1 LE BONHEUR Le bonheur est souvent conçu comme étant une fin ultime de la vie
1 LE BONHEUR Le bonheur est souvent conçu comme étant une fin ultime de la vie humaine (c’est ce qu’on appelle eudémonisme). Il se distingue des fins partielles, c’est-à-dire des fins qui à leur tour deviennent des moyens en vue de fins plus élevées (par exemple la richesse). Le bonheur est la fin la plus haute, une fin que l’on recherche pour elle-même, une fin en soi. Cependant, une fois cela reconnu, nous n’avons encore rien affirmé de la nature du bonheur. Si l’on se fie au sens commun, on pourra alors penser que le bonheur consiste dans l’assouvissement intégral des besoins et désirs. Le bonheur est ce qui nous comble. Si nous acceptons une telle définition, n’allons-nous pas être condamné à ne jamais être heureux ? En effet, la satisfaction complète des désirs semble impossible dans la mesure d’une part où l’assouvissement d’un désir est très souvent l’origine d’un nouveau désir de telle manière que la quête du bonheur serait sans fin, et que, d’autre part, tout choix d’un projet de vie semble impliquer qu’un privilège soit donné à certaines aspirations, au détriment d’autres. De plus, le fait que le bonheur soit communément conçu comme un état stable et permanent, comme une « paix intérieure », montre bien qu’il ne saurait être la simple conséquence de la satisfaction des désirs car ceux-ci sont justement ce qui ne cesse de venir perturber tout « repos » dans un état déterminé. En ce sens, le bonheur est-il bien plutôt la conséquence d’une maîtrise des inclinations, d’une faculté (souvent dite morale) de supprimer les désirs qui viendraient troubler cette « paix ». Cependant, cette conception pose des difficultés équivalentes à la précédente car la possibilité d’exercer un empire sur tous nos désirs ne semble pas moins hors de portée que celle de tous les satisfaire. Nous allons voir dans ce cours que la problématique du bonheur se situe au croisement de deux autres problématiques, difficilement conciliables, celles du plaisir et celle de la moralité. Or, c’est justement cette position « inconfortable » qui confère à la question du bonheur son statut éminent. Selon Pascal, la conscience de notre condition est une faculté proprement humaine mais qui n’en demeure pas moins misérable et donc particulièrement inconfortable. En effet, en plus de notre conscience de la mort s’ajoute celle de notre petitesse par rapport à l’infinité de ce qui existe. Face à l’espace et au temps, l’homme n’est qu’un point infime dans l’immensité. En tant que citoyen, la conscience des injustices et des déterminismes divers pesant sur nous n’incite pas au bonheur. Mais prendre conscience des déterminismes n’est-il pas un moyen de s’en libérer et donc de les subjuguer ? Sans conscience, le bonheur et la liberté ne seraient ni vécus, ni ressentis vraiment. En matière morale, la conscience donne un idéal à respecter, mais que l’on ne peut jamais parfaitement atteindre. Peut-on être heureux tout en étant conscient de ces déterminismes, de ces petitesses qu’évoque Pascal ? Le bonheur, c’est cet État de plénitude et de satisfaction durable, par opposition au plaisir éphémère. La philosophie antique en fait le souverain bien, c’est-à-dire la fin suprême de la vie humaine, indissociable de la vertu. Kant critiquera cette position et montrera que ce à quoi l’homme est destiné, ce n’est pas tant le bonheur que la moralité, qui seule le rend digne d’être heureux. Le bonheur, ce n'est pas simplement être heureux : comme l'écrivait Aristote, « Une hirondelle ne fait pas le printemps, ni non plus un seul jour ». Cette phrase, devenue proverbiale, signifie que le bonheur n'est pas l'affaire d'un instant ; il doit, s'il est véritable, s'inscrire dans la durée. 2 Le bonheur selon Kant Selon Kant, nous sommes dans l'impossibilité de définir le bonheur par lui-même : on dit qu'il est l'état maximal de satisfaction ; mais comment savoir si ma satisfaction est bien maximale ? Et comme le bonheur est un « idéal de l'imagination » que je ne peux définir, mon entendement est incapable de déterminer les moyens qu'il faudrait employer pour être effectivement heureux. Pour Kant, la raison nous dit comment éviter d'être à coup sûr malheureux, mais non comment être heureux ; aussi les conseils des différentes philosophies antiques sont-ils seulement négatifs. Mais éviter le malheur, ce n'est pas encore être heureux ; il s'agit alors plutôt de savoir si la recherche du bonheur doit être la suprême motivation de l'homme dans son existence. Comme l'a montré Kant, celui qui fait son devoir par intérêt, et non par pur respect