COLLECTION ARMAND COLIN (Section de Philoaophie) Les Philosophies de l'Existenc

COLLECTION ARMAND COLIN (Section de Philoaophie) Les Philosophies de l'Existence par Jean WAHL Professeur à la Faculté des Lettres de l'Université de Paris ze Edition LIBRAIRIE ARMAND COLIN 103, Boulevard Saint-Michel, PARIS 1959 Tous droits réservés Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réset·vés pour tous pays. Copyright 1954, by Max Leclerc et c;,, proprietors or Librairie Armand Colin. A V ANT- PROPOS Les philosophies de l'existence ont sans donte une ori- gine très ancienne : Socrate, ne séparant pas sa vie et sa pensée, Platon, ne séparant pas là pensée de Socrate et sa mort, les prophètes répondant à l'appel de Dieu, Job en appelant à Dieu.... Et nous ne rappelons pas tous les philosophes dont la pensée et l'existence furent inti- mement unies : un Lequier, un Nietzsche, un James, et aussi un Amiel, un Maine de Biran, même un Hegel ou un Renouvier. Mais c'est un fait que c'est seulem~nt au XI xe siècle que des philosophies se sont appelées « phi- losophies de l'existence>>, s'affirmant ainsi, voulant ainsi s'affirmer différentes de toutes les autres, sinon dans leur origine, du moins dans leur structure et leur présenta- tion. C'est sur cette structure, c'est sur les catégories de la philosophie de l'existence que notre attention s'est ici fixée. Nous avons voulu montrer leurs articulations fon- damentales, leurs moments essentiels. Puisse la réflexion du lecteur se reporter, à partir de la nomenclature parfois un peu sèche, de ces catégories, sur sa propre existence. Puisse-t-il ne voir dans ces phi- losophies nr quelque chose de totalement nouveau, ni la 6 LES PHILOSOPHIES DE t'EXISTENCE simple reprise d'idées anciennes, mais essentiellement l' ap pe' fait à sa subjectivité et peut-être le passage vers de nou"elles pensées où à la subjecti"ité ai:'guisée répon- dra un sens profond de la communion a()ec les choses, a()ec l'extérieur, a"ec la nature LES PHILOSOPHIES DE L'EXISTENCE PREMIÈRE PARTIE CHAPITRE PREMIER GÉNÉRALITÉS Celui qui parle de la philosophie de l'existence 1 se trouve en présence d'un certain nombre de difficultés. Les premières viennent de la diversité extrême des différentes pensées philosophiques que l'on désigne sous ce nom. La philosophie de l'existence a débuté dans la médi· tation essentiellement religieuse de Kierkegaard. Et aujourd'hui, si l'on parle de philosophie de l'existence, 1. Nous préférerons les mots : philosophie de l'existence, au mot : existentialisme, pour cette raison que plusieûrs des philo- sophes les plus importants dont nous voulons parler, Heidegger et Jaspers en p:-.rticulier, ne voudraient pas être quali Oés d"exis- tentialistes. Heidegger, dans plusieurs de ses cours, a parlé contre une théo- rie qu'il appelle existentialisme, et Jaspers a écrit que l'existen- tialisme est la mort de la philosophie de l'existence. C'est que ces philosophes voient dans !"'existentialisme une doctrine et qu'ils ont peur de doctl'ines ainsi stabilisées. D'autre part, il y a des phflosophes, Sartre, Merleau-Ponty, Simone de Beauvoir, qui acceptent le titre d'existentialistes, et il se trouve que Gahriel Marcel, de temps en temps, accepte aussi d'être appelé existentialiste chrétien, et MM. Lavelle et Le Senne ne refusent pas le terme d'existentialisme. Mais, si nous voulons prendre cette doctrine en général, c'est plutôt philosophie de l'existence qu'il faudrait dire, et encore cela n'est pas complètement satisfaisant, car pas plus que Heidegger ne voudrait être appelé existentialiste, il ne voudrait être appelé philosophe de l'existence. La pbllosophie de l'existence pour lui, c'est essentiellement celle de Jaspers. Quant à lut, il pense que le 8 LES PHILOSOPHIE:. DE L'EXISTENCE on pense bien souvent à Sartre, qui est un philosophe non religieux, et m~me parfois anti-religie,ux. Une brochure de Sartre s'appelle L'existentialisme est un humanisme ; mais il y a, d'autre part, une lettre de Heidegger, la Lettre à Beauffret, où Heidegger prend position contre l'idée d'humanisme. Et, certes, Kier- kegaard n'était pas un humaniste. Voilà donc deux points essentiels où il y a opposi- tion entre les doctrines de certains des philosophes dits de l'existence. De même pour l'idée de l'intériorité et du secret. Si la philosophie de Hegel ne paraît pas satisfaisante à Kierkegaard, c'est en grande partie parce qu'elle ne tient pas compte de l'élément d'intériorité absolue, du fait que nous ne pouvons pas nous expliciter com- plètement. Et nous aurons l'occasion de dire que toute la philosophie existentielle naît de la méditation de Kierkegaard sur les événements privés de sa vie, sur ses fiançailles, sur l'impossibilité où il a été de se com- muniquer à sa fiancée. Mais, si nous lisons Sartre, nous voyons au contraire que, pour lui, un homme, c'est