1 Le genre et l’individu chez Bergson et Simondon INTRODUCTION Il semble qu’auj
1 Le genre et l’individu chez Bergson et Simondon INTRODUCTION Il semble qu’aujourd’hui on s’intéresse moins au problème du rapport entre l’universel et le particulier, ou encore entre l’idée générale et l’individu. Cela s’explique par la disparition de l’essentialisme fondé sur la réalité du genre. On peut remonter à l’age moderne où les sciences positives commençaient à naître. A partir de là, les lois exprimées par des formules mathématiques, dit-on, se substituaient au formalisme ancien. Comme les lois portent sur les relations, plutôt que sur les choses, le problème de l’universel semble disparaître, et cela surtout chez un nominaliste moderne comme Hume. Pourtant il n’en est rien. Dans les lois scientifiques, les universaux sont toujours à l’œuvre. On peut même dire qu’une loi est la relation des universaux. De quelle nature sont-ils alors, et quel rapport ont-ils avec les particuliers ? Qu’en est-il aussi pour l’espèce vivante ? L’espèce a-t-elle une réalité concrète ? Comment diffère-t-elle de l’individu ? Bien que l’essentialisme ait perdu sa force, toutes ces questions méritent d’être traîtées par une lumière nouvelle. Elles se dégagent chez Bergson et Simondon avec un intérêt particulier. Nous verrons ces deux philosophes éclairer les problèmes du genre et de l’individu dans toute leur dimension scientifique, épistémologique et métaphysique. INDIVIDUALITÉ, RESSEMBLANCE ET IDENTITÉ CHEZ BERGSON Le genre et l’individu dans le domaine de la vie Commençons par le problème de l’individualité. L’individualité vitale est un des thèmes de L’évolution créatrice. Suivons son argument développé dans le premier chapitre. Tout d’abord, le corps brut ne peut avoir l’individualité et ne peut donc s’appeller individu, tandis que le corps vivant présente l’individualité et peut donc s’appeller individu, et cela en ce sens que le vivant à la différence du corps matériel « a été isolé et clos par la nature elle-même », et qu’ « il se compose de parties hétérogènes qui se complètent les unes les autres », en accomplissant « des fonctions diverses qui s’impliquent les unes les autres » (EC, p. 12)1. On pourrait placer cette thèse dans la lignée de Ravaisson et des vitalistes français comme Barthez, Bichat, pour lesquels le primat de la vie est clairement affirmé. Pourtant Bergson formule la réserve suivante : « L’individualité comporte une infinité de degrés et [...] nulle part, pas même chez l’homme, elle n’est réalisée pleinement »(Ibid). Il y a deux raisons à cela : « Les propriétés vitales ne sont jamais entièrement réalisées, mais toujours en voie de réalisation » et la tendance à s’individuer « est partout combattue par la tendance à se reproduire »(EC, p. 13). Bergson ajoute : « Le besoin même qu’elle[l’individualité] éprouve de se perpétuer dans le temps la condamne à n’être jamais complète dans l’espace »(Ibid). Les deux raisons qui font que le vivant ne peut avoir l’individualité complète se rapportent directement à sa philosophie du processus, pourrait-on dire dans ce contexte. La vie tout entière est un immense courant et l’individu par rapport à ceci ne peut subsister qu’un temps limité. Voici ce qu’il écrit au début de L’évolution créatrice : « La vie apparaît comme un courant qui va d’un germe à un germe par l’intermédiare d’un organisme développé » (EC, p. 27) ; « L’être vivant est surtout un lieu de passage, et que l’essentiel de la vie tient dans le mouvement qui la transmet »(EC, p. 129). En tant qu’intermédiaire ou lieu 1 Désormais, nous désignons dans notre texte les œuvres de Bergson d'après les initiales suivantes : Matière et mémoire : MM ; L’évolution créatrice : EC ; La Pensée et le mouvant : PM (La pagination après les initiales des livres est la dernière édition parue du vivant de Bergson, disponible dans la collection « Quadrige » aux Presses universitaires de France) ; De même, l’initial du livre de Simondon L’individu et sa genèse physico-biologique (Millon, 1995) est : IG 2 de passage, l’individu est un être concret qui trqnsmet le mouvement de la vie à travers la reproduction. Si l’essentiel de la vie est dans le courant, l’individu fini ne peut réaliser tous les caractères de la vie. Que le monde de la vie comporte les degrés divers de l’individualité, cela revient à dire que l’individualité du vivant n’est pas complète. Cependant, la raison de cette diversité porte plus directement sur le dualisme de Bergson. Le troisième chapitre le montre clairement. L’organisme vivant est un « modus vivendi » entre le courant de la matière et le courant de la vie (EC, p. 250). Le contact avec la matière cause la division réelle des tendances. En