139 2019/1 ACTA UNIVERSITATIS CAROLINAE PAG. 139–160 Interpretationes Studia P

139 2019/1 ACTA UNIVERSITATIS CAROLINAE PAG. 139–160 Interpretationes Studia Philosophica Europeanea https://doi.org/10.14712/24646504.2020.19 © 2020 The Author. This is an open-access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0). RICHIR LECTEUR DE FINK : MÉTHODE ET ARCHITECTONIQUE STÉPHANE FINETTI Abstract This paper focuses on an important moment in Richir’ s elaboration of the question of method and architectonic: his confrontation with Fink’ s phenomenology and especially with Sixth Cartesian Meditation. Moving from Fink’ s approach to phenomenological reduction and to architectonic in the Sixth Cartesian Meditation, we will see how Richir recasts them in the Sixth Phenomenological Meditation. Introduction Nous aborderons la question de la méthode et de l’ architectonique dans la phénoménologie de M. Richir par le biais de sa confrontation avec la phénomé- nologie d’ E. Fink et, en particulier, avec la Sixième méditation cartésienne. Cette méditation supplémentaire, rédigée par Fink en 1932 pour parachever son rema- niement des Méditations cartésiennes, ébauche en effet l’ Idée d’ une doctrine trans- cendantale de la méthode. En tant que telle, elle réactive non seulement le sens général de la deuxième partie principale de la Critique de la raison pure, mais aussi le sens de son troisième chapitre : l’ Architectonique de la raison pure. La question de la méthode et de l’ architectonique1 est en outre précisément celle qui sollicite Richir dans la Sixième méditation : 1 Comme nous le verrons, il ne s’ agit pas de deux questions séparées, mais d’ une seule et même question. 140 Ce qui me sollicitait alors dans ce texte, c’ était évidemment la question de l’ architec- tonique de la phénoménologie, puisque Fink y élabore une théorie transcendantale de la méthode en contrepoint d’ une théorie transcendantale des éléments : il reprend explicitement les titres de Kant.2 La confrontation de Richir avec la Sixième méditation peut ainsi être considé- rée comme une partie intégrante de son élaboration de la question de la méthode et de l’ architectonique, voire même comme un de ses moments-clés3. On distinguera trois phases dans la rencontre de Richir avec cet ouvrage de Fink. Avant sa publication, Richir ne le connaissait qu’ indirectement, à travers la Phénoménologie de la perception de M. Merleau-Ponty. Ce dernier avait pu en effet consulter les §§ 1–11 de la Sixième méditation grâce à G. Berger, qui en avait reçu un exemplaire de Husserl en 19344. Merleau-Ponty en avait ainsi fait deux brèves citations dans l’ Avant-propos de la Phénoménologie de la perception. La première concernait la « phénoménologie constructive »5, abordée par Fink dans le § 7 de la Sixième méditation, mais présente d’ un bout à l’ autre de l’ ouvrage. La seconde por- tait sur le thème de la doctrine transcendantale de la méthode : l’ ego méditant en tant que « ‘spectateur impartial’ (uninteressierte Zuschauer) »6. L’ Avant-propos de la Phénoménologie de la perception se référait aussi implicitement à la question de l’ éidétique transcendantale abordée par Fink dans le § 9 de la Sixième méditation. Ces questions constituent l’ horizon à partir duquel Richir entreprit la lecture de la Sixième méditation dès sa publication par H. Ebeling, J. Holl et G. van Kerckho- ven dans la série Husserliana-Dokumente. En 1988, s’ ouvrait ainsi une deuxième phase de la rencontre de Richir avec la Sixième méditation, caractérisée par deux contributions majeures : en premier lieu, la conférence La question d’ une doctrine transcendantale de la méthode en phénoménologie7, donnée aux Archives Eugen Fink de l’ Université de Fribourg à l’ occasion du colloque international Questions fondamentales de la méthode et de la science phénoménologique (1989), où Richir fit la connaissance de G. van Kerckhoven ; en deuxième lieu, l’ ouvrage Méditations 2 Richir Marc, L’ écart et le rien. Conversations avec Sacha Carlson, Grenoble, Millon, 2015, p. 197. 3 Un autre moment-clé (que nous nous limiterons à évoquer) est constitué par la redéfinition richi- rienne de l’ architectonique comme tectonique de l’ archaïque (cf. Richir M., « La refonte de la phé- noménologie », in Annales de phénoménologie, 7, 2008, p. 207). 4 Cf. Van Kerckhoven Guy, Mundanisierung und Individuation, Würzburg, Konigshausen & Neu- mann, 2003, p. 79. 5 Merleau-Ponty Maurice, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945, p. I. 6 Ibid, p. XV. 7 Richir M., « La question d’ une doctrine transcendantale de la méthode en phénoménologie », in Epokhé, 1, 1990, pp. 91−125. 