Revue Philosophique de Louvain Alain de Libera, Thomas d'Aquin contre Averroès.
Revue Philosophique de Louvain Alain de Libera, Thomas d'Aquin contre Averroès. L'unité de l'intellect contre les averroïstes suivi des Textes contre Averroès antérieurs à 1270. Texte latin, traduction, introduction, bibliographie, chronologie, notes et index Hervé Pasqua Citer ce document / Cite this document : Pasqua Hervé. Alain de Libera, Thomas d'Aquin contre Averroès. L'unité de l'intellect contre les averroïstes suivi des Textes contre Averroès antérieurs à 1270. Texte latin, traduction, introduction, bibliographie, chronologie, notes et index. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, tome 94, n°2, 1996. pp. 354-359; https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1996_num_94_2_6995_t1_0354_0000_2 Fichier pdf généré le 26/04/2018 354 Comptes rendus la crise aboutit définitivement au tournant cognitiviste et linguistique. La théorie occamiste, en effet, définit l'universel comme un concept qui n'a qu'une existence subjective. Intention singulière de l'âme et signe de plusieurs choses, Occam parvient à faire de l'universel un singulier. Cette opération, seul Duns Scot l'avait approchée en posant qu'une seule perception sensible suffisait pour que l'intellect puisse formuler les concepts universels correspondants. Occam lui donne un sens différent: le concept comme signe est également défini comme similitudo. En tant que tel, il peut représenter «tous les individus qui sont maximalement semblables». L'ontologie occamiste n'admettant que des êtres individuels, l'universel ne pouvait être que singulier. Ontologie parce que, comme fait observer finement A. de Libéra, la subjectivité dont parle Occam n'est pas la subjectivité de la psychologie moderne, mais celle du sujet aristotélicien, subjectivité de la sub-stance singulière porteuse d'accidents. Dès lors, c'est un problème d'ontologie qui se posera à la postérité occamiste. Ce problème, formulé diversement, est celui incontournable de l'un et du multiple. Parce que, comme l'a montré Platon dans le Parménide, une multiplicité pure est inconcevable sans une unité qui la rassemble, affirmer qu'il n'y a que des êtres individuels ne peut se soutenir que si l'on trouve quelque chose de commun à ces êtres différents et divers. La solution la plus subtile à ce problème consiste à dire, dans le lignage de Duns Scot, que ce qui rend tous ces êtres semblables, c'est leur différence. Encore faut-il, pour cela, expliquer ce qui est à l'origine de ce différer universel. Heidegger a répondu, nous le savons, en disant qu'il y a trouvé l'Oubli. Aussi est-ce dans le prolongement de ce dernier que l'auteur écrit au terme de cette histoire de la Querelle des universaux de Platon à la fin du Moyen Age: «Prise à son crépuscule médiéval, la querelle des universaux nous apparaît pour ce qu'elle aura été — un chapitre assez long d'une histoire interminable, celle de l' antiplatonisme, mais une histoire portée par une histoire plus longue et plus souterraine encore, celle, largement à écrire, de l'identité et de la différence». Hervé Pasqua. Alain de Libéra, Thomas d'Aquin contre Averroès. L'unité de l'intellect contre les averroïstes suivi des Textes contre Averroès antérieurs à 1270. Texte latin, traduction, introduction, bibliographie, chronologie, notes et index (GF-Flammarion, 713). Un vol. 11 x 18 de 398 pp. Paris, Flammarion, 1994. Précédée d'une introduction remarquable, le livre de A. de Libéra offre une traduction de l'œuvre de saint Thomas dont le lecteur appréciera hautement les qualités de rigueur, de précision technique et le style. Histoire de la philosophie 355 L'auteur a eu également le bon goût de présenter les textes que le Docteur angélique a écrits contre Averroès avant 1270. Une chronologie, une bibliographie et un index complètent l'ouvrage dont la publication constitue un événement. L'Aquinate rédige le De unitate intellectus contra averroistas quatre ans avant sa mort, qui survient à Fossanova le 7 mars 1274. Il s'agit donc d'une œuvre de la maturité. Cependant, écrit A. de Libéra, «le De unitate n'est pas son chant du cygne — plusieurs textes, disputes ou commentaires viendront encore après lui — , c'est une œuvre de combat, qui engage une bataille dont le Moyen Age lui-même ne verra pas la fin: la lutte contre l'averroïsme». Dans son introduction, l'A. reconstitue avec une dense précision le contexte historique de cette lutte et met en relief les enjeux doctrinaux qu'elle soulève. Depuis trois ans, saint Bonaventure tonne contre les philosophes de la faculté des arts. L'ancien maître de Thomas, Albert le Grand, entre également en lice. Il sera bientôt rejoint par l'évêque de Paris, Etienne Tempier. Cette agitation s'explique: une erreur a envahi l'université parisienne. Averroès en est l'auteur, Siger de Brabant son propagateur. De quelle erreur s'agit-il? De celle consistant à affirmer «l'unité de l'intellect» pour tous les hommes. La conséquence, fascinante et paradoxale, est que «l'homme ne pense pas». Pis encore, il en découle qu'il n'y a