pour ce que la morale commande, n'a que l'apparence de la moralité : c'est la distinction qu'il fait entre les actions accomplies véritablement par devoir, et les actions qui sont seulement accomplies conformément au devoir. L'homme véritablement moral doit faire la sourde oreille à son penchant naturel à vouloir satisfaire ses désirs : si agir par intérêt est contraire à la moralité, la conduite véritablement morale doit aller à l'encontre de tous nos intérêts sensibles, y compris la recherche du bonheur. Selon Kant, on ne peut donc pas, comme le croyaient les différentes philosophies antiques, à la fois faire son devoir et rechercher le bonheur, parce que le devoir, c'est précisément faire passer l'impératif de la moralité avant la recherche du bonheur. Faut-il pour autant renoncer à être heureux pour être moral ? Une telle morale serait inhumaine, parce qu'il est dans la nature même de l'homme de chercher à être heureux. Kant définit le bonheur comme « la satisfaction de toutes nos inclinations tant en extension, c’est-à-dire en multiplicité, qu’en intensité, c’est-à-dire en degré, et en protension, c’est-à-dire en durée ». Un tel bonheur, selon lui, est un idéal de l’imagination en ce que la satisfaction complète ne peut être réalisée. Mais il n’en demeure pas moins que c’est la raison pratique elle-même qui est conduite à postuler la possibilité d’un tel bonheur ; nous ne pouvons y renoncer. Kant précise qu’il ne faut pas confondre, comme le font toutes les théories eudémonistes, le souverain bien et le bonheur. Le bonheur dépend de la satisfaction de nos penchants, pour la plupart égoïste ; il est déterminé par des motifs empiriques et est réfractaire à toute universalisation. Au contraire, le souverain bien relève de la conduite morale qui est déterminée par la loi purement rationnelle (non sensible) et qui satisfait le principe d’universalisation de la maxime (règle) de l’action. La conduite morale relève de l’impératif catégorique, la recherche du bonheur de l’impératif pragmatique. Le souverain bien n’est pas quelque chose que l’on possède ou dont on fait l’expérience (ce qui serait le signe de son empiricité) ; ce n’est pas un état mental. Si le bonheur ne saurait être conçu comme une récompense, il y a néanmoins une relation entre la vertu et le bonheur. La vertu ne produit pas « matériellement » le bonheur mais en fait une conséquence mérité ; la vertu nous apprend à « nous rendre dignes du bonheur ». Nous pouvons donc accéder au bonheur à condition de ne pas le rechercher pour lui-même et d’obéir bien plutôt à la loi universelle de la raison. 3 Une autre façon de rapprocher morale et bonheur c’est de montrer que le bien c’est en fait le bon et que derrière les préceptes moraux il y a une sagesse, c'est-à-dire des préceptes de bonheur. Ce rapprochement est tout à fait possible car on voit bien que le bonheur est un plaisir digne, riche de valeurs. « Le concept du bonheur est un concept si indéterminé, que, malgré le désir qu’à tout homme d’arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut. La raison en est que tous les éléments qui font partie du concept de bonheur sont dans leur ensemble empiriques, c’est-à-dire qu’ils doivent être empruntés à l’expérience ; et que cependant pour l’idée de bonheur un tout absolu, un maximum de bien-être dans mon état présent et dans toute ma condition future, est nécessaire. » Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs. Le bonheur – entre plaisir et vertu « Un plaisir pourrait s’identifier avec le plus grand bien, même en admettant que la plupart des plaisirs se trouvent être absolument mauvais. Pour cette raison, tout le monde estime que la vie heureuse est agréable, attendu qu’on unit la notion de plaisir à celle de bonheur, et l’on a parfaitement raison. Aucune activité, en effet, n’est complète quand elle est contrariée, et le bonheur présente le caractère d’être complet. Ainsi l’homme heureux a-t-il besoin que les biens corporels, les biens extérieurs et ceux de la fortune se trouvent réalisés pour lui sans difficultés » Aristote, Éthique à Nicomaque. « N’est-il vrai que, nous autres hommes, désirons tous être heureux ». Ces paroles sont de Platon. Le bonheur, conçu comme ce qui oriente et détermine les actions humaines, doit faire l’objet de profondes réflexions. Il s’agit tout d’abord pour Platon de s’opposer aux sophistes dont il résume les positions dans plusieurs uploads/Philosophie/ le-bonheur.pdf
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- Publié le Mar 01, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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