141 phénoménologiques (1992) et, notamment, la Sixième méditation phénoméno- logique8, intitulée Phénoménologie et architectonique. Dans les deux cas, Richir mettait en œuvre une lecture phénoménologique et non-doctrinale de la Sixième méditation : une lecture qui ne cherchait pas à l’ objectiver comme doctrine his- torique, mais à mettre en relief ses ressources implicites pour procéder à une re- fonte de la méthode et de l’ architectonique phénoménologiques. Une troisième phase de la rencontre de Richir avec la Sixième méditation est enfin constituée par le travail éditorial qui le conduisit à publier en 1994 – en tant que directeur de la collection Krisis de l’ éditeur J. Millon – la traduction française de la Sixième méditation (effectuée par N. Depraz), ainsi qu’ en 1998 la traduction française du remaniement finkien des Méditations cartésiennes (effectuée par F. Dastur et A. Montavont). L’ élaboration de la question de la méthode et de l’ architectonique que Richir entreprend dans la Sixième méditation phénoménologique renvoie aussi à un deu- xième volet de sa confrontation avec la phénoménologie d’ E. Fink : son analyse du cours Monde et finitude, tenu par Fink à l’ Université de Fribourg dans les semestres d’ été 1949 et 1966. Le § 3a de la Sixième méditation phénoménologique s’ y réfère en effet de façon implicite9. L’ article Monde et phénomènes (1992)10 en constitue au contraire une analyse explicite et détaillée. Richir y reprend notamment la distinc- tion heideggerienne, puis finkienne entre Terre et Monde pour la repenser comme distinction architectonique. Ce deuxième volet de la confrontation de Richir avec la phénoménologie d’ E. Fink allait de pair avec une recherche des prémisses de Monde et finitude dans les notes de recherche du jeune Fink. Richir fut à notre connaissance le premier à en entreprendre la traduction dans le milieu franco- phone : il traduisit dans les numéros 15/16 de Les cahiers de philosophie le recueil de notes « Sur le concept phénoménologique de Monde (1930 et 1934) » ainsi que « Esquisses pour l’ écrit : Monde et concept du monde, une recherche théorétique du problème (1935) »11. Ce travail de recherche et de traduction aboutit en 1994 à l’ organisation du colloque Eugen Fink (avec N. Depraz) ainsi qu’ aux contributions 8 Cf. Richir M., Méditations phénoménologiques, Grenoble, Millon, 1992, pp. 329−380, en particulier les pp. 338–362. 9 Cf. Richir M., Méditations phénoménologiques, op. cit., p. 377. 10 Cf. Richir M., « Monde et phénomènes », in Les Cahiers de Philosophie, 15/16, 1992, pp. 111−137. 11 Cf. Richir M., « E. Fink – Sur le concept phénoménologique de Monde (1930 et 1934) et « Esquisses pour l’ écrit : Monde et concept du monde, une recherche théorétique du problème (1935) », in Les Cahiers de Philosophie, 15/16, 1992/93, pp. 71−88. 142 Temps, espace et monde chez le jeune Fink (1994)12 et Schwingung et phénoména- lisation (1997)13. Notre contribution s’ articulera ainsi en deux parties, consacrées à la question de la méthode et de l’ architectonique dans la confrontation de Richir avec la Si- xième méditation cartésienne et avec Monde et finitude14. 1.  La confrontation avec la Sixième méditation cartésienne Comme l’ indique son sous-titre – L’ idée d’ une doctrine transcendantale de la méthode – la Sixième méditation a la tâche de soumettre à l’ analyse phénoméno- logique les méthodes qui opèrent de manière anonyme dans les cinq premières Méditations cartésiennes et, en général, dans la phénoménologie husserlienne. Il s’ agit avant tout et surtout de la méthode de la réduction phénoménologique : « le premier problème de la doctrine transcendantale de la méthode […] non seu- lement en tant que problème nécessairement introductif, mais en tant que pro- blème fondamental »15. La doctrine transcendantale de la méthode consiste ainsi dans l’ analyse des différentes formes de réduction phénoménologique mises en œuvre par Husserl et de leur progression méthodique. En distinguant les diffé- rents niveaux réductifs à l’ œuvre dans la phénoménologie husserlienne, la doc- trine transcendantale de la méthode met aussi en relief les problèmes constitutifs qu’ ils permettent de poser ainsi que leur progression méthodique. Dans la mesure où cette dernière confère aux problèmes constitutifs une unité systématique, la doctrine transcendantale de la méthode met enfin en lumière « la systématique des questions phénoménologiques »16. Comme l’ explique Fink dans le § 2 de la Sixième méditation, la question de la méthode réductive « contient […] toute la 12 Richir M., « Temps, espace et monde chez le jeune Fink », in Depraz Natalie et Richir M. (dir.), Engen Fink – Actes du colloque de Cerisy-La-Salle – 23-30 juillet 1994, Amsterdam, Rodopi, 1997, pp. 27−42. 13 Richir uploads/Philosophie/ interpret-9-1-0139.pdf

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