Itinéraires Littérature, textes, cultures 2018-2 et 3 | 2019 Les imaginaires de

Itinéraires Littérature, textes, cultures 2018-2 et 3 | 2019 Les imaginaires de la traduction La théorie des imaginaires de la traduction Introduction Christina Bezari, Riccardo Raimondo et Thomas Vuong Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/itineraires/5062 DOI : 10.4000/itineraires.5062 ISSN : 2427-920X Éditeur Pléiade Ce document vous est offert par Zentralbibliothek Zürich Référence électronique Christina Bezari, Riccardo Raimondo et Thomas Vuong, « La théorie des imaginaires de la traduction », Itinéraires [En ligne], 2018-2 et 3 | 2019, mis en ligne le 20 février 2019, consulté le 03 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/itineraires/5062 ; DOI : 10.4000/itineraires.5062 Ce document a été généré automatiquement le 3 mai 2019. Itinéraires est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. La théorie des imaginaires de la traduction Introduction Christina Bezari, Riccardo Raimondo et Thomas Vuong […] wie soll Erklärung auch nur möglich sein, wenn wir alles erst zum Bilde machen, zu unserem Bilde! Friedrich Nietzsche, Die fröhliche Wissenschaft, Aphorismus no 112. « […] comment existerait-il même la possibilité d’expliquer quand nous faisons d’abord de toute chose une image, notre image ! » Friedrich Nietzsche, Le gai savoir, trad. fr. par Alexandre Vialatte, no 112. Préambules 1 À l’heure où le spectre de la traduction automatique promet à l’humanité des logiciels de plus en plus performants, il est important de rappeler que la traduction littéraire, la plus exigeante à de nombreux égards, reste un élément qui échappe aux algorithmes de l’intelligence artificielle. Non plus que l’écriture littéraire, la traduction n’est pas uniquement activité logique, où chaque mot d’une langue trouverait de manière automatique un équivalent dans une autre ; de nombreux autres paramètres interviennent, certains à rebours de la prétention, ou simplement la tension, à la rationalité. Comment décrire donc la complexe constellation de facteurs impliqués dans les procédés traductifs ? Comment rendre compte des profondeurs qui se dévoilent dans les processus interlinguistiques ? La notion d’imaginaire aide à modéliser de nombreux éléments qui interviennent dans tout transfert culturel et notamment traductif. 2 Yves Bonnefoy conçoit l’imaginaire comme entité diffuse et disparate composée de « ces imaginations qui font la littérature » (2013 : 103)1. C’est là une première voix pour dire que l’être humain n’écrit et ne traduit pas qu’en fonction d’une approche linguistique qui La théorie des imaginaires de la traduction Itinéraires, 2018-2 et 3 | 2019 1 serait rationnelle et systématique ; sans doute un pan entier de la traduction a lieu en dehors de cette dimension logicielle. Comme le rappelle Novalis, la traduction littéraire est essentiellement une activité poétique qui requiert « la pratique de cet art d’imagination, de ce génie inventif » (Novalis [1798] 1975 : 374). La notion d’imaginaire évoque ainsi les dimensions de l’irrationnel et de l’imagination, autant que des référents culturels explicites comme implicites. Nous empruntons ce terme non seulement à la philosophie, à la psychologie et à l’anthropologie (Védrine 1990, Thomas 1998, Mary 2010, Mannoni 2016), mais aussi à la critique littéraire (Mitterand 2000), pour l’appliquer aux études traductologiques. 3 La notion d’imaginaire, qui nous a occupé·e·s pendant deux journées d’études en 20162, représente également un concept utile au développement des rapports entre traductologie et littérature comparée en ce qu’elle nous permet d’explorer la tension vers l’altérité qui les fonde. Elle peut agir comme révélateur heuristique de la complexité et des risques propres à ces disciplines hybrides, rendus nets par les travaux de Gayatri Spivak (2003) et Barbara Cassin (2016a). En effet, comme l’a avancé Gillian Lane-Mercier (2009), la littérature comparée et la traductologie trouveraient leur spécificité commune à la fois dans la visée centrifuge, nomade ou encore « cartographique » qui les anime, dans la logique de l’intersection, du réalignement, de la traversée. C’est par le biais d’un tel processus que ces deux disciplines deviennent des champs de tension mais aussi de synthèse. 4 Le recours à la notion d’imaginaire rend enfin nécessaire de considérer la traduction, non seulement du point de vue de la littérature, mais aussi de l’histoire des savoirs et des pratiques sociales (Rastier 2011, Guillaume 2014) qui la conditionnent. C’est ce à quoi nous nous proposons de participer ici, en développant des approches de la traduction au prisme de la philosophie, de la poétique, de la psychologie, c’est-à-dire de la repenser comme un art et non comme l’un des domaines de la linguistique appliquée. 