la vie de cet homme en tant qu'elle s'exprime par l'ensemble de ses actes, qu'il n'y a pas de secret. Sur ce point, c'est l'influence de Hegel, l'influence problème philosophique essentiel, et même le problème philo- sophique unique, c'est le problème de l'être, et s'il s'est occupé, dans Sein und Zeit, de l'existence, c'est parce qu'il pense que c'est en passant par notre existence que nous pouvons avoir accès à l'être. Mais c'est l'être qui est l'objet essentiel du philosophe, et Il veut être non pas un philosophe de l'existence, mais un philo- sophe de l'être. Ainsi nous devrions refuser à Heidegger et le nom d'existentialiste et même celui de philosophe de l'existence. four d'autres raisons, Kierkegaard, qui est à l'origine de toutes ces philosophies, refuserait le nom de philosophe de l'existence ; il ne refuserait pas le mot d'existence, mais il refuserait le mot de philosophe. Il n'est pas un philosophe, il est un homme religieux, et Il n'a pas une philosophie qui 1eralt la philosophie de l'exis• \ence, qu'il voudrait opvo~er aliX awtrea philosophiaM, G~N~RALidS 9 de l'adversaire contre lequel s'était dressé Kierke· gaard, qui domine la pensée de Sartre. L' P:tre et le Néant finit par une condamnation de ce que Sartre appelle l'esprit de sérieux. Mais, d'autre part, Kierkegaard nous dit qu'une des catégories exis- tentielles les plus nécessaires, c'est la catégorie de sérieux. Ainsi j) y a non seulement des diversités, mais de très profondes oppositions entre les philosophes dits de l'existence. Pourrons-nous dire, après avoir cons- taté toutes ces divergences, qu'il y a réellement un corps de doctrines auquel nous pourrions donner le nom de philosophie de l'existence ? Parlons plutôt d'une atmosphère, d'un climat que nous pourrons res- sentir. La preuve qu'il y a quelque chose qui est la philosophie de l'existence est que nous pouvons légi· timement appliquer ce terme à quelques philosophies et non pas à d'autres. C'est donc qu'il y a quelque chose qui caractérise vraiment les philosophies de l'exis- tence ; ce quelque chose, nous essayerons de le pour- suivre, sans peut-être que nous puissions jamais l'at- teindre. Une deuxième difficulté se présente à nous, si nous réfléchissons que nous cherchons à trouver l'essence des philosophies de l'existence, qui sont des philoso- phies qui nient l'essence. Mais nous aurons l'occasion de voir que les philosophies de l'existence, en parti- culier celle de Heidegger, si on la classe parmi elles, comme nous en sommes convenu, ne nient pas l'es- sence. Nous aurons à voir comment Heidegger pense que c'est l'essence de l'homme qu'il veut défmir, et comment il dit que l'essence de l'homme, c'est son existence. Et le mot d'essence revient pour ainsi dire à chaque page du dernier livre de Heidegger. Cette d,ernière difficulté n'est donc !lans doute qu'apparent9. 10 LES PHILOSOPHIES DE L'EXISTENCE Nous nous trouvons devant une plus sérieuse dif- ficulté, quand nous observons que le caractère spéci- fique de ces philosophies risque de disparaître quand nous parlons d'elles d'une façon objective. L'exis- tence n'est-elle pas, pour un Kierkegaard, pour un Jas pers, affaire de l'individu solitaire, de la Bubjec- tivité ? Ne risque-t-on pas de transformer l'existence par là même que l'on parle d'elle, de la transformer d'existence authentique en existence inauthentique ? Ne risque-t-on pas de la faire descendre dans ce do- maine du on, du n'importe qui, domaine qu'il faut pré- cisément éviter ? Ne faudrait-il donc pas laisser l'exis- tence à la méditation solitaire, au dialogue de nous- même avec nous-même ? Mais nous ne pourrons voir si nous pouvons échap- per à ce danger que si nous nous efforçons d'étudier cette philosophie, ce mode de pensée. Peut-on donner des définitions des philosophies de l'existence ? Nous verrons que toute définition sera plus ou moins inadéquate. Par exemple, dans une étude parue dans une revue philosophique d'Amérique, on définit la philosophie de l'existence comme la réaction contre l'idéalisme absolu et le positivisme, et comme un effort constant pour prendre l'homme dans sa totalité. On voit facile- ment que cette définition du Pére Culbertson n'est pas satisfaisante : elle peut s'appliquer aussi bien au pragmatisme, aussi bien aux philosophes de la vie qu'aux philosophes de l'existence. L'existentialisme a été défini à Rome par une haute autorité religieuse comme une philosophie du désaBtre, un irrationalisme pessimiste et un volontarisme reli- gieux. Mais ce jugement inclut une condamnation en lui-même, et on ne peut le prendre comme point de départ. GÉNÉRALITÉS 11 Dans sa brochure L'existentialisme est un humanisme, Sartre dit que l'existentialisme est une doctrine qui uploads/Philosophie/ jean-wahl-les-philosophies-de-lexistence.pdf

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