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L’Art d’avoir toujours raison/Texte entier {{ :L’Art d’avoir toujours raison/Avant-propos : logique et dialectique}} L’Art d’avoir toujours raison Arthur Schopenhauer La dialectique éristique La dialectique éristique[1] est l’art de la controverse, celle que l’on utilise pour avoir raison, c’est-à-dire per fas et nefas[2]. On peut en toute objectivité avoir raison, et pour- tant aux yeux des spectateurs, et parfois pour soi-même, avoir tort. En effet, si un adversaire réfute une preuve, et par là donne l’impression de réfuter une assertion, il peut pourtant exister d’autres preuves. Les rôles ont donc été inversés : l’adversaire a raison alors qu’il a objecti- vement tort. Ainsi, la véracité objective d’une phrase et sa validité pour le débatteur et l’auditeur sont deux choses différentes (c’est sur ce dernier que repose la dialectique). D’où vient ce comportement ? De la base même de la na- ture humaine. Sans celle-ci, l’homme serait foncièrement honorable et ne débattrait sans autre but que la recherche de la vérité, et nous serions indifférents, ou du moins n’ac- corderions qu’une importance secondaire quant au fait que cette vérité desserve les opinions par lesquelles nous avions commencé à discourir ou serve l’opinion de l’ad- versaire. Cependant, c’est ce dernier point qui nous est primordial. La vanité innée, particulièrement sensible à la puissance de l’intellect, ne souffre pas que notre position soit fausse et celle de l’adversaire correcte. Pour s’extraire de ce comportement, il suffit de formuler un jugement correct : cela revient à dire qu’il faut réfléchir avant de parler. Mais la vanité innée est souvent accompagnée par la loquacité et une mauvaise foi innée. Ils parlent avant de réfléchir, et même lorsqu’ils se rendent compte plus tard que leur position est fausse, ils essaieront de faire en sorte de paraître que ce n’est pas le cas. L’intérêt dans la vérité qu’on aurait pu croire leur seul motif lorsqu’ils déclarèrent leur proposition vraie, doit céder le pas à l’in- térêt de la vanité : la vérité est fausse et ce qui est faux paraît vrai. Il est pourtant quelque chose qui peut être dit sur cette mauvaise foi, sur ce fait de persister à soutenir une thèse qui paraît fausse, même pour nous-mêmes : nous sommes souvent initialement convaincus de la validité de notre propos, mais les arguments de notre adversaire semblent les réfuter. Si nous abandonnons immédiatement notre position, nous pourrions nous rendre compte par la suite que finalement nous avions raison et que c’était la preuve adversaire qui était fausse. L’argument qui nous aurait sauvé ne nous est pas venu sur le moment. C’est donc de là que découle cette maxime que d’attaquer un contre ar- gument quand bien même celui-ci nous paraît criant de vérité, en espérant que celle-ci n’est que superficielle et qu’au cours du débat un autre argument nous viendra qui pourra endommager la thèse adverse ou confirmer la va- lidité de la notre : nous sommes ainsi comme presque for- cés à être de mauvaise foi, ou du moins fortement enclins à l’être. La faiblesse de l’intellect et la perversion de la volonté se soutiennent mutuellement. De là, ces joutes n’ont pas pour objectif la vérité mais une thèse, comme s’il s’agissait d’une bataille pro aris et focis poursuivie per fas et nefas. Comme expliqué plus haut, il ne peut en être autrement. Ainsi, de manière générale, chacun persistera à défendre ses propres positions, même si sur le moment il la considère lui-même comme fausse ou douteuse.[3]Tout le monde est armé jusqu'à un certain point contre ce genre de procédé par sa propre astuce et son manque de scru- pules : chacun apprend dans la vie de tous les jours cette dialectique naturelle de même que chacun possède sa lo- gique naturelle. Cependant, celle-ci n’est pas fiable sur le long terme. Il n’est pas aisé pour quelqu’un de réfléchir à l’encontre des lois de la logique : si les faux jugements sont fréquents, les fausses conclusions sont rares. Ainsi, les hommes sont rarement exempts de logique naturelle, mais ils peuvent cependant être exempt de dialectique na- turelle : c’est un don distribué en mesures pour le moins inégales (elle est l’équivalent du jugement, qui est inéga- lement répartie parmi les hommes tandis que la raison reste la même). Il arrive souvent que quelqu’un soit dans le vrai mais que son argumentation ait été confondue par des arguments superficiels. S’il émerge vainqueur de la controverse, il devra souvent sa victoire non seulement à la justesse de son jugement, mais surtout à l’intelligence et l’adresse dont il a