5 En consacrant un numéro de la revue Itinéraires à la théorie des imaginaires de la traduction, nous souhaitons placer les études traductologiques en perspective avec d’autres domaines des sciences humaines et sociales, en nourrissant une démarche comparatiste et cartographique. Pour ce faire, il faut préalablement se pencher sur la notion d’imaginaire en traduction, tant elle recouvre un domaine délicat à définir, mais d’autant plus nécessaire à une époque où l’hybridation des savoirs devient de plus en plus une urgence scientifique. Esquisses définitoires sur l’imaginaire en traduction 6 De nombreux paramètres permettent de décrire l’ensemble des caractéristiques d’une traduction, y compris en sondant au-delà et en deçà du texte traduit ; il est tentant de chercher un nœud liant la constellation de termes couramment utilisés en traductologie comme visée du traducteur, projet de traduction, récit de traduction, orientation du texte traduit, geste traductif, etc. Qu’il s’agisse d’un projet de traduction explicite ou implicite, du paratexte du texte source ou du texte cible, des affinités littéraires apparentant le traducteur et son modèle, etc., on peut facilement s’apercevoir que la dimension textuelle dialogue avec une dimension autre qu’on appellera ici imaginaire. 7 Gilbert Durand, dans une perspective anthropologique, définissait l’imaginaire comme le lieu des échanges « entre les pulsions subjectives et assimilatrices et les intimations La théorie des imaginaires de la traduction Itinéraires, 2018-2 et 3 | 2019 2 objectives émanant du milieu cosmique et social » (Durand 1969 : 38). L’imaginaire serait donc « ce trajet dans lequel la représentation de l’objet se laisse assimiler et modeler par les impératifs pulsionnels du sujet, et dans lequel réciproquement […] les représentations subjectives s’expliquent par les accommodations antérieures du sujet au lien objectif » ( ibid.). D’un point de vue traductologique, on peut ainsi définir l’imaginaire comme la dimension dans laquelle les conceptions de la traduction, les interprétations du texte- source et les processus interlinguistiques (objets) sont assimilés, modelés et modélisés par les traducteurs (sujet). 8 On peut aussi s’inspirer, dans ce contexte, des travaux récents de Graham Harman (2018) qui montrent que des représentations idéologiques et fictionnelles constituent des faits, des conditions concrètes de tout acte humain. L’imaginaire peut donc être envisagé comme l’ensemble des représentations qui façonnent la perception humaine du monde. Ces représentations peuvent être conscientes ou non ; subies ou choisies ; prises à travers une optique singulière ou des projections collectives ; clichés, archétypes, influences intertextuelles, métaphores, images fixes ou mouvantes, etc. Quelle que soit leur nature, elles constituent le prisme grâce auquel l’esprit humain appréhende un objet, au point que ces représentations mêmes s’animent d’une vitalité propre. 9 En traductologie, une étude de l’imaginaire consiste donc à sonder les modalités par lesquelles ce prisme module et dynamise la traduction, envisagée à la fois comme notion en soi (ex. les conceptions de la traduction) et comme processus (l’acte du traduire et les pratiques traductives). On pourrait ainsi résumer les approches des imaginaires de la traduction à travers deux principaux volets : les imaginaires du traduire et les imaginaires des traducteurs et traductrices. Imaginaires du traduire 10 Dans un premier temps, il est intéressant d’observer les manières par lesquelles, comme l’a avancé le premier Antonio Lavieri, l’imaginaire intervient dans la « réélaboration socio-symbolique des pratiques traductionnelles » (Lavieri 2010 : 120). On parlera donc d’un « imaginaire du traduire », qui peut s’incarner ainsi dans des métaphores, des stéréotypes, des « mythes du traduire » ou des récits de traduction (Delabastita et Grutman 2005 ; Hagedorn 2006 ; Lavieri 2007, 2010). Si Hagedorn analysait principalement les caractéristiques des pseudotraductions narratives (de Cervantès à Calvino en passant par Montesquieu, Walpole, Potocki, Wieland ou Schmidt), Antonio Lavieri, quant à lui, a mis l’accent sur le « pouvoir heuristique » de la fiction et sur la possibilité (offerte par l’épistémologie des sciences) d’étendre « le modèle fictionnel de la science moderne à tout système symbolique » (Lavieri 2007 : 16). 11 Un imaginaire du traduire sera composé ainsi de l’ensemble des représentations du processus traductif et du système symbolique qui en dérive (à une époque spécifique et dans une culture donnée), tout en incluant les connotations appliquées à l’acte de traduction dans les textes théoriques ou dans les paratextes. Imaginaire des traducteurs et traductrices 12 Dans un second temps, il est crucial d’observer les procédés par lesquels l’imaginaire subjectif de qui traduit, en relation avec l’imaginaire collectif, joue un rôle concret dans la La théorie des imaginaires de la traduction Itinéraires, 2018-2 et 3 | 2019 3 pratique traductive, dans des choix linguistiques et poétiques (Raimondo 2016a, 2016b). La traductologie peut ainsi consister en une « génétique de la traduction » au sens large qui repense uploads/Philosophie/ la-theorie-des-imaginaires-de-la-traduction.pdf

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