Trans/Form/Ação, São Paulo, 32(1): 37-53, 2009 37 L’HOMME COMME EXPRESSION DE L

Trans/Form/Ação, São Paulo, 32(1): 37-53, 2009 37 L’HOMME COMME EXPRESSION DE L’INCONDITIONNÉ DANS LA NATURE Margit RUFFING1 ■ RESUMÉ : Dans L’anthropologie du point de vue pragmatique Kant répond à la question « Qu’est-ce que l’homme ? » d’une manière descriptive et empirique en caractérisant le phénomène « homme » comme membre d’une communauté hu- maine sous des conditions sociales et culturelles. – Dans la deuxième partie de la Critique de la faculté de juger Kant cherche, au contraire, à démontrer la dimen- sion nouménale de l’être humain par la « conclusion [...] à partir de la téléologie morale [...] à un but final de la création » (AA 05 : 455) dont un fondement de preu- ve « se trouvait déjà dans la faculté rationnelle de l’homme avant sa plus matinale germination, et il continuera à se développer davantage avec la culture de celle- ci » (AA 05 : 458). – La mise en relief du rapport entre la « Méthodologie du juge- ment téléologique » et la fonction didactique de l’Anthropologie pourrait servir d’illustrer l’idée de l’homme comme but final qui « est une fin qui n’a besoin d’aucune autre comme condition de sa possibilité » (AA 05 : 434) – qui est, par cela, l’expression de l’inconditionné dans les limites de la nature sensible. ■ MOTS-CLÉS : but final ; l’inconditionné ; condition humaine ; nature sensible ; culture ; humanité. Remarques introductives Ce n’est pas du tout facile à comprendre le véritable motif qui a amené Kant à disserter sur le jugement de la même manière qu’il l’a fait sur la raison, en constituant une critique – bien que cette troisième Critique kantienne pré- sente plutôt une doctrine du jugement. Il semble que le problème métaphysi- que de l’« inconditionné dans la nature » cause quelques difficultés théori- ques auxquelles les réflexions suivantes se réfèrent de manière introductive. 1 Kant-Forschungsstelle Philosophisches Seminar, Johannes Gutenberg-Universität Mainz. 38 Trans/Form/Ação, São Paulo, 32(1): 37-53, 2009 En premier lieu, il importe de constater qu’il s’agit ici d’une critique – qu’on attend être de nature sceptique et non-dogmatique –, qui conduit ce- pendant à des preuves de Dieu affirmatives au lieu de les remettre en ques- tion ; une critique qui s’achève avec la méthodologie d’une faculté qui ne peut être ni apprise ni enseignée ; une critique d’une faculté qui n’en est peut-être pas une ... Ce sont là bien des conjectures, mais il y a certainement une problématique objective à définir la faculté de juger et à la situer dans le contexte de la philosophie transcendantale du projet critique kantien. Kant lui-même indique au début de l’élaboration de la troisième Criti- que, dans la « Préface à la première édition », que la faculté de juger est un lien entre les deux facultés de connaître, l’entendement et la raison, et se demande si la faculté de juger – comme les autres facultés – requiert égale- ment une critique pour démontrer le principe et les fonctions qui lui sont spécifiques. En même temps, selon Kant, cette troisième critique viendrait compléter la première, dans la mesure où le jugement en fait partie. Mais l’explication du troisième projet critique dans cette Préface me ne semble pas satisfaisante, puisque Kant y ajoute une longue introduction, la « Pre- mière introduction à la critique de la faculté de juger ». De surcroît, la deuxième édition requiert, de nouveau, une introduction ou, en tous les cas, une nouvelle introduction et, en outre, une « Remarque » (§ 76) – en vue de faire comprendre la conception et la fonction de la faculté de juger en tant que système fondateur, en répondant notamment aux questions sui- vantes : « Qu’est-ce qui est spécifique à la faculté de juger ? » et « Pourquoi a-t-on besoin d’une une critique de cette faculté ? ». Il semble que Kant a été confronté à l’obscurité de la conception criti- que du jugement, et c’est pas certain qu’il soit parvenu à l’éclairer – ce qui serait pourtant dans la nature des choses, prise à la lettre. Dans la Préface mentionnée, Kant constate qu’il est très difficile de résoudre un problème que « la nature a tellement embrouillé » en évitant l’obscurité dans la solu- tion – le problème est l’examen de la faculté du jugement du point de vue transcendantal comme possibilité de transcender la connaissance du don- né en sa signification intelligible. Dans le même contexte, Kant parle de la nature du jugement qui consiste dans son application et de l’application juste dont on a nécessairement et universellement besoin-ce que justifie d’ailleurs