AVICENNE ET LE SOUFISME: ÀPROPOS DE LA "RISĀLA NAYRŪZIYYA" Author(s): Pierre LO
AVICENNE ET LE SOUFISME: ÀPROPOS DE LA "RISĀLA NAYRŪZIYYA" Author(s): Pierre LORY and Pierre LORRY Source: Bulletin d'études orientales, T. 48, La philosophie médiévale en France État des lieux (1996), pp. 137-144 Published by: Institut Francais du Proche-Orient Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41608415 . Accessed: 09/09/2014 16:29 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. . Institut Francais du Proche-Orient is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Bulletin d'études orientales. http://www.jstor.org This content downloaded from 162.197.193.83 on Tue, 9 Sep 2014 16:29:25 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions AVICENNE ET LE SOUFISME : À PROPOS DE LA RISALA NAYRÜZIYYA Pierre LORY École Pratique des Hautes Études Nous voudrions ici évoquer la présence, dans le corpus avicennien, de l'étrange petit traité intitulé Risala nayrüziyya fi ma' ani al hurüf al-higďiyya x. L'auteur y propose une interprétation des lettres "isolées" (muqatta'ât) ou "ouvrantes" (fawãtih ) qui se trouvent placées en exergue de 29 sourates coraniques. Il s'agit à vrai dire d'une énigme assez singulière. L'exégèse musulmane traditionnelle, si prolixe en explications philologiques et en anecdotes fondées peu ou prou sur le hadït , reste ici discrète 2. Certaines tentatives d'élucidation sont bien proposées, énumérées notamment par Tabarï dans son commentaire coranique 3 ; mais elles sont mentionnées à titre de pures hypothèses. Ce vide exégétique n'est lui-même pas explicité : le Prophète n'aurait apparemment rien enseigné à ce sujet. Aucun Compagnon ne l'aurait-il questionné sur ce point ? L'interrogation rebondit en tout cas à chaque génération de savants. Dieu a envoyé le Coran aux hommes pour leur transmettre un message clair et utile pour eux : quel sens auraient des sigles totalement mystérieux, inaccessibles à l'entendement humain ? Dans les milieux ésotéristes et soufis se développa l'idée que les versets coraniques incluaient un étagement de sens, correspondant à l'inégalité des capacités humaines à approcher le divin. On a donc eu assez tôt tendance à voir dans ces sigles les traces d'une langue céleste, accessible aux seules âmes assez pures pour traverser les parois de l'apparence du langage 4 . 1. Dans son Mu'allafât Ibn Sînâ (Le Caire, 1950, p. 119), G. C. Anawati mentionne l'existence de 22 manuscrits de ce traité, portant des titres variés : al-Nayrüz.iyya fi hurüf al-abgad, Risala fi fawãtih al- suwar al-karïma , Risãlat al-huruf (à distinguer bien sûr du Asbãb hudüt al-hurüf de portée strictement phonologique). Il fut publié au Caire en 1908 dans une collection de neuf traités avicenniens, Tis' rasa' il fï al-hikma wa al-tabViyyãt li-al-sayh al-ra'ïs Ibn Sïnâ. 2. Sur cette question des hurüf muqatta'ât, on pourra se reporter à l'article « Kur'än » de A. T. Welch dans la deuxième édition de Y Encyclopédie de VIslam (IV, p. 413-416). Nous y renvoyons notamment pour ce qui a trait aux tentatives d'explication moderne de type historique qui y voient des reliquats de marquages datant de la composition de la Vulgate 'utmãnienne. 3. GãmV al-bayän , I, p. 86-96, où sont passées en revue des suppositions étayées ou non par l'avis d'autorités traditionnelles. Il s'agirait de noms du Coran, du nom des sourates, de formules d'ouverture, de Noms divins (voire du Nom Suprême) ou d'anagrammes désignant ces Noms, de valeurs numériques (renvoyant selon certains à des computs d'ordre eschatologique), voire d'allusions dans une langue non humaine. Tabarï, qui souligne l'absence d'explication formelle de la part du prophète Muhammad lui-même, suggère que ces sigles sont porteurs de significations multiples et non exclusives (p. 93-94). 4. Pour un exposé à la fois clair et érudit de la science mystique des lettres arabes, on peut consulter la présentation du 2e chapitre des Futühät d'Ibn 4 Arabi par Denis Gril dans le volume Les illuminations de la Mecque (Sindbad, 1989), p. 385-438. D. Gril y mentionne la Risàia Nayrüziyya et la question de sa portée, This content downloaded from 162.197.193.83 on Tue, 9 Sep 2014 16:29:25 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 138 PIERRE LORY Ce à quoi Avicenne convie son lecteur ne correspond cependant nullement à la démarche d'un ésotérisme initiatique ; mais il ne s'agit pas non plus d'une tentative de type philologique traditionnelle. Il commence lui-même par expliquer l'occasion de la composition de ce traité. Il désirait offrir un cadeau pour la Nouvelle Année iranienne {nayrû z) à l'émir Abu Bakr Muhammad b. 