plus de vérité de foi, plus de salut des âmes, plus d'observance possible des commandements: «... poser qu'il y a un seul intellect en tous les hommes revient à dire qu'il n'y a ni vérité de foi, ni salut des âmes, ni observance des commandements et que le pire homme sera sauvé et le meilleur damné» (Saint Bonaventure, Les Dix Commandements, Paris, Desclée/Cerf, 1992, p. 72). C'est contre cette thèse redoutable que saint Thomas part en guerre. «Tentant de déconstruire l'averroïsme, écrit A. de Libéra, en reconstruisant Aristote (...) il livre l'une des œuvres majeures de la philosophie occidentale, un modèle d'exégèse et d'argumentation». Le De unitate intellectus est consacré aux deux des treize erreurs condamnées par Etienne Tempier le 10 décembre 1270, à savoir: 1) II n'y a qu'un seul intellect numériquement identique pour tous les hommes; 2) La proposition: «l'homme pense» est fausse ou impropre. L'œuvre de l'Aquinate est polémique et engagée. Dès le prologue (§ 1) le ton est donné: «Cela fait quelque temps qu'une erreur sur l'intellect a commencé de se répandre. Elle tire son origine des thèses d'Averroès, qui tente de soutenir que l'intellect, qu'Aristote appelle «possible» et qu'il désigne, lui, improprement, du nom de «matériel», est une substance séparée du corps selon l'être, qui n'est d'aucune façon unie au corps comme forme. Il soutient en outre que l'intellect possible est unique pour tous les hommes. Nous avons déjà écrit plusieurs fois contre cette 356 Comptes rendus erreur, mais puisque l'impudence de ses partisans continue de résister à la vérité, l'intention qui nous anime aujourd'hui est de produire contre elle de nouveaux arguments pour la réfuter aux yeux de tous». Le texte ne laisse aucun doute sur les adversaires visés par saint Thomas. Il s'agit des enseignants de philosophie «latins» qui ont choisi Averroès contre la patristique latine et la tradition du péripatétisme et, ce qui est le plus consternant, ce sont des chrétiens affectant de pouvoir s'excepter des articles de foi définis par leur propre religion. Les noms concernés sont ceux de Siger de Brabant, figure centrale de l'averroïsme latin, et de Boèce de Dacie, maître es arts de la seconde moitié du xine siècle. L'A. passe en revue ces deux cas (pp. 35-45; pp. 51-60). Comment se présente l'averroïsme aux yeux du Docteur Angélique? Essentiellement comme ce qu'il est, à savoir, une théorie de l'âme que l'on peut caractériser par six thèses qu'A, de Libéra énonce de la manière suivante: 1) l'individu humain est constitué par l'âme sensitive individuelle, étendue et unie au corps selon l'être; 2) l'intellect «matériel» ou possible est une substance séparée et éternelle, séparée du corps, unique pour tous les hommes et qui n'est pas forme substantielle du corps; 3) l'intellect agent est une substance séparée qui a pour fonction d'abstraire les universaux des individus; 4) la connaissance individuelle s'effectue chez l'homme par l'intermédiaire d'images individuelles; 5) cette connaissance est appelée «intellect spéculatif», lequel est individué et destructible du fait de son union avec les images; 6) une fois la connaissance humaine accomplie, l'intellect possible s'unit à l'intellect agent et forme avec lui Y «intellect acquis», intellectus adeptus, et c'est dans cet état que consiste la félicité suprême de l'homme (pp. 45- 46). Ainsi défini, le monopsychisme d'Averroès fait l'objet d'une critique en règle par l'auteur du De unitate intellectus contra Averroistas. L'œuvre comprend cinq chapitres: les deux premiers sont philologiques, les trois suivants argumentatifs (pp. 47-51). Dans le premier chapitre, il s'agit de montrer, textes à l'appui, qu'Averroès et ses partisans font une mauvaise lecture du Stagirite. Ils ne comprennent rien au De animal Une lecture attentive du texte d'Aristote suffit à faire éclater les lacunes, les contresens et les raccourcis de son Commentateur. Chaque thèse averroïste, écrit l'A., est ainsi «réfutée par une phrase du De anima, chaque interprétation hâtive, partielle, tronquée est redressée par un contexte négligé, un terme oublié, un passage occulté» (p. 47). Le chapitre se clôt par la formulation de l'authentique thèse aristotélicienne sur l'intellect: «L'âme humaine est l'acte d'un corps et l'intellect possible est une de ses parties ou puissances» (§ 48). Le chapitre deuxième poursuit la réfutation philologique d'Averroès par l'exégèse péripatéticienne du De anima. Saint Thomas montre Histoire de la philosophie 357 que la lecture averroïste est contraire aussi bien à celle des péripatéticiens grecs (Thémistius, Théophraste, Alexandre d'Aphrodise) qu'à celle des Arabes (Avicenne, Al-Ghazâlî). Tous font une interprétation opposée à celle d'Averroès «dépravateur» et «corrupteur» du péripatétisme. A. de Libéra fait observer que, jusqu'à présent, uploads/Philosophie/ phlou-0035-3841-1996-num-94-2-6995-t1-0354-0000-2.pdf
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- Publié le Dec 02, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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