fait preuve pour la défendre. Ici, comme dans tous les cas, les dons sont innés[4], ce- pendant la pratique et la réflexion quant aux tactiques par lesquelles quelqu’un peut vaincre un adversaire, ou quant à celles que l’adversaire utilise, comptent pour beaucoup dans la maîtrise de cet art. Ainsi, même si la logique n’a pas grande utilité pratique, la dialectique peut l’être. Aris- tote lui-même me semble avoir établi sa logique propre (analytique) en tant que fondation pour la préparation de sa dialectique et en a fait son cheval de bataille. La lo- gique s’occupe simplement de la forme des propositions tandis que la dialectique porte sur le fond du sujet, la sub- stance. Ainsi, il convient de considérer la forme générale 1 2 de toutes les propositions avant de continuer avec les cas particuliers. Aristote ne définit pas l’objet de la dialectique d’une fa- çon aussi précise que moi : s’il lui donne bien pour prin- cipal objet la controverse, c’est en tant qu’outil pour re- chercher la vérité (Topica, I, 2). Plus loin dans son œuvre, il dit également que d’un point de vue philosophique les propositions sont traitées en accord avec la vérité, et d’un point de vue dialectique, en fonction de leur plausibili- té, c’est-à-dire de la mesure par lesquelles elles gagneront l’approbation des autres opinions (δοξα – Topica, I, 12). Il est conscient qu’il faut savoir distinguer la vérité objec- tive d’une proposition et la séparer de la façon dont elle est présentée et de l’approbation qu’elle suscite. Cepen- dant, il ne fait pas une distinction suffisamment précise entre ces deux aspects et n’utilise la dialectique que pour le second cas[5]. Les règles par lesquelles il définit la dia- lectique sont parfois mélangées avec celles définissant la logique. Il m’apparaît donc qu’il n’a pas réussi à trouver une solution claire à ce problème[6]. Dans son Topica, Aristote a, avec son esprit scientifique, entrepris de détailler la dialectique de façon méthodique et systématique, ce qui est tout à fait admirable, mais son but, évidemment ici pratique, n’a pas été atteint. Dans ses Analytiques, après avoir examiné les concepts, jugements et conclusions dans leur pure forme, il se tourne vers le contenu, lequel se rattache aux concepts : c’est en eux que se tient le contenu[7].(...) Afin de bien mettre en œuvre la dialectique, il ne faut pas s’attarder sur la vérité objective (qui est l’affaire de la logique) mais simplement la regarder comme étant l’art d’avoir raison, ce qui est, comme nous l’avons vu, d’autant plus aisé que lorsque l’on est d’emblée dans le vrai. Cependant la dialectique en soi ne fait qu’ap- prendre comment se défendre de tout type d’attaque, et de même, comment il peut attaquer une thèse adverse sans se contredire. La découverte de la vérité objective doit être séparée de l’art de faire des phrases gagnant l’appro- bation. : la première est une πραγματεια complètement différente qui est l’affaire du jugement, de la réflexion et de l’expérience pour laquelle il n’est pas d’art particulier tandis que la seconde est le but de la dialectique. Certains l’ont définie comme étant la logique des apparences, mais cette définition est fausse, sans quoi elle servirait qu’à ré- futer des propositions fausses. Or, même quand quelqu’un a raison, il a besoin de la dialectique pour défendre et maintenir sa position. Il lui faut connaître les stratagèmes malhonnêtes afin de savoir comment leur faire face, voire même en faire usage lui-même afin de frapper son adver- saire avec ses propres armes. Ainsi, dans la dialectique doit on écarter la vérité objective, ou plutôt, ne la regar- der que comme circonstance accidentelle, et ne chercher qu’à défendre sa position et réfuter celle de son adver- saire. En suivant les règles à ces fins, aucun intérêt ne doit être accordé à la vérité car généralement on ne sait pas où est la vérité[8]. Il n’est pas rare que l’on ne sache pas si l’on est dans le vrai ou le faux : tantôt on se croit à tort dans le vrai, tantôt les deux partis se croient dans le vrai. : veritas est in puteo (selon Démocrite : εν βνϑω η αλη- ϑεια). Au début d’un débat, en règle générale, chacun est persuadé d’avoir raison et tandis que celui-ci se poursuit, les deux partis doutent de leurs propres thèses et la vérité n’est déterminée ou confirmée qu’à la fin. Ainsi, la dia- lectique n’a rien à voir avec la vérité tant que le maître d’escrime considère qui est uploads/Philosophie/ l-x27-art-d-x27-avoir-toujours-raison-texte-entier.pdf
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- Publié le Fev 13, 2021
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