'Abd al-Rahïm 5, mais il se trouvait dans l'incapacité matérielle de fournir un présent à la mesure de la dignité de ce personnage. « J'estimai, poursuivit-il, que les enseignements de sagesse sont la chose la plus désirable et le présent le plus noble qui soient, surtout la sagesse divine (< al-hikma al-ilãhiyya ) et plus particulièrement celle qui relève de notre religion ( hakïman milliyyan). Un des plus obscurs secrets de la sagesse et de la religion (milla) étant la mise en évidence de la signification incluse dans les lettres isolées placées en en-tête de certaines sourates coraniques, j'entrepris d'y consacrer un traité et d'en faire mon cadeau de nayrûz » (p. 105). Avicenne divise son traité en trois sections nettement séparées. Dans la première, il expose les principaux éléments de sa cosmologie. Nous avons à l'origine l'Être nécessaire, existence absolue, bien, science et puissance absolus, qui est l'Essence divine ( dãt ). Ce wãgib al-wugüd engendre l'Intellect ('aql), qui est un monde contenant les intelligibles, dépourvus de toute matière. L'Intellect engendre à son tour l'Âme ( al-nafs ), monde incluant des êtres déjà impliqués de quelque manière dans la dimension matérielle. C'est l'Âme qui agit sur les sphères célestes allant à leur tour déterminer les états des mondes inférieurs. Le quatrième degré de l'Être est celui de la Nature (tabi 'a) qui constitue l'ensemble des forces compénétrant le monde terrestre, l'animant et le dirigeant tout à la fois. Enfin, le cinquième et dernier niveau correspond au monde corporel ; l'auteur prenant soin ici de distinguer entre le corps éthérique (atïrî) et le corps matériel dense Çunsuri). Chacune de ces forces, poursuit Avicenne, peut être perçue soit en elle-même, soit en relation avec le monde qui la suit. Plusieurs types de relations sont en jeu. La première est l'instauration première (ibdã') qui caractérise la production de l'Intellect "hors de" l'Essence. Ensuite a lieu l'engendrement à partir d'un intermédiaire, comme c'est le cas de la procession de l'Âme à partir de l'Intellect : Avicenne désigne cette relation comme le Commandement (al-amr ; apparemment synonyme de ihdãt dans d'autres textes). La création dans l'espace, comme celle des sphères, est désignée comme halq ; la production dans le monde corporel terrestre est quant à elle appelée "génération" (takwin). Puis Avicenne, dans la section suivante, expose la correspondance qui existe selon lui entre les processions cosmologiques et les lettres de l'alphabet prises dans l'ordre abgad. Les niveaux de l'être pris en eux-mêmes sont désignés par les premières^ lettres dans leur ordre usuel : l'Essence divine par alif (= 1), l'Intellect par bã' (= 2), l'Âme par gim (= 3), la Nature par dãl (= 4). La suite des lettres de l'alphabet renvoie aux niveaux de l'Être dans leur hiérarchie. Par rapport au monde qui lui est inférieur, l'Essence divine est marquée par le hã' (= 5), l'Intellect par le wãw (= 6), l'Âme par le z.ãy (= 7), la Nature par le hà' (= 8). Enfin, le monde corporel, déterminé par ce qui le précède, mais n'engendrant aucun niveau de l'Être nouveau, sera désigné par le tã' (= 9). Ce qui peut être résumé par le tableau suivant : et nous souscrivons entièrement à ses conclusions (p. 421), que le présent article entend précisément confirmer. 5. Autorité politique par ailleurs inconnue, en qui Massignon (article cité infra, p. 604) voit un membre probable de la famille vizirale bouyide des 'Abd al-Rahïm. This content downloaded from 162.197.193.83 on Tue, 9 Sep 2014 16:29:25 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions AVICENNE ET LE SOUFISME 139 SIGNIFICATION DES LETTRES en elles-mêmes en relation Dieu alif= 1 há' = 5 l'Intellect bã' = 2 wãw - 6 l'Âme gim = 3 zãy = 1 la Nature dál = 4 há ' = 8 le Corps tã ' = 9 La nature des relations d'engendrement, selon Avicenne, est exprimée par la multiplication entre les deux termes. Ainsi l'instauration primordiale ( ibdã ') correspond- elle au rapport entre le hã' (l'Essence instauratrice) et le bã (l'Intellect en lui-même), soit à la multiplication 5x2= 10. Dix étant la valeur numérique de la lettre yã' , on aura donc l'équivalence ibdã' = yã'. Toutefois, Avicenne élimine par avance tout résultat qui donnerait un nombre composé de plusieurs lettres : ainsi récuse- t-il, pour marquer le Commandement cosmique ( al-Amr ), la multiplication uploads/Philosophie/ institut-francais-du-proche-orient.pdf
Documents similaires










-
25
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Apv 20, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.9172MB