l’identification de cette faculté avec le sens commun. (L’édition de la Pléiade n’offrant aucune traduction française de cette Préface à citer, je me réfère à l’original allemand).2 2 « Man kann aber aus der Natur der Urteilskraft (deren richtiger Gebrauch so nothwendig und all- gemein erforderlich ist, daß daher unter dem Namen des gesunden Verstandes kein anderes, als eben dieses Vermögen gemeint wird) leicht abnehmen, daß es mit großen Schwierigkeiten be- gleitet sein müsse, ein eigenthümliches Princip derselben auszufinden [...] » (AA 05 : 169). Trans/Form/Ação, São Paulo, 32(1): 37-53, 2009 39 Alors que la faculté de juger produit le principe selon lequel le naturel est mis en rapport avec le suprasensible, elle ne sait pas le faire quant aux sentiments de plaisir et déplaisir. Concernant le principe du jugement, Kant parle d’« énigme », et c’est cette énigme qui rend nécessaire une section spécifique pour cette faculté dans la critique (cf. ibid.). Il est évident que cette faculté a une grande importance : elle est la raison appliquée, en même temps elle est sens commun, elle fait comprendre le rapport entre le naturel et le suprasensible, elle reste mystérieuse. Toutes ces réflexions m’ont conduite à l’interprétation suivante : il était certes dans l’intention de Kant de fonder un système doctrinal conte- nant une métaphysique de la nature ainsi qu’une métaphysique des mœ urs à l’aide de la faculté de juger ; mais ce que l’examen transcendantal du ju- gement démontre en réalité, c’est la difficulté de relier l’idée de l’incondi- tionné à la nature de l’homme. Ou, autrement dit : la nature de l’homme comme être rationnel comprend nécessairement et universellement la réa- lisation de la conscience humaine dont le caractère est téléologique. Cette réalisation de la raison en soi, dans laquelle s’exprime le caractère téléolo- gique de la conscience, ne peut être pensée que comme le pouvoir de dis- tinguer les choses conformes et non conformes à un but, ce que signifie ju- gement appliqué. À mon sens, un tel point de vue conduit directement à l’Anthropologie du point de vue pragmatique. Si Kant lui-même a éprouvé de telles difficul- tés pour résoudre le problème de l’importance de la faculté du jugement pour la philosophie transcendantale, peut-être l’examen de la faculté du ju- gement sous des rapports pragmatiques contribuera-t-il à comprendre l’homme comme être rationnel de nature – libre de connaître et d’exercer la loi morale. En présupposant la définition de l’homme comme « Vernunftwe- sen » naturel, la question anthropologique pourrait se poser ainsi : « Com- ment l’expérience de l’inconditionné se fait-elle ? » Je me propose, par conséquent, de chercher, dans les deux écrits, une liaison inhérente en rapport au jugement. Le fait que l’Anthropologie kan- tienne même soit écrite du point de vue « pragmatique », c’est-à-dire con- ditionnée par une fin, indique que cela est judicieux, et la conception de la « culture » dans le contexte du § 83 de la « Méthodologie du jugement téléo- logique » (De la fin dernière de la nature en tant que système téléologique) me semble appropriée pour démontrer ce que signifie « jugement comme raison appliquée ». La première partie de mon exposé est consacrée à la faculté ou pouvoir de juger, à sa position ambiguë entre l’entendement et la raison et aux dif- férences suscitées du point de vue de la nécessité de la conception de la 40 Trans/Form/Ação, São Paulo, 32(1): 37-53, 2009 finalité compte tenu de son importance systématique. La deuxième partie met en relief le caractère anthropologique de la Critique de la faculté de ju- ger – j’interpréterai ce que « culture » signifie dans ce contexte. Dans une troisième partie, j’essaierai de démontrer, à l’aide de la conception de la culture, de quelle manière l’homme peut être considéré comme expression de l’inconditionné dans la nature, conformément à ce que Kant explique dans l’Anthropologie. I. Le pouvoir de juger Eu égard au jugement, il importe de savoir s’il s’agit d’une faculté de juger au sens propre semblable aux facultés de l’entendement et de la rai- son. Kant considère l’entendement et la raison comme des facultés, c’est-à- dire des capacités, pouvoirs de connaître. Concernant la « faculté de juger », il affirme qu’elle se revendique elle-même faculté de connaître. La question est, dès lors, de savoir si elle est effectivement, ou non, une faculté. Cette question se pose déjà au niveau linguistique. En allemand, les termes pour entendement, « uploads/Philosophie/ kant-finalite.pdf

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