effet, «si, dans son contact avec la matière, la vie est comparable dans à une impulsion ou à un élan, envisagée en elle-même elle est une immensité de virtualité, un empiètement mutuel de mille et mille tendances » ; mais « la matière divise effectivement ce qui n’était que virtuellement multiple, et, en ce sens, l’individuation est en partie l’œuvre de la matière, en partie l’effet de ce que la vie porte en elle » (EC, p. 259). La division réelle de la multiplicité virtuelle engendre la dissociation des individus en même temps que leur association. La formation des individus fait partie de la division successive depuis l’explosion originelle. Ce processus accélère l’individuation, alors que l’unité originelle de la vie conduit l’association entre les individus, telle que se présente dans la colonie, le polymorphisme, et en général, les sociétés que forment les diverses formes vivantes. Ainsi, « la tendance à s’individuer est combattue et en même temps parachevée par une tendance antagoniste et complémentaire à s’associer, comme si l’unité multiple de la vie, tirée dans le sens de la multiplicité, faisait d’autant plus d’effort pour se rétracter sur elle-même » (Ibid). L’individualité dans le monde des vivants surgit, semble-t-il, selon que dans cette unité multiple, l’unité et la multiplicité entrent en lutte l’une avec l’autre. Il est donc nécessaire que se manifestent les divers degrés de l’individualité. Qu’on ne doit pas exiger dans le monde de la vie la définition précise de l’individualité, correspondant à l’unité mathématique, cela tient non seulement à ce que la vie ne peut réaliser toutes ses tendances en un temps limité, mais aussi à ce que « unité et multiplicité sont des catégories de la matière inerte, et [...] l’élan vital n’est ni unité ni multiplicités pures » (EC, p. 261). Passons au problème du genre. Les thèmes sur lesquels nous nous étions appesantis pour éclaircir l’individualité, tels que le processus, le mouvement, l’actualisation du virtuel par la matière, montrent bien les caractères essentiels de la vie chez Bergson. Ils révèlent également la réalité du genre. D’après Bergson, « l’idée de genre correspond surtout à une réalité objective dans le domaine de la vie, où elle traduit un fait incontestable, l’hérédité » (EC, p. 228). Or, Bergson interprète l’hérédité comme le courant de vie qui se transmet par l’intermédiaire de l’individu. Cette idée s’inspire de l’hypothèse du plasma germinatif de Weismann, qui est cependant l’origine du néodarwinisme. Quoiqu’il en soit, la réalité du genre a son origine dans le courant de vie qui se transmet de génération en génération. Elle se manifeste en particulier dans l’existence des espèces. Pourtant il importe de remarquer que non seulement l’individuation, mais aussi l’apparition des espèces nouvelles est le résultat de la division par l’élan vital dans la mesure où cet élan est force de la différenciation. En effet, la formation des espèces nouvelles montre que la transmission des mêmes formes ne suffit pas. Ainsi, « l’hérédité ne transmet pas seulement les caractères ; elle transmet aussi l’élan en vertu duquel les caractères se modifient, et cet élan est la vitalité même » (EC, p. 232). Or, si l’élan vital est « la cause profonde des variations [...] qui créent des espèces nouvelles », « ce qui est vrai de la production d’une nouvelle espèce l’est aussi de celle d’un nouvel individu, et plus généralement de n’inporte quel moment de n’inporte quelle forme vivante. Car, s’il faut que la variation ait atteint une certaine importance et une certaine généralité pour qu’elle donne naissance à une espèce nouvelle, elle se produit à tout moment, continue, insensible dans chaque être vivant » (EC, p. 28, 88). Par conséquent, l’émergence des indivus et des espèces tient à la même cause, la même pulsion. Leur processus de division par l’élan vital est comparable à l’image de l’ontogenèse dans le modèle de l’embryologie, lorsqu’on pense à la métaphore de l’ « obus qui a tout de suite écaté en fragments, lesquels, étant eux-mêmes des espèces d’obus, ont éclaté à leur tour en fragments destinés à éclater encore, et ainsi de suite pendant fort longtemps »(EC, p. 99). La réalité du genre ainsi affirmée est aussi à l’origine des idées générales chez 3 Bergson. Matière et mémoire éclaircit leur formation sur la base de l’adaptation des vivants. Les idées générales ont leur origine dans le système des habitudes par lequel le vivant partant des perceptions ambigues de la ressemblance répond à l’excitation analogue par la réaction uploads/Philosophie/ berg-simondon.pdf
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- Publié le Fev 16, 2021
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