platon, apparemment tombée dans l’oubli. Le but de ce livre (du moins sa finalité provisoire) était de fournir une interprétation du temps comme horizon de toute compréhension de l’être, en procédant à l’élaboration d’une ontologie fondamentale. Heidegger, qui fût comme Cohen et Cassirer, professeur à l’université de Marbourg de 1923 à 1928, était pour le moins familier de la lecture de Kant dominante à l’époque dans cette faculté - lecture qui, rappelons- le, consistait à percevoir dans la Critique de la raison pure une réflexion épistémologique sur les conditions (subjectives) de l’objectivité scientifique. On peut même dire que Sein und Zeit annonce, quoique sur le mode du non-dit, la polémique de Davos entre Heidegger et le néo-kantisme ; plus précisément, que l’opposition qui se fait jour dans ce travail entre Heidegger et son « maître » Husserl à propos du statut accordé à la subjectivité transcendantale vient redoubler un antagonisme plus profond concernant deux conceptions différentes de la pensée dans son rapport avec le monde. C’est dans la perspective d’un tel conflit qu’il faut comprendre la tentative heideggerienne d’arracher l’être au régime de détermination univoque au sein duquel l’enferme les sciences de la nature et qui consiste à faire de l’être un objet de 1 Dans Le Crépuscule des idoles, Nietzsche caractérise les conceptions philosophiques les plus hautes, c’est-à-dire les considérations les plus générales et les plus vides, comme la dernière ivresse de la réalité qui s’évapore. 2 Sur la critique du positivisme, cf. E. Husserl, La philosophie comme science rigoureuse, PUF et La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, Tel- Gallimard. © Vrin | Téléchargé le 28/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 77.135.157.180) © Vrin | Téléchargé le 28/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 77.135.157.180) Le problème de l’être et la question de l’homme 141 représentation pour un sujet (ce qui revient en somme à réduire l’être à l’étant, ou encore à reconduire le domaine ontologique à la seule sphère ontique). L’enjeu de la dispute opposant Cassirer et Heidegger réside dans la question de savoir quel statut il convient d’accorder à la Critique de la raison pure3. Heidegger, qui entend rompre avec la lecture « épistémologique » de la vieille garde néo-kantienne, va ainsi s’employer à montrer que la Critique de la raison pure (plus exactement l’analytique transcendantale) contient, sans que Kant lui-même ait réellement pu l’expliciter, une dimension ontologique fondamentale : plutôt qu’une réflexion critique sur les conditions de possibilité de la science, il faudrait voir dans l’analytique transcendantale les fondements d’une ontologie générale enracinée dans la structure cognitive du sujet humain (pour Heidegger du dasein) qui annoncerait l’ontologie fondamentale développée par Heidegger dans Être et Temps. On ne doit pourtant pas se méprendre sur les intentions de Heidegger : le penseur allemand n’entend nullement déprécier par principe toute interprétation qui mettrait en exergue le rôle joué par Kant dans le développement d’une philosophie moderne de la science apportant son crédit à l’essor de la physique expérimentale. Il s’agit seulement de restituer les choses à leur juste valeur en réancrant la sphère de l’ontique (où travaille la science objectivante) dans le socle ontologique qui est seul capable de donner sens à l’entreprise d’investigation scientifique de la réalité. Heidegger ne prétend pas que le projet kantien qui consiste à vouloir dépasser l’alternative stérile du dogmatisme et de l’empirisme n’ait qu’une vaine et illusoire signification, il affirme seulement le caractère dérivé de cette opposition : le dualisme de l’empirique et du transcendantal (du multiple et de l’un pour reprendre le langage de la pensée antique) ne serait intelligible qu’à la condition de réinscrire les termes de cette contradiction dans la dimension constitutive au cœur de laquelle s’enracine la métaphysique comme sa véritable condition de possibilité : la différence ontologique. Il existerait finalement derrière les oppositions structurelles qui ont façonné l’espace philosophique des grecs jusqu’à nos jours (sensible - intelligible ; devenir - être ; relatif - absolu...) une distinction plus fondamentale entre l’être et l’étant dont dépendent tous les schèmes conflictuels à l’œuvre dans le champ philosophique. « La différence de l’étant et de l’être, écrira Heidegger dans un texte plus tardif, définit la région à l’intérieur de laquelle la métaphysique, la pensée occidentale dans la totalité de son essence, peut être ce qu’elle est » (Identité et différence). 3 Sur l’interprétation de Kant en allemagne depuis Fichte et la tradition de l’idéalisme jusqu’à Cohen, Cassirer et Heidegger, cf. J. Vuillemin, L’héritage kantien et la révolution copernicienne, PUF. Pour un tableau complet de la philosophie allemande à la fin des années 20, on renverra à G. Gurvitch, Les tendances actuelles de la philosophie allemande, Vrin. © Vrin | Téléchargé le 28/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 77.135.157.180) © Vrin | Téléchargé le 28/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 77.135.157.180) La Métaphysique 142 L’ontologie fondamentale On comprend mieux dans ces conditions selon quelles modalités Heidegger est parvenu à dégager l’impensé ontologique uploads/Philosophie/ poirier-le-probleme-de-l-x27-etre-et-la-question-de-l-x27-homme-sur-la-polemique-cassirer-heidegger.pdf

  • 25
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager