HEGEL @ p.734 G.-W.-H. Hegel (1770-1831), camarade de Schelling à l’Université

HEGEL @ p.734 G.-W.-H. Hegel (1770-1831), camarade de Schelling à l’Université de Tübingen, vécut à Berne de 1774 à 1797 et à Francfort jusqu’en 1800 ; il devint privat-dozent à Iéna en 1801, qu’il quitta en 1807 ; de 1808 à 1831, il est professeur à l’Université de Berlin, et c’est de là que date sa gloire. Les premiers écrits de Hegel (Leben Jesu, Erstes System, écrits en 1795 et en 1800) n’ont été publiés que récemment. Il ne se fit connaître qu’en 1801 par une dissertation De orbitis planetarum et par la Differenz der fichteschen und schellingschen Philosophie ; mais son premier grand ouvrage, Phänomenologie des Geistes, ne parut qu’en 1807 ; puis c’est, de 1812 à 1816, les trois volumes de la Wissenschaft des Logik, et en 1817, l’exposé général de l’Enzyklopädie der philosophischen Wissenschaften (2e éd., 1827). De son vivant ne parut plus guère que la Rechtsphilosophie (1821), et c’est après sa mort que furent publiés ses cours sur l’Esthétique, la Philosophie de l’histoire et la Philosophie de la Religion. I. — LES DIVISIONS DE LA PHILOSOPHIE @ Ce qui frappe lorsque l’on aborde Hegel après Fichte et Schelling, c’est l’extrême densité et épaisseur d’une pensée qui ne se satisfait que lorsqu’elle a atteint le concret de la nature et de l’histoire. Hegel, qui était l’aîné de Schelling et qui pourtant n’a commencé à publier que beaucoup d’années après lui, p.735 s’est donné le temps d’acquérir cette culture que Fichte déclarait complètement inutile au théoricien de la science ; excellent helléniste et latiniste, initié aux mathématiques et aux sciences de la nature, ayant l’habitude, jusqu’à un âge avancé, de noter les faits de tout genre qu’il apprenait par ses lectures, Hegel donne pour base à sa philosophie un savoir encyclopédique, comme d’ailleurs ont fait ou voulu faire plusieurs philosophes d’une époque qui vise surtout à ne laisser échapper aucun élément positif de la culture humaine ; on définit l’esprit moins par l’analyse abstraite des conditions de la connaissance que par la synthèse de ses productions, effectives. Un encyclopédiste, mais en même temps un systématique ; l’encyclopédiste ne veut laisser se perdre aucune réalité positive ; le systématique ne veut retenir que le produit d’une spéculation rationnelle ; l’ambition de Hegel a été, dès le début, d’unir si intimement encyclopédie et Émile BRÉHIER — Histoire de la philosophie. — II. La philosophie moderne 492 système que la réalité positive fût retenue tout entière par le système : non pas cependant comme si cette réalité était d’abord donnée comme une masse extérieure à la pensée que celle-ci absorberait peu à peu, la philosophie n’ayant alors qu’une fonction formelle d’organisation ; il faut que la réalité soit posée dans et par le système : le philosophe veut concevoir l’être ; encore faut-il justifier le passage du concept à l’être, et de l’être au concept ; et il n’y a aucun espoir de rapprocher les deux termes une fois qu’on les a posés comme extérieurs l’un à l’autre ; la science empirique ne fait alors qu’ajouter le fini au fini ; la pensée est vide et sans objet. Le problème philosophique, la détermination rationnelle de tout être et de toute réalité est donc insoluble, s’il n’est pas, en un sens, résolu dès le début, si, au départ, nous ne sommes pas en possession de cette pensée identique à l’être, que Hegel appelait d’abord intuition transcendentale ou intellectuelle, puis concept (Begriff). C’est bien une intuition de ce genre que Fichte, puis Schelling, avaient opposée au formalisme de p.736 Kant ; et la pensée de Hegel, dans ses premières oeuvres parues, s’exprime par des critiques sur l’insuffisance de leurs solutions. Le système de Fichte admet bien l’identité du sujet et de l’objet, mais à titre de postulat, et il la recule à l’infini comme idéal d’action ; Fichte s’en tient à la réflexion qui oppose le Moi absolu au Moi de la conscience empirique et au Non-Moi, mais il l’isole ainsi dans le vide de l’abstrait. Hegel est encore plus défavorable à Jacobi qui a retiré en principe à la raison tout droit d’atteindre les existences et les réalités et qui a confié à une croyance tout à fait hétérogène à la raison la mission de nous guider dans le monde de la croyance. Au contraire, Schelling (le Schelling de 1800) a d’abord toutes les faveurs de Hegel pour avoir affirmé l’identité du sujet et de l’objet, qu’il ne sépare jamais après les avoir unis par l’intuition ; la Nature ne s’oppose pas au Moi chez lui comme l’objet au sujet ; la Nature est un sujet-objet, et le Moi, lui aussi ; chacun des deux termes contient le principe de l’autre ; chacun des deux est un absolu dont toutes les déterminations sont immanentes. Hegel reste quelque temps fidèle à Schelling et sa thèse d’habilitation à l’Université d’Iéna est un De orbitibus planetarum (1801), dans laquelle il critique les newtoniens, qui emploient l’hypothèse mathématique des forces centrales (qui sont de simples noms) pour reconstruire pièce à pièce le système solaire, tandis qu’il en déduit les lois de « l’identité de la raison et de la nature ». Mais Hegel abandonne à son tour Schelling. La préface de la Phénoménologie de l’Esprit (1807) marque la rupture définitive. L’Absolu de Schelling reste formel, uniforme, stérile ; « ce n’est pas encore la science, pas plus qu’un gland n’est un chêne ; ce sera la science lorsque ce concept se sera résolu à son tour en ses moments » ; le système de l’identité donne l’illusion de déduire de l’Absolu la Nature et l’Esprit, grâce à un excès d’objectivité ou de subjectivité dans le sujet-objet ; au fond, « il ne fait que répéter une seule et même chose en l’appliquant de l’extérieur à la diversité... p.737 Opposer cet unique savoir, que tout est égal dans l’Absolu à la connaissance qui est Émile BRÉHIER — Histoire de la philosophie. — II. La philosophie moderne 493 distincte, qui est remplie, ou qui cherche et exige un contenu, donner son Absolu pour la nuit, où, comme on dit, toutes les vaches sont noires, c’est la naïveté du vide dans la connaissance ». A partir de ce moment, Hegel oppose le concept à l’intuition (Anschauung), et il assimile celle-ci au sentiment (Gefühl) « qui brouille les idées et tend plus à l’édification qu’à la spéculation » ; ce genre de philosophie aime à recevoir plus qu’à donner, à sentir plus qu’à exprimer, à rêver plus qu’à penser. C’est un formalisme qui excite l’admiration en réunissant les termes en apparence éloignés, en enseignant « que l’entendement est l’électricité ou que l’animal est l’azote... Mais la finasserie d’un tel procédé est bientôt découverte ; c’est comme un tableau qui ne serait fait qu’avec deux couleurs... et cela finit par un tableau unique, puisque les deux termes du schéma sont à leur tour confondus dans la pure identité ». Qu’oppose Hegel à cet Absolu stérile ? Pour apprécier l’exactitude et la portée de sa critique, rappelons-nous l’image foncière que nous avons découverte à la base de la pensée de Fichte et de Schelling : l’être ne se détermine que dans l’opposition et la lutte contre son opposé, lutte qui finit par la victoire et l’assujettissement ; Schelling n’a reproché à Fichte que d’avoir renvoyé cette victoire à l’infini ; lui-même, il a essayé de faire saisir les divers aspects de son Absolu comme des victoires alternées du sujet de l’objet ; Schelling et Fichte ont donc bien introduit en philosophie ce que Hegel appellera le « négatif », l’obstacle contre lequel le courant infini, venant buter, produira la diversité des tourbillons. Le reproche de Hegel (et l’on a vu à quel point Schelling en tiendra compte à partir de 1811), c’est de ne pas l’avoir pris assez au sérieux ». A l’estime de Hegel, « l’idée de Dieu chez eux tourne à la fadeur, puisqu’il y manque le sérieux, la douleur, la patience et le travail du négatif » ; la vie de Dieu est une unité sans trouble, qui ne prend p.738 pas au sérieux l’être-autre, l’extériorité à soi-même (Entfremdung) et la victoire sur cette extériorité. Mais il n’y a là entre les trois philosophes que des nuances que leur continuelle polémique tendait à accentuer ; chacun accuse son adversaire d’aboutir à l’immobilisme des Éléates (Schelling prononce contre Hegel la même critique que Hegel contre lui) ; mais chacun aussi puise dans le même fond d’images pour introduire dans l’Absolu la vie et la mobilité : ce sont les images théogoniques qui avaient afflué à nouveau pendant la crise d’illuminisme du XVIIIe siècle : un Dieu qui naît et se réalise en luttant et en souffrant ; une période militante qui précède le triomphe. C’est avec cette image et d’autres du même genre que l’on saisira une des notions centrales du système de Hegel, celle de concept (Begriff) : comment puis-je arriver à me concevoir moi-même tel que je suis ? c’est lorsque mon être et mon caractère se sont uploads/Philosophie/ hegel4.pdf

  • 15
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager